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Pléiades

Robinson Crusoé

Si l'on s'en était tenu à la volonté de Defoe, son nom n'aurait jamais été associé à celui de Robinson Crusoé. Les historiens de l'Angleterre seraient sans doute les seuls à le connaître aujourd'hui, en tant qu'espion, ou en tant qu'homme de plume à l'activité presque exclusivement politique. En effet, lorsque paraît à Londres, en 1719, la première partie de Robinson Crusoé, le récit des aventures de ce marin qui a passé vingt-huit ans sur une île déserte (ou presque) est censé avoir été "écrit par lui-même". Le succès immédiat et considérable du livre ne change rien à l'affaire : Defoe n'en revendique pas la paternité. Le nom véritable de l'auteur, connu de quelques rares contemporains, demeurera tu plusieurs décennies encore après sa mort. Et c'est une chose singulière que "l'un des premiers maîtres du roman", selon Virginia Woolf, ait soigneusement évité de passer pour romancier. De Robinson Crusoé on ne connaît le plus souvent que la première partie, celle de l'épisode insulaire. La survie du héros y est décrite avec un réalisme d'une puissance inédite jusqu'alors - et inaltérable. C'est qu'il importe pour Defoe que son récit soit de la plus grande véracité possible. La présente édition reproduit également la seconde partie du roman, écrite dans la foulée. Les aventures picaresques s'y multiplient, conduisant le héros jusqu'en Chine et en Russie. À mesure que l'histoire avance, la voix du narrateur semble se dissocier peu à peu de celle de Robinson, qui, progressivement, tend à se rapprocher de la figure de Don Quichotte. La portée édifiante du récit, revendiquée par l'auteur, s'estompe au profit de la pure joie romanesque. "Tant que notre goût ne sera pas gâté sa lecture nous plaira toujours", écrivait Rousseau à propos de Robinson. Virginia Woolf estimait pour sa part que ce roman "ressemble à l'une de ces productions anonymes de toute une race plutôt qu'à l'effort d'un seul homme ; la célébration de son bicentenaire [1919] nous renvoie aux commémorations dont nous pourrions honorer le site multiséculaire de Stonehenge lui-même. Cela vient de ce qu'on nous a tous lu Robinson Crusoé pendant notre enfance, et l'état d'esprit dans lequel nous avons été à l'égard de Defoe et de son histoire est semblable à celui des Grecs à l'égard d'Homère". Le texte de Defoe est accompagné ici – pour la première fois – par les cent cinquante gravures que l'artiste suisse F.A.L. Dumoulin (1753-1834) avait réalisées à partir du roman. Un dossier iconographique retrace par ailleurs deux cents ans d'illustrations, depuis le frontispice de l'édition originale (1719) jusqu'aux chefs-d'oeuvre de N.C. Wyeth (1920). L'appareil critique proposé par Baudouin Millet a été spécialement établi pour la présente édition : il s'agit de la première édition critique en français des deux parties de Robinson Crusoé. Quant à la traduction, c'est celle, classique, que donna en 1836 Pétrus Borel. Borel (sans lequel il y aurait "une lacune dans le Romantisme", disait Baudelaire) et son travail de traducteur sont d'ailleurs présentés par Jean-Luc Steinmetz à la fin du volume.

11/2018

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Monographies

Corpus Painting, Xie Lei

Par conviction, Xie Lei a choisi la peinture parce qu'elle lui ouvre la voie d'un langage traduisant son univers sensible et un terrain d'expérimentation pour creuser la spécificité de ce médium dans la contemporanéité. Sa pratique part du réel mais s'en échappe pour explorer des mondes équivoques, incertains, que son imaginaire transforme. La plupart de ses tableaux renvoient à des situations troubles ou inquiétantes, discrètement rattachées à des souvenirs littéraires et cinématographiques, ou bien puisées au creuset profond des sentiments. Il s'attache à la complexité des évènements, des situations et surtout à leurs ambiguïtés, leurs tensions. Sa peinture récente intrigue par un entre-deux, celui du sommeil et la mort, du supplice et l'érotisme. Les couleurs sont sombres, mais mutent pour devenir lumineuses, puissantes. La touche est fluide ou plus en matière. La peinture telle que la pratique Xie Lei se singularise en délivrant une autre perception du temps : salutairement, elle propose de ralentir le regard et d'échapper aux ivresses de l'accélération et de l'immédiateté. ? " Xie Lei, artiste parisien originaire de Chine, compose des images et des scènes floues et ambiguës comme autant de tentatives de s'emparer du sentiment et de l'émotion quasi-impossible. Le résultat oscille toujours entre une obscurité sans fin et des lumières troublantes, obscurcissant et déformant l'apparence des choses, les silhouettes des corps et les expressions des visages. Les interactions-intercourses entre les corps masculins ou les expressions les plus intimes de l'amour apparaissent souvent comme un thème principal. Mais elles sont toujours quelque peu dissimulées par une sorte de vernis mêlant ombre et lumière, suggérant une lutte éternelle pour négocier avec le désir et les contraintes, le plaisir sexuel et la violence fatale... Ce vernis révèle la véritable substance du principe de plaisir - le Lustprinzip tel que le conceptualise Freud - et incarne l'état réel de la vie érotique : douleur et beauté ! " Extrait du texte de Hou Hanru Xie Lei (né en 1983 en Chine) vit et travaille à Paris depuis 2006. Il est diplômé de la CAFA de Pékin et de l'ENSBA de Paris. Ses oeuvres ont été exposées dans de nombreuses institutions : Mendes Wood DM, São Paulo (BR) ; Meessen de Clercq, Bruxelles (BE) ; PS120 , Berlin (DE) ; MAC VAL, Vitry-sur-Seine (FR) ; Langen Foundation, Neuss (DE) ; Musée national de l'histoire de l'immigration, Paris (FR) ; Fondation Yishu 8, Pékin (CH) ; Fondation d'entreprise Ricard, Paris (FR). Ses oeuvres figurent dans des collections publiques et privées, telles que celles du MAC VAL, de la fondation Colas, de la Burger Collection et du X Museum à Pékin. Xie Lei a été pensionnaire de la Casa de Velázquez à Madrid en 2020-21 et de la Fondation Boghossian en 2022. Avec " Corpus Painting ", Semiose éditions lance une nouvelle collection éditoriale entièrement dédiée à la peinture. En 48 pages, relié façon beau livre, chacun des opus se concentre sur un ensemble précis de tableaux, complété d'un texte en français et en anglais signé d'une personnalité du monde de l'art. Une invitation à plonger dans la peinture, à comprendre les ressorts d'une série, à contempler une suite d'images, avec la même dévotion et passion que l'on porte aux retables ou aux icônes peintes.

02/2023

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Bibliothéconomie

La Revue de la BNU N° 26

Dans la suite du précedent, ce numéro aurait pu s'intituler "La fabrique de l'art", tant les divers usages commentés dans les pages qui suivent documentent, à différents degrés et suivant plusieurs étapes, la réalité du processus créatif. Les carnets d'artistes sont aussi des "musées de papier" et à ce titre, renvoient de façon plus générale à la fonction même des bibliothèques dont l'ouverture, toute récente, de ses espaces muséaux par la Bibliothèque nationale de France dans le "quadrilatère Richelieu" témoigne de façon éclatante. On y voit certes davantage de manuscrits que de carnets – l'étape ultérieure, au fond, du processus créatif ; mais on sait l'importance que ceux-ci ont pu avoir chez des auteurs aussi divers qu'Hugo, Flaubert, Valéry ou encore Butor... pour nous limiter à l'espace francophone, car on aurait tout aussi bien pu évoquer les carnets d'Hermann Lenz ou de Peter Weiss, ou encore les 14 000 pages noircies par Joyce pour la préparation de Finnegans Wake. Griffonner dans un petit carnet, une activité qui peut donc avoir plus de signification qu'elle n'en a l'air... et dont il nous semble important de rendre compte, car elle n'est peut-être plus évidente pour tous. A l'ère des iPhones, smartphones et autres tablettes numériques, le carnet d'artiste, d'écrivain ou de chercheur a-t-il encore une signification ? Pis encore, que représente-t-il dans l'imaginaire collectif alors que, dans le monde académique, l'expression "carnet de recherche" renvoie plutôt, aujourd'hui, aux blogs mis en place par l'infrastructure OpenEdition et qui sont, eux, totalement numériques. Dans ce cas aussi, les profondes mutations à l'oeuvre nous imposent de prendre le temps de réfléchir et de questionner la place que doit prendre, dans la valorisation de notre patrimoine, celle de nos "musées de papier". Car l'intelligibilité d'une oeuvre ne va pas de soi. De même qu'il n'y a pas de beau absolu, chaque époque et chaque civilisation créant régulièrement les siens, de même on ne saurait parler d'intelligence absolue, qui survivrait de façon mécanique et en dépit des convulsions chroniques du monde. Un savoir évident, intégré, qu'une époque donnée (et une génération donnée) va considérer comme un acquis définitif peut finir par disparaître ou ne devenir que l'apanage de quelques-uns : on ne saurait jurer que (par exemple) les tragédies de Corneille fassent encore partie du bagage obligé de l'étudiant en lettres, ni que le même étudiant soit encore en capacité de comprendre la langue de cet auteur. On ne saurait jurer non plus (pour revenir à l'histoire de l'art) que l'importance pour celle-ci du patrimoine religieux du 20e siècle soit véritablement un sujet d'appropriation collective, quand on constate l'état souvent préoccupant des églises de banlieues et de quartiers construits après la Seconde Guerre mondiale. C'est pourquoi il est nécessaire de s'intéresser à la "fabrique de l'art", de sonder ainsi le processus créatif et de voir comment les artistes, les écrivains ou les penseurs se sont nourris à la fois d'un dialogue avec leurs pairs comme d'une fréquentation des oeuvres du passé – pour mieux inventer le langage de leur temps.

01/2023

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Art contemporain

Art Cruel

Au printemps 2022, le Musée Jenisch Vevey proposera aux publics une exposition intitulée Art cruel. Cette manifestation sera placée sous le commissariat de l'historienne de l'art Claire Stoullig, ancienne conservatrice et directrice de grands musées suisses et français et éminente spécialiste de l'art européen du XXe siècle. A cette occasion, elle sera assistée par Emmanuelle Neukomm, conservatrice Beaux-Arts au Musée Jenisch Vevey. L'expression "art cruel" provient du titre d'une exposition qui s'est tenue à Paris en 1937 en gage de soutien aux événements liés à la Guerre d'Espagne. Dans les imaginaires collectifs d'hier et d'aujourd'hui, "l'art cruel" renvoie à un nombre impressionnant d'images qui jalonnent l'histoire de l'art. Crucifixions, martyres, blessures, scènes de supplices et massacres ont traversé les siècles. La création contemporaine explore elle aussi cette thématique. Si la perception de la cruauté a fortement évolué au fil du temps, ses représentations se voient en partie banalisées de nos jours. Largement diffusée sur Internet et les réseaux sociaux, l'image cruelle et violente glace le spectateur autant qu'elle suscite l'indifférence. De Freud au Marquis de Sade - pour qui la cruauté était inhérente à l'humain -, les réflexions autour de la face cruelle du monde se sont développées époque après époque. En dévoiler la violence a constitué un défi permanent que les artistes ont tenté de relever, en montrant la cruauté nue ou maquillée dans des représentations religieuses, historiques ou encore mythologiques. A toutes les périodes, l'artiste est le témoin de la brutalité, et parfois même la victime. Pour autant, peut-il ou doit-il tout dire, tout montrer, en matière de cruauté ? Existe-t-il des limites à la liberté d'expression ? Au travers d'une sélection de 150 à 200 pièces issues des collections du Musée Jenisch Vevey et d'institutions de renom, suisses et étrangères, l'exposition se proposera ainsi de questionner les multiples dimensions de l'art cruel. Des oeuvres puisées aussi bien dans l'art de la Renaissance que dans l'art contemporain seront mises en dialogue à cette occasion - allant des crucifixions de Dürer et Rembrandt, en passant par les fameuses séries de Goya et Callot évoquant les horreurs de la guerre, jusqu'au Chien andalou de Luis Bunuel et aux saints martyrs de Françoise Pétrovitch. L'exposition placera au centre du propos les deux médiums qui définissent l'identité du Musée Jenisch Vevey depuis plus de trente ans : l'estampe et le dessin. Outre les arts graphiques, il s'agira d'enrichir et de diversifier la sélection présentée à l'aide de quelques peintures, sculptures, objets, installations et films emblématiques. Tout en poursuivant l'objectif de valoriser les fonds du Musée Jenisch Vevey, de même que des prêts exceptionnels, l'exposition Art cruel se penchera par ailleurs sur un véritable enjeu sociétal : la violence et la cruauté, sous toutes leurs formes, font l'objet d'une actualité constante à travers le monde. Le Musée Jenisch Vevey a à coeur de s'inscrire dans le présent et de porter un regard sur l'évolution de nos sociétés. En ce sens, ce projet s'adresse à un large public ; il veillera naturellement à respecter les sensibilités des uns et des autres, y compris des plus jeunes visiteurs.

04/2022

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Ecrits sur l'art

L'oeil immuable. Articles, conférences et essais sur l’art

De Kokoschka, on retient surtout en France les peintures viennoises des années 1910, celles qui le rattachent à la Sécession, à Klimt et à Schiele dans l'"apocalypse joyeuse" de l'empire austro-hongrois. C'est risquer d'ignorer que ce peintre bientôt exilé se sentit toute sa vie beaucoup plus proche de l'art grec et baroque, qu'il pensait sans frontière, que de tous les mouvements ponctuels et des étiquettes mortifères de la critique ; et que, loin de se contenter de capter dans des portraits d'aristocrates phtisiques une ambiance de fin de monde, il fut un inlassable objecteur de conscience, résolu à ouvrir les yeux de ses contemporains à la dimension proprement culturelle des catastrophes passées et à venir. Le présent recueil d'articles, de conférences et d'essais remédie à ce danger en donnant la parole à Kokoschka lui-même. Cet ensemble de textes choisis en 1975 par l'auteur comme les plus représentatifs de sa pensée et de son engagement en matière d'art, est inauguré par les quelques brefs mais denses essais d'esthétique de sa jeunesse, où il énonce la conviction qu'il ne fera au fond que déplier et réaffirmer par la suite : celle du primat en art de la "conscience" individuelle de l'artiste, chargé de garder les yeux ouverts, de transmettre sa vision singulière à autrui et ainsi de mettre en forme et d'humaniser le monde. Cette formule, où il décèle l'essence même de l'art et du concept d'humanité tel que la culture européenne l'a hérité des Grecs, il en relève ensuite l'illustration idéale chez les artistes qu'il admire - Altdorfer, Rembrandt, Maulbertsch, Van Gogh, Munch... - et la faillite complète chez ceux qu'il pourfend avec une férocité constante : les artistes abstraits à partir de Kandinsky, responsables selon lui du bannissement de la figure humaine et du monde hors de l'art, et donc complices d'un appauvrissement de notre expérience qui aurait concouru aux atrocités du XXe siècle. C'est que les prises de position de Kokoschka excèdent amplement la discussion esthétique. S'élargissant aux dimensions d'une critique culturelle, elles font retour sur des moments-clefs de l'histoire de l'Europe - théâtre selon lui, depuis les guerres médiques, d'un affrontement permanent entre les penchants humains et barbares de l'homme - pour détecter des tendances de fond et mieux agir sur le présent. Le peintre se distingua en effet par son action dans le domaine de la pédagogie, documentée dans la troisième partie par les textes issus de son expérience d'"Ecole du regard" à Salzbourg de 1953 à 1964, dans laquelle il offrit à plusieurs centaines de jeunes gens de leur apprendre à "voir de leurs propres yeux". La quatrième partie, enfin, retrace quelques étapes décisives de son propre parcours et réaffirme les principes qui guidèrent notamment son oeuvre de portraitiste, d'allégoriste, de dessinateur et même de scénographe. C'est dire que ce volume, révélant l'écrivain, inconnu en France, qui double le peintre Kokoschka, enrichit l'expérience d'une peinture novatrice qui sut réactualiser la tradition pour penser le présent, tout en méritant d'être rangé parmi les ouvrages remarquables de la Kulturkritik du XXe siècle.

04/2021

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Thèmes photo

Quoi qu'il en soit

: Quoi qu'il en soit marque l'opposition entre deux choses liées ou entre deux aspects d'une même chose Quoi qu'il en soit du refoulement, le désir laisse des traces. Elles peuvent être tardives, comme cette toile de son père que Jean Yves Cousseau a choisie pour boucler une série photographique consacrée au fatum. Dans l'aveu d'un désir de peinture longtemps tu, cette toile esquisse "un autoportrait en paysage" . Autoportrait de celui qui s'efface, de ce père qui n'est plus et qui s'était saisi pour lui-même dans l'effacement. Mais portrait du fils aussi qui a choisi d'être photographe, à savoir : celui qui rend visible tout en restant caché. Sans être effacé, Jean Yves Cousseau n'est jamais là qu'en creux dans ses photographies... La naissance de Quoi qu'il en soit s'arrime au même punctum de la disparition qui est aussi rencontre de deux projets parallèles. L'un porte sur ce père, ouvrier cheminot qui a osé la peinture à la fin de sa vie. A son départ à la retraite, il avait demandé un appareil photographique pour l'offrir à son fils dont il avait toujours soutenu la vocation, de l'entrée aux Beaux-Arts aux vernissages d'exposition qu'il ne manquait jamais. A sa mort, Jean Yves Cousseau avait découvert sa peinture, et notamment cet autoportrait de l'addendum réalisé à partir d'une photographie aujourd'hui disparue. L'autre projet semble sans lien avec le premier : né de Petite épopée urbaine, livre d'artiste créé en 2013, il rassemble des photographies que Jean Yves Cousseau a placées en séries pour établir, comme par métonymie, une relation du tout de l'image à sa partie. Plus récemment, disposant ces images côte à côte, les travaillant par déchirures, est apparue la récurrence de silhouettes d'hommes qui ne sont pas celles de son père, mais qui réactivent le souvenir de la photographie perdue, modèle de l'autoportrait peint. Comme l'écrit Alain Madeleine-Perdrillat dans son poème, "celui qui marche de dos" porte un nom sans visage. C'est alors que les deux projets ont fusionné en un livre palindrome : du point d'arrivée au point de départ, et réciproquement. Ce point trouve une autre définition dans La Chambre claire, lorsque Barthes définit le punctum : Car punctum, c'est aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure - et aussi coup de dés. Le punctum d'une photo, c'est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne) Les photographies de Jean Yves Cousseau connaissent la piqûre : celle du temps qui parsème arbitrairement les gris de ses pointes sépia. A certains endroits, les petites taches s'intègrent au récit de l'image photographique : elles viennent ici nourrir des pigeons, là dessiner des allées de graviers. A d'autres, le mouchetage est tel qu'il recouvre l'image et lui ajoute une seconde vie : celle organique des cellules qu'un microscope aurait grandies, celle d'un ocre mycélium qui aurait gagné la partie. Ne croyons pas qu'elles ne soient que le fruit du hasard : Jean Yves Cousseau les travaille en leur imposant la géométrie des formes élémentaires : on discerne parfois le triangle et le cercle.

06/2023

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XIXe siècle

De colère et d'ennui

En 1832 à Paris, les funérailles du général Lamarque, icône populaire victime du choléra, déclenchent l'insurrection des 5 et 6 juin. Alors que Victor Hugo choisissait ce décor pour hisser Gavroche sur les barricades, Thomas Bouchet livre une chronique de cette année exceptionnelle à travers les voix de quatre femmes que tout oppose. 1832 : tandis que Paris vibre, vacille et gronde sous les coups redoublés de l'épidémie et de la guerre des rues, Adélaïde s'ennuie. Elle frémit dans son salon à la lecture des journaux, se délecte du chocolat que sa domestique lui rapporte de chez Marquis, s'émerveille en recluse des oiseaux du Jardin des plantes où elle vit, loin des barricades où Gavroche meurt. Emilie se bat et se débat du côté de Ménilmontant et dans les cafés enfumés pour faire entendre la cause féministe chez les saint-simoniens. Louise, marchande ambulante du centre de Paris, atteinte du choléra puis soupçonnée d'avoir participé à l'insurrection, est sans cesse contrainte à faire face - au commissaire, au juge, au médecin, au directeur de sa prison. Lucie enfin, la mystique, souffre et jouit en son corps derrière les murs d'un couvent, puis le choléra l'emporte. C'est dans la compagnie des archives que Thomas Bouchet pratique son travail d'historien. Il s'appuie cette fois, en outre, sur les ressources de la fiction. Les quatre voix qu'il entrelace composent une histoire sensible et sociale du Paris de naguère. Ce livre a reçu le Grand Prix de l'Histoire de Paris - LE GESTE D'OR, catégorie Fiction. "De colère et d'ennui, que publie l'historien Thomas Bouchet, mérite d'être salué à sa juste valeur. Voilà un livre qui ne ressemble à aucun autre". Dominique Kalifa, Libération "Troublant, sensible, l'ouvrage réalise son ambition en forme d'oxymore : celle de "forger et restituer quelques éclats de réel"". André Loez, Le Monde des livres "En reconstituant de façon fictive et pourtant si réelle la "vie affective" de 1832, Thomas Bouchet surpasse les attentes de Lucien Febvre qui, dès 1941, invitait ses pairs à croiser histoire et sensibilité et à plonger "dans les ténèbres de la psychologie". Voilà un nouveau et beau "cri d'artiste" poussé par un "pauvre historien"". Nicolas Dutent, L'Humanité "De colère et d'ennui est une illustration émouvante (littérairement) et convaincante (scientifiquement) de la féconde rencontre entre fiction et sciences sociales. (...) Il y a bien évidemment des vertus pédagogiques à choisir ainsi de rendre compte d'événements historiques ou de phénomènes sociologiques de façon fictionnée/fictionnelle. C'est l'ambition des " passeurs de sciences sociales " que de donner à voir ce qui ne peut se montrer et à entendre ce qui ne se dit pas. Mais il se joue quelque chose d'autre dans cette hybridation, quelque chose qui a à voir avec la puissance créatrice de l'écriture, quelle que soit sa forme. (...) Les quatre femmes de 1832 parlent à la première personne, c'est ainsi Thomas Bouchet qui parle avec elles et c'est l'histoire de cette année méconnue qui résonne à nos oreilles. Nous n'en saurons pas tout, car l'historien ne peut tout dire, mais ce qui demeure lorsque l'on referme le livre, de façon évidente et, pour tout dire, magnifique, c'est l'impression d'avoir entendu, véritablement entendu, les voix à jamais dissoutes des femmes et des habitants du Paris populaire du premier 19e siècle". Camille Froidevaux-Metterie, AOC Lauréat en 2019 du Grand Prix de l'Histoire de Paris - LE GESTE D'OR, catégorie Fiction

04/2024

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Critique littéraire

Études anglaises - N°1/2016. The Pictures of Oscar Wilde

Joseph BRISTOW : Oscar Wilde, Ronald Gower, and the Shakespeare Monument Le mercredi 10 octobre 1888, Oscar Wilde figurait parmi les orateurs qui prononcèrent l'éloge de Sir Ronald Gower (1845-1916) lors de l'inauguration de l'imposant monument, érigé en l'honneur de Shakespeare à Stratford-upon-Avon et conçu par Gower. Cet événement, moment le plus connu où Wilde et Gower apparaissent ensemble en public, met en évidence un aspect important de l'intérêt porté par Wilde aux arts plastiques. Comme le note Roger Fry, qui le rencontra à Venise en 1891, l'aristocrate au physique avantageux est "le modèle de Lord Henry dans Dorian Gray" . Au début de sa carrière, Gower fut parfois menacé par des scandales liés à sa préférence sexuelle pour les hommes, les militaires en particulier. Il est intéressant de noter le contraste entre la manière dont Gower sut habilement se défendre contre les allégations diffamatoires à son encontre et le destin tragique de Wilde au cours des procès de 1895, suite auxquels l'écrivain fut condamné à purger une peine de prison de deux ans pour "outrage aux bonnes moeurs" . En 1898, Gower, qui avait mis un terme à sa carrière artistique après l'érection du monument en l'honneur de Shakespeare, adopta Frank Hird, son amant âgé de vingt-cinq ans. Michael Patrick GILLESPIE : The Branding of Oscar Wilde Bien qu'au cours de sa vie, Oscar Wilde ait été entouré par un certain nombre de personnages flamboyants, il se démarqua de ceux-ci en raison du grand talent dont il fit preuve quand il s'est agi de se forger une image de marque. Cette démarche va bien au-delà de la simple mise en scène de soi, et elle a de bien plus larges implications en termes de rapports à la société. C'est grâce à la création de cette image de marque que Wilde se distingua d'une génération d'excentriques, grâce à l'habileté dont il fit preuve dans l'élaboration d'une image publique singulière, image qui parvint à frapper les esprits tout en échappant aux foudres de la censure. Cette image était celle d'un artiste apparemment sans inhibition mais qui, en réalité, savait parfaitement susciter le frisson sans pour autant provoquer de la révulsion. Entre ses années d'étudiant à Oxford et les procès de 1895, la "marque Wilde" protégea sa vanité et accrut sa réputation, à travers sa capacité à changer de registre et à s'adapter à des environnements différents. Comprendre le fonctionnement de cette image de marque et l'engagement de Wilde envers cette dernière au gré des situations, permet d'offrir un aperçu de l'évolution de sa carrière d'écrivain et de saisir au mieux les perspectives changeantes dont les lecteurs doivent avoir conscience afin de comprendre son oeuvre. Anne-Florence GILLARD-ESTRADA : Oscar Wilde's Aesthetics in the Making : The Reviews of the Grosvenor Gallery exhibitions of 1877 and 1879 En 1877 et 1879, Wilde publie dans des périodiques irlandais des comptes rendus des première et troisième expositions de la Grosvenor Gallery. Ces textes constituent un premier commentaire de Wilde sur les développements qui touchaient les arts visuels depuis une quinzaine d'années environ. Wilde évoque dans ces comptes rendus les oeuvres d'artistes alors associés à "l'école classique" ou à l' "Esthétisme" (mouvements qui se recoupaient souvent). En outre, Wilde dialogue avec les commentateurs ou les critiques d'art qui étaient favorables à cette peinture. C'est dans ce terreau fertile que l'esthétique de Wilde prend forme, et cet article se propose en particulier d'explorer l'esthétique de l'ambiguïté et de l'ambivalence qui caractérise ces tableaux et qui apparaît comme centrale dans les deux comptes rendus de Wilde. Nicholas FRANKEL : Portraiture in Oscar Wilde's Fiction Wilde se rendit compte dès le début de sa carrière que le genre du portrait reposait sur une dichotomie entre la représentation des aspects intimes de la vie d'un individu d'une part et celle du personnage public, d'autre part. Mais peu après la criminalisation des "outrages aux bonnes moeurs" en 1885 et le début de sa liaison avec Robert Ross en 1886, il prit conscience du fait que le portrait constituait également une structure imaginaire propice à la représentation de vies caractérisées par des désirs illicites, désirs que l'on ne pouvait satisfaire que secrètement, loin du regard de la société. Cet article explore la dynamique entre portrait, artiste, sujet (ou "modèle" ) et spectateur dans quatre textes de fiction que Wilde a publiés à intervalles réguliers à la fin des années 1880. Il montre qu'au fil de ces quatre textes, Wilde développa une théorie nuancée de l'art du portrait comme incarnation visuelle du désir pour les hommes et entre hommes. Il suggère en conclusion que la nouvelle compréhension de l'art du portrait acquise par Wilde a pu à son tour influencer l'oeuvre de son ami Toulouse-Lautrec, dont le célèbre portrait à l'aquarelle de l'écrivain, réalisé en 1895, constitue une rupture radicale par rapport aux normes de l'époque. Emily EELLS : "La consolation des arts" : The Picture of Dorian Gray and Anglo-French Cultural Exchange Cet article analyse l'intertextualité française dans le roman de Wilde, afin de montrer comment il s'en est servi pour construire son récit et son cadre théorique. L'article met en évidence la dette de Wilde envers Gautier, Goncourt, Huysmans et Balzac : il va jusqu'à citer ce dernier sans le nommer. Cet article étudie l'inscription des mots français dans le texte de Wilde, qui sont mis en italiques comme pour signaler leur étrangeté. Ce procédé typographique participe de l'esthétisation des livres français, que Wilde présente comme des objets d'art. Le titre de cet article cite une phrase de Gautier enchâssée dans le texte de The Picture of Dorian Gray afin de suggérer comment les arts français (les belles lettres, mais aussi les arts mineurs de la parfumerie et de la dentelle) sont une source de consolation pour Dorian Gray. Une annotation en français dans un exemplaire du roman de Wilde semble y répondre, car le lecteur dit s'y trouver conforté dans son idéalisation de l'inutile. Shannon WELLS-LASSAGNE : Picturing Dorian Gray : Portrait of an Adaptation The Picture of Dorian Gray constitue un sujet de choix pour les cinéastes, et ce, pour de nombreuses raisons : il s'agit d'un conte moral captivant, doté d'une intrigue qui regorge de beauté, d'amour et d'action; c'est un exemple célèbre de texte victorien influencé en partie par le roman "gothique" . Le roman de Wilde a ainsi inspiré de nombreuses générations de cinéastes. Toutefois, cette oeuvre pose aux réalisateurs des problèmes particuliers, dont un est suggéré par le titre même de l'ouvrage : comment représenter le portrait extraordinaire de Dorian Gray à l'écran, tant dans sa beauté éclatante initiale que dans ses métamorphoses monstrueuses? Chacune des adaptations étudiées dans cet article semble proposer un portrait qui révèle les possibilités de la fiction dans un contexte audiovisuel ainsi que les propres aspirations des adaptateurs. Ainsi, les adaptations semblent considérer le portrait de la même manière que Hallward considère son sujet : "un style artistique entièrement neuf, une manière entièrement nouvelle" : une mise en abyme de l'adaptation elle-même. Marianne DRUGEON : Aestheticism on the Wildean Stage Cet article se propose d'étudier des représentations sur scène et adaptations filmiques de trois comédies de salon d'Oscar Wilde, L'Éventail de Lady Windermere, Un mari idéal et L'Importance d'être constant, lesquelles ont toutes en commun un décor, des costumes et des accessoires représentatifs de l'Esthétisme. On connaît en effet Wilde non seulement pour ses oeuvres littéraires mais également pour son engagement dans la défense de ce mouvement artistique, ce qui a conduit les metteurs en scène à créer de véritables vitrines présentant les costumes, le mobilier et les oeuvres d'art de l'époque. L'on remarque toutefois que ce qui n'est en général qu'accessoire et décor devient, dans l'adaptation des oeuvres de Wilde, de première importance : les costumes symbolisent des personnalités, les scènes se transforment en véritables tableaux, et les personnages sont définis non plus par leurs actes mais par leur apparence, devenant eux-mêmes des oeuvres d'art. Wilde lui-même, en affirmant que la vie imite l'art, recherchait sciemment l'artificialité et rejetait le naturalisme. Ainsi, ceux qui ont mis en scène ses pièces y ont bien souvent mêlé une représentation de ses convictions artistiques, et même une représentation de l'auteur lui-même, qui aimait se créer des masques et faire de sa vie un spectacle. Gilles COUDERC : Setting Oscar Wilde to Music Depuis sa première en version concert à Los Angeles en 2011, l'opéra de Gerald Barry The Importance of Being Earnest d'après la comédie d'Oscar Wilde a obtenu un grand succès. À ce jour, ce n'est que la plus récente des très nombreuses oeuvres musicales inspirées tant par les textes de Wilde que par sa vie. De son vivant, la capacité de Wilde à se mettre en scène, la création savamment orchestrée d'un personnage destiné au public, l'a maintenu sous le feu des projecteurs. Sa chute et le retentissement de ses procès ont suscité un intérêt toujours croissant pour l'homme et pour son oeuvre : l'adaptation de Salomé à l'opéra par Richard Strauss en 1905 a lancé la vogue des adaptions musicales des textes de Wilde, alors que le personnage de l'artiste a continué à inspirer opéras ou comédies musicales. Ce qui semble frappant, c'est, après la mort de l'écrivain, la confusion, dans l'imaginaire européen, entre l'homme et l'oeuvre. Cette étude se concentrera d'abord sur des oeuvres inspirées par le personnage de Wilde, Patience de Gilbert et Sullivan, puis l'opéra Oscar du compositeur américain Theodore Morrison, oeuvre dans laquelle Wilde est présenté comme héros et martyr d'un combat libertaire. Nous examinerons ensuite les oeuvres que sa Salomé a inspirées, les opéras de Strauss (1905) et de Mariotte (1908) ainsi que la production d'Ida Rubinstein (1908), trois oeuvres dans lesquelles, derrière les personnages mis en scène, se devine la figure de Wilde. Marc PORÉE : Ceci n'est pas un tube : de l'itérabilité dans The Burning Perch de Louis MacNeice Cet article procède d'un constat : tout au long de sa carrière poétique, Louis MacNeice aura multiplié les recours à diverses modalités de la répétition. Dans The Burning Perch, en particulier, il aura fait un usage insistant et déstabilisant du refrain. Une telle itérabilité est assurément consubstantielle au fonctionnement de la poésie; elle est aussi propre à l'économie "tubulaire" , telle que l'analyse Peter Szendy, et rappelle fortement le fonctionnement de la "ritournelle" , selon Deleuze et Guattari. C'est cette parenté, mais aussi cette différence, entre la chanson et le poème, qu'on explorera ici, avant de conclure, sans grande surprise, à l'irréductibilité du poétique.

06/2016

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Littérature étrangère

Désaccords imparfaits

Trois courtes nouvelles de Coe datant des années 1990 - les seules qu'il ait jamais écrites - sont publiées dans ce petit recueil, ainsi qu'un article sur Billy Wilder, " Journal d'une obsession ", écrit pour un numéro des Cahiers du cinéma. " Ivy et ses bêtises " voit un narrateur adulte revenir sur un épisode de son enfance, lors d'une soirée de Noël, où il fut convaincu d'avoir vu le fantôme d'un homme tué par sa femme, au procès de laquelle la grand-mère du narrateur avait participé. La fin de la nouvelle laisse planer un doute sur l'existence réelle de ce fantôme. " 9e/13e " est une sorte d'exercice de style : un pianiste de bar new-yorkais, à laquelle une séduisante jeune femme demande où elle peut loger ce soir-là, imagine ce qui ce serait passé s'il l'avait invitée à dormir chez lui... ce qu'il n'a bien sûr pas fait. " Version originale " est la nouvelle la plus longue et la plus aboutie ; elle manifeste le goût de Coe pour les intrigues complexes : lors d'un festival du film d'horreur dans une ville de la Côte d'Azur, un compositeur de musique de films, qui fait partie du jury, découvre qu'un des films en compétition a été écrit par une ancienne amie, qui était tombée amoureuse de lui mais que le narrateur avait un peu brutalement éconduite. Le souvenir de cette histoire lui revient à la vision du film, qui en offre une réécriture, et entre en écho avec le flirt qu'il ne peut s'empêcher d'entretenir avec une journaliste présente sur le festival. En peu de pages, Coe évoque les tentations, les opportunités ratées, les souvenirs qui hantent et une certaine mélancolie. " Journal d'une obsession ", dans un tout autre genre, évoque l'obsession, au sens littérale, de Coe pour un film mal-aimé de Billy Wilder, La vie de Sherlock Holmes, et plus précisément pour sa musique composée par Miklós Rózsa. Coe raconte, sous forme de journal intime, comment, à différentes étapes de sa vie, il a rencontré ce film, souvent par hasard. Il raconte aussi ses recherches pour mettre la main sur un enregistrement de cette musique, devenue introuvable. Dans l'introduction du recueil, Coe affirme que la nouvelle est loin d'être sa forme de prédilection, lui préférant la longueur et la complexité qu'offre le roman. Il n'empêche que ce recueil est une réussite, et offre un concentré de son écriture et de ses thèmes favoris : le mélange d'ordinaire et d'étrange dans la première nouvelle, les anti-héros un peu ratés, passant à côté de leur vie, dans les deux autres, et, toujours, un humour pince-sans-rire, mêlé à une tonalité mélancolique. Dans l'article sur Billy Wilder, particulièrement touchant, Coe adopte un mode plus autobiographique : derrière le prétexte de son obsession pour ce film, il évoque de façon assez émouvante un certain rapport à l'enfance, au passé, au temps qui passe. Ses différentes " rencontres " avec ce film et sa musique, scandées par l'évolution des technologies (du livre à la cassette vidéo et au DVD, du 33 tours au CD...) dessinent une sorte de portrait de l'artiste des années 1970 à nos jours. Les quatre textes, sous des dehors assez différents, sont ainsi unis par des thèmes ou des motifs récurrents, en particulier le rapport à la musique, véhicule de souvenirs et d'émotions. Ce recueil démontre s'il le fallait l'évidence du talent de Jonathan Coe, qui atteint en très peu de pages une densité et une émotion exceptionnelles.

03/2012

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Ecrits sur l'art

La folie du regard

Dans la première partie de cet essai, Laurent Jenny, à travers les images de l'art, s'intéresse aux turbulences du regard. La diversité de ces images révèle en effet que le regard est loin d'être une donnée naturelle, simple et commune. Chaque époque, chaque artiste et chaque medium redessinent une extension différente du visible, et remodèlent des usages dans le champ très vaste qui est celui du visible. Il y a loin des figures paléolithiques superposées émergeant pour quelques rares initiés d'une matrice minérale enveloppante et secrète - aux tableaux luxueux, surchargés de symboles savants et d'allusions aux pratiques sociales que constituent les peintures du Quattrocento. Tout comme les peintures éloquentes de l'âge classique s'opposent, par leur discours implicite, au type de contemplation muette appelé par les tableaux "silencieux" de l'âge moderne, de Manet à Morandi. Ce n'est d'ailleurs pas seulement la connivence du regard avec l'intelligible qui se transforme, mais aussi son appel aux autres sens, notamment le tactile, ainsi qu'en témoigne encore aujourd'hui une oeuvre comme celle de Giuseppe Penone, qui cherche passionnément à étendre la sensibilité optique à la surface entière de la peau. Les technologies de l'image ont aussi leur part dans cette constante redéfinition du voir. La photographie a ainsi délibérément réduit le point de vue au monoculaire et astreint le regard à un battement, non sans effets temporels. A l'inverse, les spectacles immersifs de l' "atelier des lumières" , veulent produire l'illusion que le champ du regard est à la fois mouvant, sans bords et infini jusque sous nos pieds. Cependant le pari que fait Laurent Jenny, qui est aussi celui de l'art, c'est que toutes ces images si diverses nous parlent et nous atteignent au-delà des significations qui ont été celles de leur temps et des intentions de leurs auteurs, au-delà même des circonscriptions de regard qui les régissaient. C'est précisément leur dimension énigmatique qui aiguise notre attention à elles et découvre dans notre propre regard des régions ignorées. Cela ne va pas sans déchirure de nos habitudes perceptives, ni retentissement émotionnel et éthique. Et ce sont ces chocs dont Laurent Jenny s'efforce de rendre compte dans la patience de l'écriture. La seconde partie de cet essai propose donc une déambulation libre et subjective à partir d'images énigmatiques et un approfondissement de leur étrangeté. Laurent Jenny s'y interroge ainsi sur le trouble que produit la facture porcelainée et cruelle des Judith de Cranach ou sur la dimension secrètement apocalyptique d'un tableau supposément aussi galant que "La fête à Rambouillet" de Fragonard. Il questionne l'anachronisme optique des oeuvres "qui ne sont pas de leurs temps" , comme les huiles italiennes de Valenciennes ou de Thomas Jones. Il se penche sur les horizons obstinément bouchés de Courbet, qui font refluer le regard vers la matérialité épaisse des surfaces. Il cherche à comprendre la puissance du monde graphique de Seurat dont les figures "absorbantes rayonnantes" semblent dotées d'une pesanteur nocturne et solitaire intimement liée au monde chromatique restreint du noir et blanc. Il relève les stratégies de Matisse pour domestiquer au-dedans l'espace effrayant du dehors. Dans Louons maintenant les grands hommes, il confronte la sécheresse des photographies de Walker Evans, illustrant la vie nue des petits blancs pauvres d'Alabama et la prose incandescente d'Agee comme deux traductions de la même expérience visible. Et enfin il retrace les tourments de Giacometti vivant une forme de "folie du regard" en essayant vainement de saisir le visage de son modèle japonais Yanaihara. En définitive, à travers ces réflexions et ce parcours dans les images de l'art, il s'agit pour Laurent Jenny de rouvrir le champ du regard à son extension variable, à ses connivences passagères et à son essentielle indétermination.

03/2023

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Thèmes picturaux

Aux temps du sida. Oeuvres, récits et entrelacs

Le catalogue de l'exposition " Aux temps du Sida, oeuvres, récits et entrelacs " explore les répercussions de l'épidémie de VIH/sida dans l'art. Explorez des décennies de création et de militantisme à travers des oeuvres percutantes et les voix d'une multitude d'auteur·ices, artistes, militant·es : un voyage émotionnel et informé dans l'histoire de la lutte contre le VIH/sida. A partir des années 1980, le Virus de l'Immunodéficience Humaine (VIH) et son stade ultime, le sida, explosent de manière incontrôlable aux Etats-Unis, en France et bientôt partout dans le monde. Cette crise sanitaire va aussi se révéler être une crise des représentations qui occasionne, jusqu'à aujourd'hui, l'apparition de nouvelles formes dans la création. Le virus emporte une génération de créateurices, d'écrivaines, de chorégraphes, de cinéastes, de plasticiennes... tandis que la maladie s'insinue, de façon manifeste ou en filigrane, dans les oeuvres. On voit éclore chez les artistes des prises de parole engagées voire militantes tandis que les luttes pour plus de tolérance, de visibilité et de droits pour les minorités s'organisent, et ce, aussi par le truchement de l'oeuvre d'art. L'exposition " Aux temps du sida " et son catalogue parlent d'un temps encore non révolu où l'épidémie n'est pas surmontée en dépit d'importantes avancées médicales, y compris tout récemment. Les quarante dernières années ont vu s'entremêler des moments de peur, de deuil, de courage, de solidarité, d'espoir, tous adossés à des formes de créations dont on regarde aujourd'hui encore la force avec fascination, sinon admiration. Exposition pluridisciplinaire, " Aux temps du sida " présente quatre décennies de création où les arts plastiques, la littérature, la musique, le cinéma, la danse rencontrent la recherche scientifique, la culture populaire et l'action décisive de personnalités engagées, d'associations déterminées, de chuchotements qui, réunis ensemble, sont devenus un cri. Conçu comme un voyage chrono-thématique, le catalogue s'ouvrira sur une retranscription du " couloir du temps " introduisant l'exposition. Ce voyage temporel à travers les quatre dernières décennies mettra en évidence la présence du VIH/sida dans les médias, les arts, la culture populaire, les sphères politique et médicale, permettant de replacer l'ensemble des oeuvres présentées dans un contexte plus large et de visualiser comment l'épidémie a façonné et influencé notre société. Le catalogue prend ensuite la forme d'un abécédaire thématique qui offre une entrée variée dans ce vaste sujet, sans prétendre à l'exhaustivité. Chaque notice est dédiée à un artiste, une oeuvre ou un grand thème lié à la lutte contre le VIH/sida (tels Danse, Soin ou encore Voix). De nombreux contributeurs et contributrices ont accepté de participer à la rédaction de ces notices, garantissant une pluralité des voix et des points de vue situés : le catalogue donne la parole à des historiennes de l'art mais aussi à des artistes, des médecins, des militantes, des écrivaines, etc. Ces textes sont illustrés des oeuvres présentées dans l'exposition. Le livre capture l'urgence vécue par les personnes touchées par le virus, en particulier celles qui ont été diagnostiquées à une époque où aucun remède n'existait. Les oeuvres exposées témoignent de leur engagement, de leur lutte, de leurs peurs mais aussi de leurs espoirs et de leur désir d'être entendues et comprises. A travers les oeuvres et les voix d'artistes telles que Maurice Béjart, Sophie Calle, Guillaume Dustan, General Idea, Nan Goldin, Felix Gonzales-Torres, Hervé Guibert, Keith Haring, Klaus Nomi, Jean-Michel Othoniel, Bruno Pelassy, Bill T. Jones, Barthélémy Toguo ou encore David Wojnarowicz, on découvrira comment l'art et la création peuvent sensibiliser, provoquer des débats, exprimer un engagement et des ressentis complexes, mais aussi être les catalyseurs d'un changement social nécessaire puisqu'en 2023, l'épidémie est toujours là.

10/2023

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Rock

Iggy Pop and The Stooges

Un beau livre présentant l'ensemble de la discographie des Stooges, groupe culte et père du punk, et de son leader Iggy Pop au cours d'une carrière solo légendaire. Un histoire profondèment rock'n'roll. Iggy Pop est l'incarnation du Wild Man Of Rock'N'Roll. Torse nu, musculeux, son corps se déforme sous la férocité de la performance, qu'il veut toujours ultime. Son oeuvre commence avec les Stooges en 1967 après quelques balbutiements garage. Avec les frères Asheton, Ron et Scott, Il viole tous les codes du rock de l'époque avec leurs deux premiers albums, The Stooges en 1969 et Fun House en 1970. Les Stooges engendre une musique dont la vibration physique est la transcription sonore de la violence urbaine de la ville industrielle de Detroit. Trop radicaux, trop en avance, les Stooges se séparent une première fois en 1971, avant de se réincarner en 1972 grâce à l'aide de David Bowie. Iggy And The Stooges publient le dernier volet du tryptique historique : Raw Power en 1973. La carrière des Stooges se terminent dans la poudre, la misère et l'alcool en 1974 après une tournée des plus cahotiques. Oublié de tous, Iggy Pop ne sait pas que la musique de son groupe est en train de devenir l'un des piliers majeurs d'une nouvelle génération appelée Punk qui surgira dès 1976. Une petite communauté de passionnés français, journalistes, disquaires, et fans, va alimenter la flamme du mythe Stooges et Iggy Pop jusqu'à son grand retour en 1977, encore une fois grâce à David Bowie. C'est le début d'une carrière solo riche de dix-neuf albums studio, balayant de vastes territoires musicaux : new-wave, hard-rock, blues-rock, electro-rock, et même chanson française. Iggy Pop s'essaie à de nombreuses expériences sonores tout en gardant une éthique rock inflexible. C'est que l'homme est devenu une figure de l'histoire du rock, presque un personnage de bande dessinée que l'on retrouve aussi au cinéma ou dans des publicités où il n'hésite pas à se parodier lui-même. Toutefois, sa légende comme son coeur a toujours battu pour ses Stooges incompris et mal-aimés. Il brisera ainsi son éthique de ne jamais revenir en arrière pour reformer les Stooges avec les frères Asheton en 2003, puis avec James Williamson en 2010. Comme une rédemption, Iggy Pop offre à ses anciens camarades l'occasion de connaître une reconnaissance méritée. Pour lui, c'est la consécration d'une existence à porter une musique originale et sans concessions, quels que furent ses éventuelles maladresses. Littéralement revenus d'entre les morts après des années d'excès, Iggy Pop et les Stooges sont aujourd'hui unanimement salués par tous les fans de rock. Il y a toujours un album que l'on aime chez Iggy Pop, quels que soient vos goûts musicaux dans le domaine. Ce livre revient sur l'ensemble de la discographie des Stooges et d'Iggy Pop, ainsi que celles des membres de ce groupe mythique (Ron Asheton, Scott Asheton, James Williamson, Jimmy Recca). Les discographies officielles, mais aussi celle parallèle des Stooges avec ses nombreux bootlegs, sont étudiées. Plusieurs interviews fleuves d'Iggy Pop rares et inédites, ainsi que celle d'Alain Lahana, son tourneur français historique et ami, permettent de cerner l'homme Iggy Pop. Des documents photographiques rares et inédits des Stooges, d'Iggy Pop, et de Ron Asheton sur scène et à la ville, ainsi que de la memorabilia rare issue des archives du Iggy Pop Fan Club français offrent une riche iconographie d'un artiste et d'un groupe des plus visuels et séminaux de ces cinquante dernières années.

12/2021

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Beaux arts

Kandinsky, sa vie

Première biographie consacrée à Kandinsky, cet ouvrage s’attache à restituer dans toutes ses dimensions la vie mouvementée du célèbre peintre et théoricien qui ouvrit le passage vers l’abstraction, ainsi que la pensée et la personnalité d’un homme resté très secret. Appuyée sur un ensemble de sources considérables, les textes théoriques publiés et les inédits, les poèmes de l’artiste, sa correspondance privée et ses oeuvres qui constituent un véritable journal de bord de sa vie, les témoignages de ses contemporains et de ses proches, et prenant en compte les travaux les plus récents des nombreux chercheurs qui se sont intéressés à lui, cette biographie replace Kandinsky à l’intérieur des mouvements d’idées qu’il a inspirés, de ceux qu’il a traversés et parfois rejetés : positivisme, symbolisme, théosophie, courants de la philosophie russe et des mouvements prophétiques de l’aube du XXe siècle. Elle le présente face aux explosions formelles de son siècle et aux débats passionnés qu’elles ont soulevées. Né en 1866 dans une famille de marchands à Moscou où se déroula sa prime enfance, achevant son adolescence à Odessa, Kandinsky n’oublia jamais sa ville natale où il revint pour accomplir des études de droit. A la suite de diverses expériences personnelles marquantes, une mission ethnographique qui le met en contact avec l’art populaire russe dans « les maisons magiques « de Vologda, la rencontre d’une toile de Claude Monet qui lui fait pressentir la possibilité d’une peinture tout autre, il décide d’entrer tardivement en peinture à l’âge de trente ans, hanté par l’image première du coucher de soleil sur Moscou qui représente pour lui l’image absolue, se sentant investi d’une véritable mission spirituelle. C’est toute l’extraordinaire aventure de l’abstraction que l’on peut suivre ici, la recherche fiévreuse et obstinée d’une nouvelle voie de passage de la peinture vers un autre monde, l’effort vers la réalisation de la grande synthèse des arts. Le lecteur accompagnera Kandinsky dans une passionnante recherche intérieure et extérieure qui l’amène à Munich, initie voyages et épreuves. Il se retrouvera aux côtés de ses amis et compagnons de route, peintres, musiciens, sculpteurs célèbres, il participera à leurs discussions, aux expositions, rencontrera ses correspondants tant en Russie, en Allemagne, en France, en Belgique, en Italie, en Suisse qu’aux Etats-Unis. Eclairant bien des points obscurs ou méconnus de l’oeuvre et de la personnalité de Kandinsky, ce livre ouvre de nombreuses perspectives sur une vie extraordinairement riche et féconde qui a balayé, et souvent inspiré, l’ensemble des avant-gardes européennes. Peintre de génie, Kandinsky a touché à la poésie et au théâtre, produit des ouvrages et textes théoriques fondamentaux, s’est passionnément attaché à réunir les artistes mus par la « nécessité intérieure « par-delà préjugés de sexe ou de nation, jetant pour la première fois des ponts entre les différents arts, peinture, poésie, théâtre, musique, art populaire, art religieux, art des enfants, arts africains ou orientaux. Membre initiateur de groupes aussi variés que Mir Iskousstvo, la Neu Künstlervereinigung, le Blaue Reiter, die Brücke, der Sturm, Dada, le Valet de carreau ou Cercle et carré, Kandinsky a connu plusieurs vies. Chassé d’Allemagne par la guerre de 1914, livré aux aléas de la révolution russe, exilé à Berlin, fuyant à cause de la montée du nazisme en France, où il subit la seconde guerre mondiale, abandonnant à chaque fois ses oeuvres derrière lui, cette nature libre se montre là dans toute sa vigueur, animée jusqu’au bout de la ferme croyance que par-delà les tribulations de la vie, adviendra l’ère du « Grand Spirituel «.

04/2016

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Histoire de l'art

Iris. Time unlimited (1962-1975)

Iris Clert : peu de noms de galeristes aimantent autant que celui-ci. Pour des générations d'amateurs d'art, elle demeure l'icône flamboyante de l'effervescence artistique parisienne de l'après-guerre. Active du milieu des années 1950 au début des années 1980, elle accueille dans ses galeries successives, Rive gauche puis Rive droite, des expositions mythiques tels Le Vide d'Yves Klein en 1958 et Le Plein d'Arman en 1960, ainsi que certains des artistes les plus importants du XXe siècle comme Pol Bury, Gaston Chaissac, Bill Copley, Lucio Fontana, Leon Golub, Raymond Hains, Ad Reinhardt, Takis et Jean Tinguely. Si cette liste d'artistes, non exhaustive, lui confère évidemment une place de choix dans l'histoire de l'art contemporain, Iris Clert fut aussi - et c'est l'un de ses grands apports - l'inventrice de formats d'exposition et de communication inédits, comme en témoigne sa revue iris. time unlimited. Conçu pour renouveler sa manière de communiquer alors qu'elle emménage Rive droite au début des années 1960, Iris Clert publie pendant treize ans un feuillet de quatre pages, régi par une double ligne rédactionnelle : d'un côté, annoncer et promouvoir les expositions de la galerie et, plus généralement, informer sur le monde de l'art contemporain et son actualité ; de l'autre, proposer un espace de création propice à des interventions comiques, absurdes et polémiques. Le premier numéro paraît le 6 octobre 1962, le dernier numéro en avril 1975. La longévité de la revue est à noter dans un milieu où les expériences de ce type sont généralement éphémères. Chaque numéro présente des caractéristiques communes, tant au niveau du contenu que de la maquette. Reprenant le principe des unes de France-Soir, celles d'iris. time unlimited présentent le titre du journal encadré par deux oreilles, le portrait de la galeriste à gauche et celui de l'artiste de l'exposition annoncée à droite, une tribune ou gros titre et une photographie d'oeuvre en grand format, sous un bandeau d'informations légales. Le tirage oscille entre 4 000 et 6 000 exemplaires tandis que la liste des abonnés contient près de 450 noms. La fréquence de parution est variable, tributaire du rythme des expositions et des séjours d'Iris Clert à l'étranger. La publication accueille des collaborateurs plus ou moins réguliers, des rubriques plus ou moins récurrentes. Parmi celles-ci, des chroniques sur la vie artistique parisienne, des revues de presse, des jeux, des publicités, des présentations de critiques, le " Point de vue d'Iris ", des billets d'humeur, les " Ragots de la galerie ", des petites annonces loufoques et, bien sûr, un horoscope réalisé par la voyante d'Iris Clert. " Mon petit journal, commencé à la blague, deviendra une oeuvre d'art en soi. C'est une symbiose de mystification et de démystification où l'humour a tous ses droits ", résume Iris Clert dans ses mémoires. Bien plus qu'une curiosité de bibliophiles, iris. time unlimited demeure aujourd'hui une référence pour de nombreux éditeurs et galeristes. Collectionné par les bibliothèques universitaires américaines et européennes spécialisées en histoire de l'art et les centres de documentation des musées du monde entier, iris. time unlimited incarne le style qu'Iris Clert a imprimé dans le monde de l'art, mélange de sociabilité, d'humour, d'excentricité et de créativité. Grâce à cette nouvelle impression en fac-similé, au papier et format identiques à l'original, cet ovni éditorial est désormais à la portée de tous. La reproduction complète des 46 numéros est accompagnée d'un livret contenant un texte du critique et historien d'art Clément Dirié, auteur de l'ouvrage remarqué Iris Clert. L'Astre ambigu de l'avant-garde (2021), de photographies ainsi que des biographies des contributeurs et d'un index des abonnés. Sa publication célèbre au jour près le soixantième anniversaire de la parution du premier numéro d'iris. time unlimited.

02/2023

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Monographies

Les Gérard Cochet de La Piscine

En 2009, les descendants du peintre et graveur Gérard Cochet (1888-1969) faisaient don au musée de Roubaix de 102 oeuvres sur papier, préparatoires à des costumes ainsi qu'à des décors pour des spectacles lyriques donnés à l'Opéra-Comique. Ces dessins concernent plus spécifiquement trois oeuvres : Manon Lescaut de l'abbé Prévost et Jules Massenet (1938), Les Noces de Figaro de Mozart (1939) et Amphytrion 38 de Jean Giraudoux et Marcel Bertrand (1944). Entre 1938 et 1949, Cochet travaillera ainsi à plusieurs reprises pour la salle Favard. On lui doit également les costumes pour Mesdames de la Halle d'Offenbach (1940) ainsi que pour Le Oui des jeunes filles de René Fauchois et Reynaldo Hahn. Ces créations, bien accueillies par la critique, représentent en quelque sorte l'acmé de la carrière de décorateur de Gérard Cochet. Il avait, en effet, précédemment réaliser plusieurs décors pour des bâtiments publics et, en qualité de peintre de la marine, contribué à la décoration de plusieurs vaisseaux. Né à Avranches, Gérard Cochet grandit à Nantes où il s'initia très jeune à la peinture avec son ami Amédée de La Patellière (1890-1932) auprès d'un artiste local, tout en poursuivant des études classiques. En 1909, avec l'assentiment de ses parents, il décide de se consacrer uniquement à la peinture et se rend à Paris. Il s'inscrit à l'Académie Julian et ambitionne d'entrer à l'école des Beaux-Arts. Pour ce jeune homme discret, ces premières années sont particulièrement délicates. En proie au doute, il peine à se défaire de son apprentissage quelque peu académique et à trouver sa propre voie vers une modernité à laquelle il aspire. C'est au modeste Salon des humoristes qu'il expose pour la première fois en 1913. Ces timides débuts sont vite interrompus par la guerre. Bien que réformé, il décide de se porter volontaire. Le 5 mai 1915, Il est grièvement blessé en Argonne et perd son oeil droit. Définitivement reformé en juillet 1916, il s'initie à la gravure auprès d'André Dauchez et pratique la céramique au sein de l'atelier Lachenal. De la première, il apprendra le sens de la synthèse et la seconde lui permettra de gagner en spontanéité. Au début des années 1920, il s'affirme comme graveur de premier plan, multipliant les illustrations notamment pour les éditions Crès et Grasset. En 1924, il est récompensé pour son oeuvre gravé par le prix Blumenthal. Membre fondateur de la Jeune Gravure Contemporaine en 1929 et membre des Peintres-Graveurs Français à partir de 1946, il illustre de nombreux ouvrages de bibliophilie. Parallèlement à sa carrière de graveur, il développe également sa peinture. Une première exposition personnelle lui est consacrée par la galerie Briand-Robert en 1927. Son oeuvre peint le rapproche de la Jeune Peinture Française dont les membres les plus représentatifs sont Dunoyer de Segonzac, Marcel Gromaire, Charles Dufresnes, ses amis Yves Alix et Robert Lotiron... . Ce mouvement informel incarne pour le critique Claude Roger-Marx une certaine "mesure française" . Ils élaborent un réalisme renouvelé et affirment un certain sensualisme. Il n'est pas ici question, de "retour à l'ordre" , la plupart de ces peintres s'inscrivaient dès avant-guerre dans un réalisme construit, instruits des leçons du cubisme et de Cézanne mais regardant aussi Corot, Courbet ou Delacroix comme Gauguin, Manet ou Bonnard. Gérard Cochet développera plusieurs thématiques, Il sera le peintre des paysages et des paysans de la Manche, des champs de course, des intérieurs bourgeois et évoquera aussi régulièrement l'univers du théâtre et de la musique, qu'il affectionna tant et que cette exposition met en valeur.

03/2022

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Essais biographiques

Mon Pollock de père

Grand peintre américain, mais aussi professeur de calligraphie et de typographie, Charles Pollock, frère aîné de Jackson Pollock, n'aura laissé que peu de traces de l'existence de son oeuvre avant de mourir à Paris. Sa fille, Francesca, et son épouse Sylvia, mettront alors vingt années à rassembler, archiver, à enfin de faire connaître son travail et sa vie voilés par le silence et la discrétion. Pour quoi et pour qui s'être effacé ? Quels sens donner aux toiles de Charles Pollock et à son silence ? Aiguillonnée par ces questionnements, Francesca Pollock entreprend de (re)nouer un dialogue avec le père qu'elle a perdu à l'âge de 21 ans. La parole, qui fut si rare entre eux, est alors délivrée au moyen d'une écriture à plusieurs voix, celle de l'auteure, celle de Charles Pollock qui affleure des correspondances, de ses écrits et entretiens, mais aussi celle des oeuvres du peintre et de ses contemplateurs qui "parlent" bien plus que tout autre chose. Par le récit, ce n'est pas tant l'histoire de son père que Francesca Pollock désire comprendre et raconter, que sa propre histoire, sa propre vie si liées à celle de Charles Pollock dont elle n'a connu que la vieillesse et très vite sa mort physique. Mais bien plus encore, c'est l'absence de parole et de transmission, formes de morts symboliques qui enveloppent son père tout au long de son vivant : "Ce que j'ai mieux connu de lui, c'est son silence" . Dès lors, que faire, que comprendre, que dire des oeuvres du peintre, lorsque la figure du père ne dit mot ? Francesca Pollock entend extraire son père de ce chaos informe et enténébré dans lequel il s'est plongé, lui et son oeuvre. Cette entreprise passe par un long ouvrage, véritable forage et coups de sonde dans le passé pour excaver l'oeuvre ensevelie et rencontrer ainsi son père. Le lecteur suit, parfois avec anxiété, la gestation douloureuse de l'auteure pour "mettre son père au monde" , et enfin faire oeuvre de vérité, de liberté. Pour la psychanalyste qu'est l'auteure, la tâche n'en est pas moins ardue : il s'agit de déconstruire le mythe bâti autour de l'art et de la personne de Jackson Pollock, mythe qui l'élevait en tant que peintre unique, idée qu'il embrassait et encourageait, excluant ainsi, inconsciemment, l'art de son frère Charles. La délivrance surgit alors au détour de rencontres artistiques - celles surtout du critique d'art et poète Maurice Benhamou - qui, par des regards, des mots neufs, font renaître l'oeuvre de l'artiste et délestent l'auteure : "La pensée qui me submerge, c'est que le regard de Maurice a libéré ton oeuvre, et, ce faisant, il m'a libérée moi" . Tout au long de la narration, le lecteur assiste à une subtile correspondance entre le fond et la forme : des bribes d'histoires balbutiés qui se confondent avec les souvenirs épars de l'auteure jusqu'à la nette chronologie qui trace la vie du peintre et correspond à l'accomplissement des recherches, au sens retrouvé. Avec finesse, Francesca Pollock manie les outils de l'historienne : archives, correspondances, entretiens tirés de la presse ou radiophoniques, extraits de conférences de son père, s'enchevêtrent au coeur du récit, entre souvenirs, anecdotes, pensées de l'auteure, références livresques ou encore critiques des oeuvres du peintre. Ecriture dense donc, mais transparente, franche et d'une grande tendresse qui tire Charles Pollock de la tombe du silence pour s'ériger en tombeau artistique. Illustré de photographies familiales et de reproductions des oeuvres du peintre, l'ouvrage donne à voir, de manière touchante, la force et la cohérence de l'art singulier de Charles Pollock, de la figuration à l'abstraction, où formes et couleurs se cherchent et se correspondent.

04/2022

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Europe

Dictionnaire amoureux de l'Ukraine

Un Dictionnaire amoureux qui nous immerge dans l'âme de l'Ukraine (histoire, littérature, poésie, musique, peinture, géographie, gastronomie...) par Tetiana Andrushchuk, violoniste ukrainienne qui fut professeur au Conservatoire national supérieur de Kiev et Danièle Georget, auteure et rédactrice en chef adjointe à Paris Match. " Nous sommes un peuple de 42 millions d'habitants sur un territoire plus vaste que la France ou qui l'était, jusqu'à ce que la presqu'île de Crimée lui soit arrachée. Notre civilisation est plus ancienne que celle de la Russie, nos liens avec la France remontent au Moyen Age. L'Ukraine était un royaume avec Kiev pour capitale quand Moscou n'était qu'un bourg au milieu de nulle part. Pendant plus de trois siècles, nous sommes passés pour la province d'un empire qui nous avait pris jusqu'à notre nom. Mais lorsque les murailles de l'Union soviétique sont tombées, notre " terre qui n'est pas la nôtre " comme l'écrivait le poète, s'est réveillée. Enfin, elle allait pouvoir choisir son destin et cesser de suivre celui imposé par les autocrates de l'Est. Vingt-deux ans plus tard, Vladimir Poutine a cru pouvoir mettre un terme à cette " récréation ". Au nom d'un génocide, sorti de son imagination, contre les russophones, il a cru que ses soldats seraient accueillis avec le pain et le sel. Pour annexer l'Ukraine, il suffisait de cent cinquante mille hommes et d'un déluge de bombes. Ecrase-t-on une idée avec un marteau ? Je suis née à Kiev. Mon père est mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Il portait l'uniforme soviétique, comme près de sept millions de soldats ukrainiens. Près de la moitié ont été tués. Violoniste, professeur au Conservatoire national supérieur de Kiev, j'ai reçu, à Moscou, les conseils du meilleur des hommes, un des rares violonistes dont les Français connaissaient le nom : David Oïstrak, né en Ukraine où il a étudié et commencé sa carrière. Et j'ai aimé de toute mon âme d'artiste la culture ukrainienne, de Chevtchenko, notre Hugo, à Silvestrov, comme j'ai aimé la culture russe, de Tchaïkovski à Tolstoï et Dostoïevski. Dans l'après-guerre, ma mère qui avait été chanteuse à l'opéra de Kiev, voulut me faire apprendre le français... " A quoi cela lui servira-t-il ? " lui demandait-on. Personne ne pouvait alors quitter l'Union soviétique. J'aimerais aujourd'hui raconter aux Français pourquoi notre identité n'est pas une invention de Maïdan, et pourquoi les Ukrainiens, tenaces, têtus, courageux, à l'image du boxeur Klitchko, montagne des rings qu'aucun coup ne parvenait à ébranler, font envers et contre tout, et depuis si longtemps, le choix de l'Europe et de la démocratie. Une nation est, comme un diamant, composée de milles facettes, si scintillantes que parfois elles nous aveuglent. Nous sommes le passé, le présent, les vivants et les morts, l'histoire et la géographie, la poésie, les oeufs peints de Pâques, les chemises brodées, le bortsch. Et la passion. La Russie, si prompte à renouer avec ses vieux démons, nous accuse du crime de fascisme : mais qui se trompe d'époque ? Aux femmes qui ont accouché sous les bombardements, à ceux qui se sont terrés dans leurs caves, à ceux qui ont passé leur rage en fabriquant des " cocktails ukrainiens ", à ceux qui tiraient les missiles stinger, à ceux qui distribuaient la nourriture dans les supermarchés, à ceux qui posaient les garrots, à ceux qui les fabriquaient, au sniper qui abattit le général Tchétchène, à tous ceux qui se sont battus, à ceux qui ont attendu. Et même à ceux qui doutent encore que l'Ukraine existe, je dédie ce livre. "

05/2022

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Faits de société

J'ai survécu à la drogue, à la pédophilie et à la traite sexuelle

Un témoignage très dur. La jeune autrice et militante Maïté Lonne se raconte sans tabous dans un livre autobiographique poignant. Entre violences intrafamiliales et abus sexuels, elle vivra en vase clos et la peur constante d'être tuée. Dès le début de l'adolescence, c'est la dégringolade, entre autodestruction, les hôpitaux psychiatriques, les foyers de l'aide à l'enfance, la drogue, la rue et les viols multiples. Tout se passe surtout en Belgique. Elle est victime de traite des êtres humains dans un réseaux d'exploitation sexuelle. Pendant cette période, elle est vendue sur des sites lambdas tels que "2eme main" entre deux tables. Elle est livrée dans des hôtels de passe, chez des particuliers violents et dans des clubs. Violée, menacée d'une arme à feu, frappée, abandonnée la nuit sur le bord d'une route, elle survira. La jeune femme raconte les difficultés liées aux trauma complexes, à ses multiples rapports au monde et à son corps, qui fut un objet de déviants. Laissons parler l'auteure : (...) d'un père norvégien alcoolique, drogué, schizophrène et artiste peintre, et d'une mère belge, danseuse, d'origine ashkénaze, très mal dans sa peau. Vers l'âge de 8 mois, elle décide de prendre la fuite pour me protéger, en revenant dans son pays natale, la Belgique. Mes grands parents, plutôt bourgeois, autoritaires, et violents, prennent la place du père qui brille par son absence. Mon grand-père est ancien procureur, un homme ancien militaire obsédé par l'éducation et la réussite dans son sens le plus stricte. Ma grand mère est une survivante de la seconde guerre mondiale et m'apprendra à vivre dans la peur constante d'être tuée. Je vie en vase clos, enfermée par deux vieilles personnes abusives et maltraitantes. Très jeune, je suis abusée sexuellement par mon cousin, et ensuite par mon beau-père. Ma mère devient violente physiquement. Mes grands parents sont violents psychologiquement. Vers l'âge de 13 ans je suis placée en unité psychiatrique suite à une tentative de suicide et des multiples automutilations. Je suis assommée à coup de calmants sans être soignée. Par la suite je suis placée dans un foyer de l'aide à l'enfance et j'y découvre la rue, les drogues, la délinquance et la violence extrême (...). Points forts : Maltraitance - Viols- traite des êtres humains - drogue - femme-objet - violences - Reconstruction Ce qu'en dit l'Editeur : Maïté Lonne parle à coeur ouvert, avec douleur, force et un désir extraordinaire de reconstruction. Elle s'investit dans la pédagogie avec courage et conviction. Son ouvrage donne la nausée au sujet de certains humains inhumains. Ils existent ces prédateurs, ces consommateurs, ces destructeurs. Elle l'a vécu. Elle aurait pu en mourir. Elle apprend à se réapproprier et à se régénérer. Son témoignage puisse-t-il servir à tous ces femmes victimes de monstres ! L'auteure : née à Oslo en 1992, Maïté Lonne est éducatrice. Elle navigue entre France et Belgique en vivant entre Bruxelles et Paris. Elle s'est mise à la disposition de la Commission européenne, de Child Focus en Belgique, et plaide devant différents Parlements sur des thématiques telles que l'exploitation sexuelle et les violences sexuelles. Elle a aussi représenté l'Europe lors de l'ouverture de la campagne mondiale WithHer initiée par les Nations-Unies et Spotlight Initiative (USA). Elle a publié un ouvrage sur les Maltraitances faites aux humains et aux animaux. Elle signe ici une autobiographie, le récit horrible de ce qu'elle a subi, viols, drogue, traite d'être humains, clubs de sexe, etc, et surtout l'apprentissage de sa reconstruction. L'auteure se rend également dans les écoles pour sensibiliser les adolescents aux côtés de la Fondation Samilia. L'auteure contribue à la réalisation d'un documentaire TV qui sortira en 2024 presqu'en même temps que son livre témoin. A lire et à voir donc.

03/2024

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Histoire de l'art

L'adresse au paysage. Figures de la montagne de Jean-Antoine Linck à Marianne Werefkin

Les auteurs proposent une lecture des représentations de la montagne depuis les dernières décennies du XVIIIe siècle - quand la moyenne et haute montagne des Alpes devient un sujet pour les peintres - jusqu'aux années 1930. Les auteurs proposent une lecture des représentations de la montagne depuis les dernières décennies du XVIIIe siècle - quand la moyenne et haute montagne des Alpes devient un sujet pour les peintres - jusqu'aux années 1930. Tableaux, aquarelles, dessins, gravures et photographies, certains célèbres et " incontournables ", d'autres méconnus, plus rarement vus, mais tous de grande qualité, ont été très précisément choisis. " La montagne ", une et multiple, est une formation géologique immémorielle et vivante, une entité imaginaire ettopographique, un objet d'étude et de projection fantasmatique, un milieu habité et un motif pictural inépuisable... S'adresser au paysage suppose qu'il n'est pas qu'étendue (géographique), milieu (biologique) ou décor (d'une intrigue ou d'un récit) ; cela suppose qu'il constitue une entité suffisamment personnifiée pour être le destinataire d'une parole ou d'une pensée adressée ; on s'adresse à quelqu'un. L'idée romantique que le paysage peut véhiculer, manifester, refléter ou exprimer un état d'âme a contribué à cette possibilité d'une " adresse au paysage ". Le premier ressort de l'intérêt pour la montagne qui se manifesta à l'époque des Lumières fut scientifique : ce milieu retiré et hostile, haut-lieu de l'imaginaire, matrice de mythes et de légendes, devint alors un terrain d'étude pour les naturalistes, qui s'attelèrent à résoudre les énigmes de la formation des reliefs géologiques, du cycle de l'eau, des effets de l'altitude... Les deux approches - puissance imaginaire et visée de connaissance - ont orienté également le travail des artistes confrontés aux paysages alpins. Elles constituent deux veines, deux tendances qui, souvent, se mêlent au sein d'une même oeuvre, à des degrés divers et de manière plus ou moins délibérée de la part de l'artiste. L'exposition et le livre présentent certains aspects particulièrement saillants de cette histoire. Ouverts avec Linck, soit une pratique de la peinture accordée à une connaissance de la montagne, ils débouchent sur l'oeuvre expressionniste de la peintre russe Marianne Werefkin (1860-1938), encore très peu connue en France, dont le musée d'Ascona a consenti le prêt exceptionnel de huit grandes peintures. Formée au grand style réaliste à Saint-Pétersbourg, elle interrompit une carrière prometteuse pour poursuivre sa quête d'un art nouveau. En 1896, elle s'installa à Munich avec Alexei Jawlensky, qui fut son compagnon pendant près de trente ans. Après l'aventure du Blaue Reiter, et la Grande Guerre, elle passa les vingt dernières années de sa vie à Ascona, qui était alors un village de pêcheurs, sur la rive suisse du lac Majeur. Déjà présent dans sa peinture, le motif de la montagne se renforce, multipliant les symboliques, parfois jusqu'à l'allégorie. Les hautes montagnes au profil caractéristique qui entourent le lac y apparaissent souvent, bien que transfigurées par la force expressive de la couleur. Elles sont à la fois des figures à part entière et le cadre de scènes hallucinées où l'être humain et la grande nature se confrontent, dans un rapport de force variable allant de la coexistence harmonieuse à l'exploitation. ARTISTES REPRESENTES : Giuseppe Pietro Bagetti - Louis Bélanger - Samuel Birmann - Bisson Frères - Marc-Théodore Bourrit - Adolphe Braun - Paul Cabaud - Alexandre Calame - Carl Ludwig Hackert - Victor Hugo - Pierre-Louis de La Rive - Jean-Antoine Linck - Gabriel Loppé - Frédéric Martens / Eugène Cicéri - Johann Jakob Scheuchzer / Johann Melchior Füssli - Vittorio Sella - Giorgio Sommer - Charles Soulier - Georges Tairraz (père) - Elisabeth Vigée-Lebrun - Marianne Werefkin - Edward Whymper - Caspar Wolf

05/2023

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Histoire du sport

L'Olympisme. Une invention moderne, un héritage antique

Prenant part à la programmation culturelle des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, l'exposition propose au public de découvrir la création des premiers Jeux Olympiques modernes, d'en saisir le contexte politique et de comprendre comment et pourquoi ses organisateurs ont voulu réinventer les concours de la Grèce antique. A partir d'archives inédites, d'objets jamais montrés et d'oeuvres d'art antique emblématiques, elle montre comment cette réinvention repose sur une combinaison orientée des sources antiques (textes, images et vestiges), faisant de l'olympisme moderne une illusion collective mais efficace. Le catalogue qui l'accompagne prolonge et illustre cette perspective. Il rappelle comment Paris, trois fois capitale olympique (1900, 1924, 2024), a été aussi le berceau où est née en 1894 l'idée de l'olympisme moderne : les collections du Louvre et la formation des artistes de l'Ecole des Beaux-Arts, la Sorbonne, le Collège de France et les réformes de l'instruction ou encore le milieu philhellène de Paris, forment le cadre où ont évolué des personnalités célébrissimes, comme Pierre de Coubertin, ou mal connues ou inconnues du grand public, comme l'écrivain grec Démétrios Vikélas, le philologue français Michel Bréal ou l'artiste suisse Emile Gilliéron. Grâce à l'exploitation du fonds d'archives inédites de l'atelier de E. Gilliéron déposé récemment à l'Ecole française d'Athènes, il est aujourd'hui possible d'analyser précisément la fabrique de la première iconographique olympique, de 1896 à 1924, inspirée des images antiques et déclinée en affiches, trophées, médailles, timbres et cartes postales. A l'aide de documents d'époque, comme la chronophotographie, est aussi retracé le processus de réinvention de gestes sportifs grecs, comme le lancer du disque. Enfin le catalogue montre comment cette réinvention, qui est aussi une manipulation des sources, occasionne des dérives nationales ou internationales, des exclusions ou des stéréotypes dont les études classiques ont été d'une certaine manière les victimes. L'ensemble des textes qui composent le catalogue fournissent ainsi les clés pour comprendre les enjeux de l'olympisme moderne. Editeurs scientifiques : Christina Mitsopoulou est archéologue, formée à l'université de la Sorbonne et l'Université d'Athènes, en Histoire de l'Art et Archéologie grecque. Spécialiste de l'archéologie des cultes, de céramique, petits objets et d'iconographie, son activité de terrain a surtout porté sur la région des Cyclades et l'Attique (Eleusis). Par sa formation comme guide culturelle en Grèce elle tire aussi une expérience de la topographie et de la communication du savoir académique vers un plus grand public. Depuis 2013 elle a étendu ses recherches vers le domaine de l'histoire de l'archéologie et des questions d'authenticité en art antique. Enseignante à l'Université de Thessalie en Grèce, elle mène depuis 2017 un projet de recherches au sujet du fonds Gilliéron à l'Ecole française d'Athènes, d'où est issue la présente exposition. Alexandre Farnoux est professeur d'archéologie et d'histoire de l'art grec à Sorbonne Université depuis 2001. Ancien directeur de l'Ecole française d'Athènes (2011-2019), il a fouillé en Macédoine, dans les Cyclades et en Crète. Il mène des recherches sur la civilisation grecque, en particulier sur le sport, et en histoire de l'archéologie, par exemple sur A. Evans et la découverte de la Crète ou sur la réception d'Homère. Il a été co-commissaire en 2019 de l'exposition Homère au Louvre-Lens et de l'exposition Christian Zervos, le tournant archaïque, au musée Benaki à Athènes. Violaine Jeammet est conservatrice générale au département des Antiquités grecques, romaines et étrusques du musée du Louvre. Spécialiste des figurines en terre-cuite grecques et romaines et membre associée de l'UMR 8164-HALMA, , elle enseigne à l'Ecole du Louvre. Commissaire ou co-commissaire de nombreuses expositions, dont l'exposition Tanagra-Mythe et archéologie au Louvre en 2003, elle conduit des études plus particulièrement sur l'artisanat et la polychromie antique.

04/2024

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Monographies

Chères images. Peinture et écriture chez Gilles Aillaud

Dans son hommage à la peinture figurative et animalière de Gilles Aillaud, Nicolas Pesquès entremêle avec finesse notations poétiques, fragments de théorie sur l'art, descriptions de tableaux, bribes de souvenirs en compagnie du peintre. Le côtoiement des formes et des couleurs de Gilles Aillaud, l'encourageant à écrire, semble lui révéler en même temps qu'écrire et peindre sont deux formes d'un semblable besoin d'expression, qui, sans se confondre, convergent vers la même question impossible. "? La seule question qui vaille est celle à laquelle on ne peut pas répondre. Les bêtes nous indiquent la possibilité de ne pas la poser. L'expression est ce que nous avons trouvé de mieux pour ne pas la résoudre sans l'étouffer. Par la peinture, par le poème, nous la restituons dans son malheur. ? " (Dans le mauve à l'aplomb des corbeaux) On ne trouvera aucune réponse définitive à l'énigmatique question, ni dans la peinture de Gilles Aillaud, ni dans la littérature de Nicolas Pesquès ? ; seulement "? des formules possibles, inventives et vouées à la vision de sa nuit ? ". La formule qu'il invente dans son livre s'élabore dans une intimité étroite et de longue date avec l'oeuvre de l'artiste lié au courant de la Figuration narrative. Ce volume constitue une traversée de la peinture de Gilles Aillaud en cinq chapitres ? : Dans le mauve à l'aplomb des corbeaux (texte d'une monographie parue chez André Dimanche en 2005), Pan ! (paru dans Sans peinture, L'Atelier contemporain, 2017), Après l'image, Chères images, et Vous la dirai-je (inédits). Cherchant sans relâche une manière de dire attentive à l'étrangeté de ce qui se présente, Nicolas Pesquès tente de cerner au plus près la singularité du sillon creusé par le peintre dans la réalité rugueuse ? : "? Peindre ce que l'on a devant soi, présenter le monde. Gilles Aillaud, une fois accompli le choix de cet écart plutôt que celui de la philosophie - mais celle-ci n'a pas cessé d'accompagner sa démarche -, n'a jamais eu d'autre souci. Il s'est d'emblée installé au coeur perpétuel de la peinture. ? " Ce coeur de la peinture, ce noyau, chez Gilles Aillaud, est celui d'une figuration des existences animales, végétales, minérales ? : "? Il ouvre et accède au monde. A ses rivages, à ses arbres, à ses cailloux. Il ouvre et accède au grand large de l'anonyme flux des choses précises. ? " (Dans le mauve à l'aplomb des corbeaux) Choses anonymes et précises à la fois, que le peintre saisit à la croisée du mystère de leur venue et de l'évidence de leur présence. L'écrivain tente de suivre le peintre dans ce flux, ce labyrinthe où il s'est engouffré, où l'idée d'achèvement n'a plus cours, où seuls comptent les mouvements de la pensée et les gestes de la main, toujours à recommencer ? : "? Le labyrinthe ? : c'est l'autre nom du dehors, c'est tout ce qui est là? : le paysage, la bête qui vaque, la main qui dessine, l'homme qui bifurque et continue. C'est peut-être la première image, celle de notre connaissance des choses, de la peinture, etc. Gilles Aillaud a toujours voulu y revenir, y séjourner. Que faire après l'image s'il n'y a rien avant ?? En produire d'autres, de nouveaux textes, de nouveaux tableaux ? ; c'est cela vivre dans le labyrinthe. ? " (Après l'image) Le labyrinthe, à la fin, apparaît comme un fourmillement d'images. Non seulement celles de la peinture, mais aussi celles du langage, qui toutes deux défont les logiques discursives et grammaticales parfois réductrices. Si la rencontre entre la peinture et la parole a lieu, c'est par la grâce d'un étoilement d'images ? : "? Et si l'idiome commun à toutes les expressions était l'image ?? Et qu'à l'empire du discours on puisse opposer un étoilement du corps et de la pensée, un rayonnement de plusieurs puissances. Une imagerie venue de partout et de tous nos sens. Ce serait l'empire de l'image, toutes images confondues, pour faire rentrer le discours dans le rang. Décoloniser l'espace occupé par la grammaire, laisser les images à leur tâche, nous abasourdir par leur manège et leur grégarité. ? " (Vous la dirai-je)

09/2023

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Religion

Communio N° 179 : L'Europe unie et le christianisme

Editorial : Olivier Chaline : L'Eglise et l'Europe en voie d'union : quelles présences de l'une à l'autre ? Thème : L'Europe unie face au christianisme Aldino Cazzago : Jean-Paul II : l'Europe dont je rêve Dans un parcours historique des interventions pontificales, l'article montre que Jean-Paul II s'est attaché sans relâche à défendre la vocation spirituelle de l'Europe enracinée dans le christianisme qui, seule, peut faire d'elle une communauté pleinement humaine. Ysabel de Andia : Ecclesia in Europa Expert au Synode des évêques pour l'Europe, l'auteur tire les conclusions de l'exhortation Ecclesia in Europa qui, devant "l'apostasie silencieuse" d'une Europe rejetant ses racines chrétiennes, l'invite à revenir au Christ, source de toute Espérance : c'est dans la fidélité à sa vocation spirituelle qu'elle peut réussir à intégrer de nouveaux pays et à promouvoir une mondialisation solidaire ; de Benoît à Edith Stein, ses saints patrons lui montrent la voie à suivre. Rémi Brague : Le christianisme comme forme de la culture européenne On ne peut faire du christianisme un des contenus de la culture européenne : ill offre ce caractère unique d'être une religion et rien d'autre qui, dans sa dépendance du judaïsme qui l'a précédé et du cadre culturel gréco-latin où il s'est établi, a instauré avec eux une relation spécifique : il n'en a pas seulement hérité, il les a acceptés dans un rapport de reconnaissance fait de gratitude et de respect. Olivier Chaline : Ni maîtresse ni servante : l'Eglise et l'Europe en voie d'union Le christianisme peut aider l'Europe en voie d'union politique en l'empêchant de se refermer sur ses habitants, en lui rappelant qu'elle n'est pas sa propre fin et en lui opposant des limitations, voire des forces de résistance le cas échéant. Piotr M. A. Cywkinski et Marcin Przeciszewski : L'Eglise en Pologne après 1989 face aux nouveaux défis de la démocratie Comme son titre l'indique, l'article donne une analyse détaillée de l'évolution du catholicisme polonais depuis que la Pologne est libérée du régime communiste, jusqu'à son intégration à l'union européenne, fortement appuyée par le pape Jean-Paul II et l'épiscopat polonais. De Jean-Paul II à Benoît XVI Serge Landes : Action de grâces Il serait aujourd'hui prématuré de comprendre dans son intégralité le pontificat qui vient de s'achever, il est encore bon de méditer de quelle façon, dans son agonie et sa mort, Jean-Paul II est resté jusqu'au terme de sa vie configuré au Christ. Jean-Robert Armogathe : La Méditation sur l'Eglise de Benoît XVI Avant de devenir pape, le cardinal Joseph Ratzinger avait, de longue date, élaboré une oeuvre théologique personnelle, centrée sur la présence de l'Eglise dans l'histoire des hommes. Dans cette perspective ecclésiologique, il est possible de formuler un oecuménisme de communion. Signets Xavier Tilliette : Claudel bibliste Durant les vingt dernières années de sa vie, Claudel, le poète qui "aimait la Bible" , s'est "agenouillé à l'Ecriture Sainte... . , avec un entrain, une alacrité, une allégresse qui ont constamment accru son bonheur et régénéré son écriture" . Christophe Dufour : La religion populaire : Pastorale diocésaine et "Ostensions" dans le Limousin Comment un évêque peut-il réagir en découvrant dans son diocèse une tradition religieuse qui, depuis le Moyen Age, mobilise l'ensemble d'une population dite déchristianisée ? Serviteur de son peuple, le pasteur reconnaît là une manifestation de sa foi et voit un lien entre l'évangélisation et cette forme de religion populaire, veillant à la purifier de toute superstition et à s'appuyer sur le sens mystique et la prière qui habitent le coeur de ses ouailles. Didier Laroque : My Architect. A son's journey Le film de Nathaniel Kahn, en reconstituant la vie de son père, un des plus grands architectes américains, permet de réfléchir sur la relation entre volonté d'art et vie morale, exigence de cohérence démentie par l'opinion qui fait de l'artiste un être voué au dérèglement. Le film, tout en montrant la souffrance filiale qui est le prix du génie paternel, est à l'unisson de l'oeuvre du Bâtisseur par la qualité des images et la profondeur de vue de l'Ecriture du Fils. Jean Clapier : Thérèse de Lisieux et la souffrance humaine Thérèse de Lisieux a trouvé dans l'expérience de da souffrance, vécue dans l'amour de Jésus, le sens de sa vocation : participer, en union avec le Crucifié, à son oeuvre de rédemption. C'est ce dont témoignent les textes réunis dans cet article.

06/2005

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Thèmes photo

Lost Shadows

En Camargue, Marco Rigamonti a rencontré un monde premier, l'eau et la terre épousant leurs intensités sous un ciel de lumière pure. Les paysages qu'il contemple sont silencieux. L'homme est passé par là, qui disparaîtra plus vite que la forme des lieux. Percevant les correspondances entre les objets façonnés et le territoire qui les porte, le photographe aborde l'espace comme on le respire, calmement, les poumons se remplissant d'air, puis se vidant. Ses images sont ainsi dépouillées d'affects faciles ou de sentimentalité, la psychologie étant le plus souvent une taie entre le regardeur et les scènes qu'il reçoit. Au pays des manades, Marco Rigamonti propose un voyage dans l'ocre et la grâce de toute présence, entre allègement du moi et solennité très ancienne. Il y a dans ses rectangles de vision de la gravité, mais aussi de l'absurde et de l'humour spontané, sans moquerie. L'émouvante intimité des choses y rencontre le saugrenu, ou l'incongru, et l'éclat de la vérité de ce qui est, simplement baigné de soleil, la malice du spectateur. On entre en ses photographies comme on pénètre dans une arène sans savoir d'où viendra l'animal qu'il nous faudra affronter dans un combat plus spirituel que physique. Les signes de la culture camarguaise sont montrés, entre sentiment de survivance de l'ethos d'un peuple et surprise d'advenue. Si l'on perçoit ici de l'oisiveté, ce n'est pas au sens du vice que déploraient nos grands-mères, et les affairés du Spectacle tournant sans fin dans le vide, mais au sens du souci du soi des Antiques, cette sagesse dans l'approche du temps et des corps jetés dans l'impermanence. C'est une attente sans drame sous la brise chaude, ou les rayons de plomb, une conscience de la maturation nécessaire pour que chaque entité - végétale, animale, humaine - arrive à son terme en développant le meilleur de son suc. Marco Rigamonti a photographié un Far-West français à la fois drôle et sauvage, ouvert à tous les êtres ayant su préserver leur part d'indocilité, leur liberté, leur grain de folie. La Camargue qu'il révèle, sèche et recouverte d'eau séminale, est une puissance, un royaume camarade pour les solitaires, un désert où affronter, front droit, la Camarde. Dans le dialogisme de ses images, un tuyau d'arrosage est bien plus qu'une ligne de caoutchouc serpentant dans le sable, c'est aussi, dans la conversation secrète des formes, l'arcature surplombant une fontaine en construction, le rail d'un train fantôme, ou la courbe délicieuse d'un tobogan. S'il est identifiable sur une carte de géographie, l'espace qu'arpente l'artiste italien est aussi de l'ordre d'une cosa mentale peuplée de signes pouvant paraître étranges pour les non-initiés, comme des archétypes sibyllins. On peut penser à la peinture métaphysique de Giorgio De Chirico, et à la sensation troublante d'un monde de pure autonomie échappant à la causalité ordinaire. En ces territoires de sable et de poussière, des Aliens débarqueront peut-être, les tables de pique-nique arachnéennes n'étant d'ailleurs pas sans rappeler tel épisode fameux de La Guerre des étoiles. Par petites touches et décalages de détails, presque imperceptiblement, Marco Rigamonti nous fait entrer dans une fiction où un homme torée une camionnette, et où les éléments de la réalité semblent concourir à la construction d'un vaste trompe-l'oeil. Plane en ce pays unique, et rempli d'artefacts, une âme taurine gigantesque, comme si le moindre acte, la moindre scène, était regardée par qui a déjà été soumis au combat ultime, et l'a perdu. Voyant défiler les grandes étapes de son cadre familier, le bel animal trépassé prend le temps, luxe pour une noble bête à cornes élevée pour la lutte - mais l'éternité n'est pas pressée -, d'aller flâner du côté de Piémanson, de ses caravanes parfois éventrées, de ses pirates, de ses baigneuses graciles et de ses touristes égarés. Par la stupeur sereine de ses images, et leur douce ironie, le photographe affirme qu'il n'y a pas de pureté identitaire, mais un jeu, certes sérieux, intime, avec les codes de l'appartenance, ce qui ne peut que réjouir. Faulkner l'écrivait : "Le temps ne passe pas, il n'est même pas passé". Fabien Ribery

09/2023

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Beaux arts

Picasso

A la fois biographique et réflexive, cette monographie cherche à répondre à un certain nombre de questions que soulèvent le tempérament artistique et l'oeuvre exceptionnelle de Picasso surgis à une époque non moins exceptionnelle. Picasso y est considéré en fonction de sa situation en son temps, au sens le plus large du mot, bien au-delà des amitiés et des rivalités strictement artistiques du milieu parisien et français. Lui-même par nombre de ses prises de position n'a-t-il pas affirmé qu'il refusait de s'enfermer dans l'atelier et se réservait le droit d'intervenir dans les affaires du monde - d'y réagir et de leur répondre ? C'est donc d'un Picasso résolument moderne parce que constamment et consciemment confronté à la modernité du monde qu'il s'agira de montrer : comment il laisse cette modernité pénétrer dans ses travaux - matériaux, images, techniques, inventions - et comment, en réaction contre elle, il donne forme picturale ou sculpturale à des archétypes - à des passions, à des pulsions- dont, à ses yeux en tout cas, la permanence atteste de l'intemporalité. Mouvement d'acceptation mouvement de refus : cette confrontation sans trêve est, peut-être, l'explication la plus satisfaisante que l'on puisse avancer de la volonté de changement qui l'a animé au point de laisser l'oeuvre la plus polymorphe et la plus diverse de toute l'histoire de l'art. La réflexion se développe ainsi en quatre mouvements. Le premier, qui s'achève peu avant que la Première Guerre Mondiale révèle la face terrible de la modernité scientifique et industrielle, est celui de l'ouverture à toutes les modernités. La traversée rapide des styles artistiques issus de la Renaissance - de ce qui a été l'art et son histoire jusqu'alors- conduit au moment critique par excellence : le primitivisme, qui peut être pensé comme la négation résolue du moderne, et le cubisme, qui apparaît à l'inverse comme son acceptation et la façon la plus radicale d'en tirer les conséquences plastiques. Le deuxième, dont la conjonction du cubisme et d'un dessin quasi ingresque à Avignon au début de l'été 14 marque le commencement et qui dure jusqu'au début des années 30, se caractérise à l'évidence par la simultanéité de pratiques et de styles si distincts qu'on peut les penser incompatibles, le post-cubisme qui ne disparaît pas, le "néo-classicisme" et l'invention d'une autre peinture encore. Cette période pourrait être dite celle de l'artiste "maître du monde" , puisque capable de donner à chaque sujet et à chaque sentiment sa forme visuelle la plus juste - maîtrise qui est aussi celle d'une "vedette" à la prospérité visible, soupçonnable d'embourgeoisement ; celle, en somme, d'un Picasso assuré de ses moyens et de sa logique, de sa position et de sa gloire. La troisième se place sous le signe des monstres, quand la maîtrise maintenue pendant une quinzaine d'années éclate sous la pression d'évènements publics et privés qui sont tous de l'ordre du désordre et du drame. Il n'y aura pas d'ordre, il n'aura que des tragédies. Il n'y a donc plus lieu de maintenir l'équilibre complémentaire entre plusieurs styles, mais de se précipiter dans l'expérimentation, du côté des terreurs et des crimes avec pour principaux compagnons les surréalistes et surtout André Breton. A moins que l'on ne veuille reconnaître dans l'oeuvre picassienne des années 30 et 40 quelque chose comme l'équivalent de l'analyse freudienne - celle du "malaise dans la civilisation" qui tourne à la catastrophe. Ces vérités montrées, que reste-t-il à faire ? D'une part à pousser à ses extrémités les plus affolantes l'expérience de la violence - ce qui a donné la "dernière période" de l'oeuvre selon les terminologies habituelles, longtemps la moins admise et la plus redoutée. Et d'autre part à démontrer par la reprise et la mise à nu de leurs toiles que les grands prédécesseurs de Picasso avaient donné de l'humanité des représentations qu'il suffit de durcir pour y reconnaître les scènes d'Eros et de Thanatos, les Femmes d'Alger et le Massacre des Innocents, le Déjeuner sur l'herbe et L'enlèvement des Sabines. Dans un monde occidental qui se glorifie de ses nouveautés et de sa prospérité, le vieux Picasso rappelle inlassablement - et non sans une cruauté désabusée- que l'histoire est vouée à finir par des désastres - y compris l'histoire de l'art du reste.

10/2008

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Littérature étrangère

Tous les jours sont des nuits

Elle s’appelle Gillian, elle est belle, elle a du succès, elle est aimée. Mais le début du livre renvoie toutes ces phrases au passé, y compris la première. Est-elle en effet encore Gillian au moment où débute le roman ? N’a-t-elle pas tout perdu, jusqu’au reflet d’elle-même ? Une nuit, au retour d’une soirée trop arrosée, après une dispute, Gillian et son mari Matthias, qui travaillent tous deux pour la télévision, ont un accident de voiture en heurtant un chevreuil sur une petite route qui traverse la forêt. Matthias, qui conduisait, meurt sur le coup. Gillian se réveille à l’hôpital et découvre qu’elle n’a plus de visage. Toute la belle façade s’écroule, tout ce qui faisait sa vie a disparu. Gillian doit subir plusieurs opérations de chirurgie plastique. Elle qui était toujours entourée, admirée, sollicitée, découvre la solitude et l’absence de vraie amitié. Même sa mère n’ose plus aller la voir. Pour Gillian, les jours deviennent des nuits. Après cette première partie, Peter Stamm fait un saut en arrière et raconte la rencontre entre Gillian et Herbert, un artiste qui peint des nus à partir de photos. Croisé sur un plateau de télévision, il finit, après quelques échanges de mails, par photographier et peindre Gillian nue dans son atelier. Ce sont en fait les photos de ce travail qui ont déclenché la dispute fatale avec Matthias. Ce dernier avait en effet découvert par hasard la pellicule dans un tiroir du bureau de Gillian et l’avait faite développer. Outre un fort sentiment de culpabilité, Gillian en retire l’idée que l’art peut tuer, mais aussi la conviction que sa vie n’était jusque-là qu’une simple mise en scène fondée sur les apparences. La troisième partie nous emmène sept ans plus tard. Herbert traverse une crise existentielle. Incapable de peindre depuis plusieurs années, il a finalement accepté un poste de professeur aux Beaux-Arts. Un jour, il reçoit l’invitation d’une fondation culturelle dans les montagnes de l’Engadine, qui lui donne carte blanche pour faire une exposition. Après de longues hésitations, il finit par accepter, d’autant plus que sa compagne, avec qui il a un petit garçon de sept ans maintenant, vient de le quitter. C’est là qu’il retrouve Gillian qui, après sa guérison, a fui le monde des médias et a trouvé un travail d’animatrice culturelle, loin de la ville et de ses attraits, dans le centre de loisirs qui jouxte la fondation culturelle. Peter Stamm est trop bon romancier pour confier cette rencontre au hasard : c’est en fait Gillian (qui se fait désormais appeler Jill) qui a convaincu le directeur du centre culturel d’inviter Hubert et de lui proposer de faire une exposition. Si tous les jours sont des nuits quand l’amour disparait, les nuits peuvent devenir des jours quand le bonheur d’être ensemble est là, pour reprendre les dernières lignes du sonnet de Shakespeare mis en exergue au début du livre. Mais Peter Stamm sait aussi éviter les pièges des réconciliations prématurées, c’est le prix de la liberté de ses personnages qui ne réagissent pas toujours comme on l’attend. Ici, la vie n’est pas un songe, elle est un jeu dont on doit maitriser les règles pour ne pas se faire rejeter. Mais dont on peut aussi rejeter les règles, si on en a le courage. Peter Stamm écrit comme on compose un patchwork, mêlant par assemblage de phrases courtes, des éléments parfois très dissemblables (souvent des notations psychologiques et des détails apparents ou bien des sensations physiques et des sensations mentales) qui, avec le recul, composent sans pathos la densité d’une histoire à la fois ordinaire et hors du commun, dans la mesure où la banalité des gestes et des pensées retrouvent mystère et intensité grâce à une prose discrète dont la simplicité et la naïveté apparentes sont d’une précision chirurgicale. Les personnages de Peter Stamm mettent ici en scène la possibilité de changer de vie après une brusque catastrophe ou même simplement une banale vie d’ennui et d’erreurs. Ainsi, après son accident et le deuil une fois surmonté, Gillian ne se laisse pas écraser par le chagrin, le regret, le remords : elle accepte la perte et tente de construire une nouvelle existence sur des valeurs qui ne sont désormais plus extérieures à ce qu’elle est au fond d’elle-même. Il n’en sera peut-être pas de même pour Hubert qui, après de merveilleux mois passés avec Jill, semble prêt à se laisser de nouveau happer par l’habitude et le confort d’une vie qui n’est autre que la répétition annoncée de l’échec. Peter Stamm ne nous dit pas tout. Il n’a d’ailleurs jamais tout dit au fil de ce roman, mais beaucoup suggéré, et les harmoniques du possible vibrent encore longtemps dans notre mémoire, une fois le livre refermé.

08/2014

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Théâtre - Pièces

Théâtre 2002-2017. Tome 2

Ce volume fait suite à Théâtre 1987-2001 et reprend huit pièces de Pascal Rambert déjà publiées entre 2005 et 2017. Mon fantôme (cantate), Toute la vie, L'Art du théâtre, Répétition, Lac, Libido sciendi, Argument,. Mon fantôme (cantate) (2005) Où est la nuit ? qui m'aimera ? et la girafe ? et le grand cerf ? et les abeilles ? et l'ours et les colonies de choses volantes et rampantes ? et le ciel ? et l'étendue ? qui peindra l'étendue ? Pour s'endormir, un enfant s'invente un personnage imaginaire avec lequel il discute. Il l'appelle Mon Fantôme. Commande de France Culture, ce texte est à destination des enfants. Toute la vie (2007) Tu m'aimes je t'aime on s'aime on est qui quand on s'aime on est qui ? on est où quand on s'aime ? on est où ? on est qui ? on est devenu qui ? Ah ! parcourt le monde. Ah ! parcourt des formes artistiques. La question : "Qu'est-ce qu'être soi-même ? " rythme son voyage. Une seule réponse : "J'avance" . Pièce d'anticipation, Toute la vie est une fresque à jouer, danser et chanter dans le futur. L'Art du théâtre (2007) L'Art du théâtre est construite en parallèle de Toute la vie. Dans cette pièce, présentée tel un manifeste par Pascal Rambert, un acteur raconte l'art du théâtre à son chien cocker. Les deux textes peuvent être indépendants ou se monter ensemble, le premier étant comme un petit Dogma du second. Répétition (2014) Je suis issu du rêve de Denis qui lui-même est issu du rêve d'Emmanuelle qui elle-même est issue du rêve d'Audrey. Nous sommes chacun des habitants du rêve de l'autre nous croyons vivre dans le monde réel mais nous vivons notre vie nous la passons dans le rêve des autres Dans l'intimité d'une répétition de théâtre, quatre acteurs s'observent. L'un après l'autre, ils prennent la parole et enflamment une mèche dévastatrice qui ne s'éteindra qu'après que les mots aient accompli la tache précise qui leur était assignée. Lac (2015) Je pensais que je ne pouvais imaginer beaucoup on m'avait toujours dit ne rêve pas on m'avait toujours dit l'imagination c'est bien beau on m'avait toujours dit ce genre d'idioties or j'ai décidé de monter sur le théâtre pour combattre cela et ça me paraît aussi important en tout cas pas moindre que de s'engager sur des terrains de conflits réels dont la mort est la sanction Pascal Rambert a écrit cette pièce pour les étudiants comédiens de la Manufacture (Bachelor Théâtre, 2012-2015), après les avoir rencontrés. "Une histoire de langue mettant en ligne seize corps moins un face à la mort, au sexe et au crime" (PR). Libido sciendi (2015) Ils montent l'escalier ils s'arre^tent ils regardent le lustre Giacometti ils respirent elle enle`ve son tee-shirt il enle`ve le sien elle de ? boutonne son pantalon les pantalons tombent ils respirent je vois la rampe en fer forge ? dix-septie`me ils se regardent ils sont nus dans le grand escalier elle monte quelques marches elle respire il la regarde elle e ? tire ses bras elle respire ils regardent le lustre Giacometti Libido sciendi est une pie`ce de danse créée au festival Montpellier Danse en 2008, dans une mise en scène de l'auteur, réactualisée en 2014 au Musée Picasso à Paris. Argument (2015) Cessez voulez-vous Annabelle ce chant funèbre l'air est lugubre le ciel bas la nuit épaisse j'ai peur si je ferme les yeux j'entends j'entends si je me concentre bien fermez les yeux écoutez écoutez entendez-vous ces coups de canons ces tirs secs des fusils l'air comme un gaz porteur met dans nos oreilles les sons de Paris écoutez écoutez on s'y bat les murailles cèdent les corps tombent on dresse la barricade ça claque l'artillerie sera sortie elle aura anéanti vos amis aux grandes idées Argument renvoie à l'histoire de la Commune, au travers d'une scène tragique et magique où les convictions conservatrices s'opposent aux forces révolutionnaires, sur fond imaginaire de toile de Jouy. Une vie (2017) Pourquoi on va au théâtre ? Pour dévorer du visage. C'est des cibles mouvantes les acteurs. On les regarde. On les suit comme ça. Ces déplacements. C'est fantastique. On voudrait pouvoir les descendre comme des cols-verts en plein vol. Pan. Pan. Leur prendre leur jolie petite gueule et les fixer. C'est ça que je fais. Je fixe. Je fixe pour les autres. Pour que les autres voient. La porosité entre l'art et la vie, entre la vie et la mort, est au centre de cette pièce qui se déroule dans un studio de radio, le temps d'une émission monographique sur un artiste. Création par La Comédie-Française dans une mise en scène de l'auteur.

11/2023

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Poésie

La Déployée / Des pas sur Moà-neige

Autrice, artiste plasticienne et commissaire d'exposition indépendante, Juliette Fontaine a déjà publié plusieurs recueils de poèmes, dont (Avant l'hiver) des fenaisons, préfacé par Yves Bonnefoy aux éditions L'entretoise en 2003 et Tu dis, aux éditions Isabelle Sauvage en 2006. Tout en continuant sa pratique artistique (dessin, vidéo, expositions, commissariats et direction du Centre d'arts plastiques d'Aubervilliers depuis 2013), elle est récemment revenue à l'écriture de manière durable et intense : ce recueil en est le témoignage le plus saisissant. Tout y résonne d'une intériorité vibrante & retenue. Quelque chose y palpite continûment : au rythme d'un intime trouvant à s'éployer ? sans s'épancher. Les mots alors figurent & paysagent. L'autre tacitement apparaît. "J'écris dans les marges du monde", dit-elle ? simplement, doucement. Et à partir d'où, en effet ? écrire ? De quel pudique endroit ? en retrait, sans être retiré/e du monde ? trouver à voir et à dire l'en-vers des choses, la jointure [des] corps ; la soudure des eaux ? Membrure du réel invisible jusque-là. De ces marges seulement. Là : seule, seulement, à l'écart du bruit du monde et de sa rumeur, peut se former, se déployer ? tu as raison délie tous tes bras ? quelque chose comme un chant : mots-musique, mots-image qui naissent du silence, trouvent là leur source : leur ombre-source précisément. Marges du monde, donc : silence _ dévalement ; germoir qui s'ouvre. Là, seulement, s'ouvre la patine noire du ciel. Là, seulement, on entend du vent le prologue et la promesse, on voit les granits et les anges ? ceux-là même qui, nuit après nuit, la rêvent, elle : l'Enigmatique, Laylâ l'obscure ? Lilith ourdie des mains. A l'orée du monde, l'oreille se tend, écoute l'eau _ la pluie Schönberg, se surprend engouffrée par l'entrée d'une aube et la parole tonnante qui vient avec. Tonnerre en effet ! : la parole habituelle ? bavarde et affairée ? vidée de ce qu'elle désigne, pour être efficace, rapidement communiquer ? parole-affolée ? se fait à nouveau pleine et sereine : alentie ; fait à nouveau paraître ce qu'elle nomme ? parole héliotrope. Parole aux couleurs nombreuses, aux senteurs odorantes, entêtantes comme la plante ? il y a ce peuplement de l'ocre, cette nausée blanche du jour aussi, que l'on sent ; parole tournée, se tournant vers le soleil, l'ombre que ce dernier fait naître & varier ? alors on voit que l'ombre sur l'herbe recule lentement / et quitte le jardin ; on perçoit la densité brute des sous-bois. L'héliotrope, c'est aussi l'instrument qui de son miroir renvoie les rayons solaires et permet(tait) l'arpentage ; mais si la parole, dans le poème & par le poème, arpente marges du monde, s'y établit furtivement, en dresse comme une "cartographie", dans les paysages et figures qu'elle évoque et convoque à la fois ? oh rive rougie des yeux ; nudité insolente des bras ? pourtant il y a dérivation nouvelle / _ lumières courbes. Car l'arpentage est du corps d'abord : mesure de ce qui ne se mesure pas ? cette grande forme immense-ouverte plus tard d'infinis, désinscrits des routes ? dont on il faudra bien tenter ? oui ! : la danse nerveuse des mésanges ? de prendre la mesure ? l'ampleur et le rythme, le pouls aussi ? dans l'ajustement des pas : marchant, c'est cela, dans _ à tâtons. Alors dans l'écart du Dehors ? le pli des choses ? le repli du corps ? l'approche s'invente : le corps devient désir : va à l'autre ; et dans l'étreinte tentée/tentante, inverse la nomination devenue imprécation : donne-toi ton Nom / donne-toi ton Nom ? il y a le vocable blanc des mains / offerte à la saillie lunaire ? et maintenant le creuset visité du corps. Intensité sensible qui seule mesure l'être. "J'écris dans les marges du monde", dit-elle ? simplement, doucement. Et elle veut dire qu'il est possible de laisser trace de ses pas dans ces marges, que d'autres suivront. Le bruit du monde s'atténuant & sa rumeur diminuant, il y a ce bruissement retrouvé du silence où tout vit ténûment ? de cette animalité qui caractérise alors les eaux, limpides ou troubles. Alors : l'avenir des crues / l'érection des pistils ; les loups turbulents ; cette ligue des vents limeurs et la nuit partout est une mer de lait. Car écrire dans les marges du monde, ce n'est pas seulement écrire depuis ces dernières, mais, également, s'y frayant un chemin ? nichée contractile / géologie de notre langue ? ou le découvrant opportunément ? passage inattendu pour des pas dans la neige ? venir tracer dans cet espace signes et voies : lignes d'erre que d'autres à leur gré suivront par la souche effleurée des réminiscences. Et alors, forpaysés, on trouvera devant soi l'empreinte des doigts sur la roche ? tout un poème. "J'écris dans les marges du monde", dit-elle.

05/2023

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Notions

L'incommensurable, l'inouï, la vraie vie

L'incommensurable, l'inouï et la vraie vie Présentation L'incommensurable, l'inouï, la vraie vie sont les titres d'ouvrages de François Jullien. Ce sont trois concepts qui forment un triangle isocèle dont l'incommensurable et l'inouï sont les deux angles de base et la vraie vie le sommet. L'incommensurable dit la fêlure qui se découvre en beaucoup de points de notre expérience : tout n'y est pas bord-à-bord ou de plain-pied. Comme dans les nombres incommensurables, un hiatus y subsiste qu'on peut vouloir boucher mais qui ne se réduit pas. L'incommensurable dit simplement que cela n'entre pas dans la commune mesure que constitue l'ordre des nombres. Ainsi entre le plaisir et la jouissance, qu'on dit pourtant synonymes : le premier laisse mesurer sa satisfaction, l'autre a versé dans l'oubli de toute satisfaction. Il y a de l'incommensurable également entre la relation sociale et la relation intime : on fait un saut irrésorbable de l'une à l'autre. Parce qu'elle est irréductible, cette fêlure d'incommensurable ouvre un infini dans l'expérience. L'infini n'est donc pas seulement aux extrémités de l'expérience (l'infiniment grand ou l'infiniment petit), comme on se le représente d'ordinaire. Il se découvre au coeur de l'expérience un infini irréductible qu'on ne peut éliminer : notre existence est traversée de ces fêlures d'infini. Ces ressources d'incommensurable sont à détecter, mais à garder comme des ruptures, sans vouloir les boucher par autre chose, par du Sens et de l'idéologie. En regard de l'incommensurable, l'inouï dit, non la fêlure, mais le débordement de notre expérience. L'inouï est ce qui reste à la lisière et que d'ordinaire on n'entend pas. Car l'expérience ne devient " expérience " qu'en se rangeant dans des cadres déjà constitués : elle laisse donc échapper ce qui n'y trouve pas d'emblée sa place et qui par-là demeure " in-ouï ". Cet inouï n'est pas pour autant l'extraordinaire ou l'exceptionnel avec lesquels on le confond, car il peut être au contraire le plus ordinaire. L'inouï, autrement dit, est plutôt l'autre nom du " réel ", mais du réel auquel on n'accède pas parce qu'on ne peut le ranger dans l'expérience balisée ; et c'est pourquoi on le projette par commodité à l'extrémité de notre expérience et qu'on en fait de l' " extraordinaire " ou de l' " insolite ", comme le fait dans sa définition le dictionnaire pour nous en débarrasser. Que l'inouï puisse être le plus ordinaire, se vérifie d'ailleurs le plus simplement : vivre est de tout le plus inouï. Nous ne cessons de vivre, mais sans nous rendre compte de l'inouï de vivre, parce que vivre ne se laisse pas enfermer dans les cadres et les cases de notre expérience. Aussi faut-il fêler ces cadres figés de notre expérience pour pouvoir en déborder et commencer d'en entendre l'inouï. Tel est donc l'inintégrable qui relie l'incommensurable et l'inouï et les instaure en vis-à-vis. C'est pourquoi aussi, fêlure et débordement allant de pair, il faut fêler notre langage ordinaire pour le faire déborder dans sa capacité de dire, comme notre vie dans sa capacité d'exister, et pouvoir y dire l'inouï - ce que fait la poésie. Comme l'in-commensurable, comme l'in-ouï, la " vraie vie " est également un concept à entendre en creux, de façon négative ou plutôt nég-active, même s'il s'affirme en plénitude. Car le concept de vraie vie n'énonce pas quelque vérité sur la vie ni n'indexe la vie sur une vérité, mais fait ressortir ce qui est l'opposé de la " non-vie ", de la vie qui " ne vit pas ", de la vie qui n'est pas " une vie ", qui n'est au fond qu'une apparence de vie. Sa logique n'est pas celle de la fêlure comme l'incommensurable ou du débordement comme l'inouï, mais elle est celle du dé-couvrement : retirer ce qui masque la capacité de la vie à vivre et qui l'étiole. La vraie vie, autrement dit, se révèle quand s'y dégage ce qui recouvre l'expérience de la vie au point qu'on n'en perçoit plus ni l'incommensurable ni l'inouï. C'est pourquoi le concept de vraie vie est l'aboutissement des deux autres comme à leur départ, à la fois leur horizon et leur condition. Auteurs Jean-Pierre Bompied, enseignant de philosophie, a publié récemment Penser par écart, le chantier conceptuel de François Jullien, Descartes& Ce, 2019. Linda Branco, artiste (art souterrain et art collaboratif), anime l'association Décoïncidences Pascal David, philosophe, a publié de nombreux ouvrages, Penser la Chine, interroger la philosophie avec François Jullien, Hermann, 2016 Alain Douchevsky, philosophe, collabore à la revue Approches Patrick Hochart enseigne la philosophie à l'UniversitéParisVII-Paris Diderot Etienne Klein, physicien, philosophe des sciences, a publié de nombreux ouvrages et récemment Le goût du vrai, Gallimard, 2020 François L'Yvonnet, philosophe, éditeur (Editions de l'Herne), a publié récemment François Jullien, une aventure qui a dérangé la philosophie, Grasset, 2020 François Jullien, philosophe, a commencé son travail en Chine avant de déployer sa puissance conceptuelle et sa singularité dans de multiples domaines. Il est l'un des penseurs contemporains les plus traduits dans le monde.

01/2023

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Histoire régionale

Angoulême BD. Une contre-histoire (1974-2024)

La thématique : Angoulême / la bande dessinée comme enjeu de pouvoir Le salon d'Angoulême est la queue de comète d'une longue campagne de valorisation de la bande dessinée en Europe francophone, amorcée en 1962 avec le Club des Bandes Dessinées. Le Club était une association Loi de 1901 née des lecteurs de la revue FICTION, composée de nombreuses sommités comme Alain Resnais, Francis Lacassin ou Evelyne Sullerot et ayant des antennes en Suisse, Belgique et Espagne. Par "valorisation" , il faut entendre la dimension immatérielle et matérielle, culturelle et commerciale, de ce moyen d'expression artistique. En janvier 1974, la bande dessinée est déjà reconnue comme un art à part entière, le 9ème, et elle représente un important marché dans le domaine du livre. Le salon d'Angoulême émerge en fin de ce long cycle. Malgré l'adjectif "international" affiché par les organisateurs dès sa naissance, il s'agit en réalité d'une version francophone du Salon italien de Lucca, qui préexistait depuis déjà huit années et dont les organisateurs avaient servi de parrains. C'est aussi la dernière action promotionnelle de la SOCERLID du Parisien d'origine corse Claude Moliterni. Cette société avait doublé puis enterré le Club des Bandes Dessinées. Moliterni, en charge de la Convention de (bande dessinée de) Paris depuis 1969, livre son carnet d'adresses à l'équipe du nouvel événement réunie autour de l'attaché culturel d'Angoulême, sans regret car il a perdu toute apparence de neutralité en vendant sa revue PHENIX à l'éditeur Georges Dargaud et en devenant son salarié. - "Est-ce que le terme de "Salon" utilisé pour la bande dessinée ne fait pas un peu trop "installé" ? ... Dans quel esprit avez-vous organisé ce salon ? " - "Le nom ? ! Vous savez, c'est toujours un peu pareil quand il s'agit de désigner quelque chose... Convention était déjà pris (nda : la Convention de Paris), Congrès et tout... on a pris Salon parce que ça ne veut rien dire et c'est parfait ! " Francis Groux au micro de la télévision nationale française (ORTF), lors du Salon d'Angoulême 1, Janvier 1974. "Aujourd'hui, le groupe ICON (International Comics Organisation) est devenu une maffia, rien ne peut se faire sans nous. Ce n'était pas du tout l'objectif de départ, mais ce sont les faits, certains l'ont compris à leurs dépends. . ". Claude Moliterni, extrait de LA CHARENTE LIBRE du 28 janvier 1974, au lendemain du salon Angoulême1. Si une équipe de bénévoles, chapeautée par Francis Groux, a bien attiré cet événement public au sein de sa ville, le terreau politique local était propice. La cité souffrait en effet d'un long complexe d'enclavement : isolée dans les terres loin du littoral, coincée sur son plateau entre ses murailles, sans autoroute et hors des circuits touristiques. Les élus d'Angoulême n'ont eu de cesse, année après année, de revendiquer une place à l'échelle nationale. Ils vont s'agripper à la campagne de régionalisation qui, à la fin des années soixante, marque la fin du gaullisme : Angoulême sera nommée "ville moyenne pilote" . C'est dans le cadre de cette dynamique que s'inscrit la campagne "Angoulême Art Vivant" dont sont issus les rencontres liées à la bd en 1972. Angoulême bénéficiera ensuite de la montée en puissance d'un natif du cru : le Charentais François Mitterrand... Un demi-siècle plus tard, comme toutes les institutions tentées de maîtriser le récit de leur propre histoire, le Salon devenu Festival international de la bande dessinée (FIBD) d'Angoulême a entrepris de réécrire son narratif, son "storytelling" , pour être plus conforme à la légende qu'il a entrepris d'édifier. Maintes fois retouchée, aménagée, tronquée, embellie, caviardée, l'histoire "officielle" de cet événement tel qu'il cherche à se raconter de la main même de ses promoteurs, le FIBD et son opérateur privé 9eArt+, est pleine d'oublis, de trous, de vides, d'escamotages et d'absences. Et il ne faut guère compter sur les médiateurs et les médias, majoritairement complaisants, amnésiques, approximatifs ou en affaires avec la manifestation - quand ils ne sont pas d'une servilité qui elle aussi interroge - pour poser les questions qui gênent, ou qui fâchent. Pourtant, le fil rouge qui traverse toute l'histoire de l'événement est éminemment politique - au sens le plus large et le plus générique du terme. Car ce qui se noue à Angoulême depuis un demi-siècle, autour d'un thème en apparence dénué d'enjeux d'envergure, c'est une intense, féroce et perpétuelle comédie du pouvoir - toutes les formes de pouvoir. Les personnes intéressées par la bande dessinée, donc par les politiques éditoriales des maisons d'édition, ne peuvent faire l'impasse sur ces cycles de rencontres entre amateurs et professionnels. Pour illustrer les propos de cet ouvrage, les auteurs iront puiser dans la riche iconographie de l'artiste Alain Saint-Ogan (1895-1974). Un homme qui a longtemps symbolisé "le dessin français" et qui ne s'est jamais reconnu comme un auteur de bande dessinée mais bien comme un homme de presse. Il a oeuvré dans la presse pour enfants et pour adultes. Son personnage de manchot, Alfred, l'ami de gamins Zig et Puce, a longtemps personnifié les prix délivrés aux salons de bande dessinée d'Angoulême.

02/2024

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Critique littéraire

Études chinoises XXXI-2 (2012). Art et mémoire en Chine et à Taïwan

Muriel Peytavin, La courtisane en peinture : portraits idéalisés, portraits du réel Résumé - Cet article se propose d'examiner quelques portraits de courtisanes des dynasties Ming ? (1368-1644) et Qing ? (1644-1911), dans une tradition de la peinture chinoise où le portrait n'est pas réalisé d'après nature ou d'après un modèle mais envisagé selon les textes littéraires qui prescrivent les principales directives en matière de représentation humaine, et notamment, féminine. Communément, la femme est avant tout traitée comme un type général et non comme une personne singulière ; l'image représentée est par conséquent une construction idéologique avant d'être une construction psychologique. Il s'agit d'apprécier la manière dont les artistes se sont servis de l'individualité de certaines courtisanes et de leur histoire, envisagée comme un thème à part entière, au moyen d'un traitement pictural éloigné de la peinture de beautés (meiren hua ???), pour exprimer de nouveaux idéaux, des singularités inédites, qui ont pourtant échoué à construire une mémoire pérenne de l'identité féminine chinoise. Chan Tsai-yun, Mémoire d'un empire. La longue marche des collections du Musée du Palais dans un contexte de guerre Résumé - Le Musée du Palais, depuis sa création jusqu'à nos jours, est en étroite corrélation avec l'évolution politique du monde chinois. Il reflète l'époque impériale chinoise, la transformation du système politique de la jeune République de Chine et la division du monde chinois. Il témoigne également d'un passé extrêmement tumultueux marqué par la guerre sino-japonaise et la guerre civile. Ce legs impérial, partagé entre la Chine et Taïwan, permet de faire émerger toutes sortes de mémoires parmi les populations chez qui la sinité est profondément enracinée. Sandrine Marchand, Nostalgie du poème : réticence à l'image dans la poésie mémorielle Résumé - Les multiples mémoires à Taïwan, mémoires des insulaires, des aborigènes et des continentaux, se sont exprimées dans la poésie, qui échappe au devoir descriptif du langage narratif. La poésie apparaît alors comme le genre le plus adéquat pour souligner la part fluctuante de la mémoire, sa saisie incertaine comme son évolution imprévisible. En se demandant ce que le langage poétique révèle de la question de la mémoire, nous interrogeons des poèmes des années 1960-1980, d'auteurs ayant à coeur de soulever un passé douloureux, en Chine ou à Taïwan. Nous nous interrogeons sur les images, leur registre, leur rôle et leur valeur dans la tentative de garder le passé et de faire revivre le souvenir tout en se défiant de l'imaginaire. Anne Kerlan, Filmer pour la Nation : le cinéma d'actualité et la constitution d'une mémoire visuelle en Chine, 1911-1941 Résumé - Cet article revient sur les premiers développements du cinéma d'actualité jusqu'en 1941 à travers le travail du réalisateur d'origine hongkongaise Li Minwei. Celui-ci filma à diverses reprises les événements politiques autour de la figure de Sun Yat-sen puis de Chiang Kai-shek. Il participa en 1930 à la constitution d'une compagnie cinématographique, la Lianhua, qui accorda une importance toute particulière à la réalisation de films d'actualités. Nous nous interrogeons sur les objectifs visés par les producteurs, qu'ils travaillent en association avec le Guomindang ou pour d'autres types de projet. Ces films d'actualité, dans la diversité de leur contenu, constituent certes des archives pour l'histoire de la Chine, mais révèlent aussi des conceptions différentes de la mémoire nationale alors en construction. Samia Ferhat, Mémoire collective et images du passé en Chine et à Taïwan : débats autour de la représentation cinématographique de l'ennemi ou du colonisateur japonais Résumé - Depuis la capitulation du Japon en août 1945 s'est cristallisée dans la mémoire collective une vision particulière de ce pays et de son rôle dans la guerre qui en Asie orientale l'a opposé à la Chine et ses alliés, alors que depuis la fin du xixe siècle son destin était lié à celui de Taïwan. A travers l'analyse de films chinois et taïwanais, mis en perspective par un détour vers le cinéma américain, nous discutons de la façon dont la cinématographie explore ces moments du passé et en propose une nouvelle lecture par le regard attentif posé sur ses protagonistes, le plus souvent restitués dans leur singularité au-delà de toute fixation stéréotypée. Corrado Neri, L'Histoire n'est qu'un souvenir : mémoire et processus créatif chez Hou Hsiao-hsien et Wu Nien-jen Résumé - Hou Hsiao-hsien et Wu Nien-jen comptent parmi les intellectuels contemporains les plus influents à Taïwan ; ils s'aventurent tous les deux dans une évocation de l'époque coloniale japonaise, son héritage, son influence et sa mémoire. Cet article situe dans un premier temps les auteurs dans le contexte politique et social taïwanais par une analyse de leur oeuvre, de leurs textes et de la littérature qui s'est développée à leur sujet. Ensuite sont étudiés deux films traitant de l'époque de la domination japonaise et de ses conséquences sur la culture et l'imaginaire de Taïwan : Le Maître des marionnettes et A Borrowed Life. Danielle Elisseeff, Excursion dans le monde troublant des images photographiques Résumé - L'historiographie change à mesure qu'évoluent les techniques de production et de conservation de documents toujours plus nombreux et diversifiés. La note qui suit explore quelques pistes de recherche d'images relatives au début du xxe siècle en Chine. On y évoque au passage l'impact technique et social de la photographie sur la représentation du souverain à la fin de l'empire. Emmanuel Lincot, Ai Weiwei : entre engagement et mémoire Résumé - De par sa posture intellectuelle, l'artiste Ai Weiwei s'inscrit dans une tradition mémorielle. Celle de la contestation en milieu lettré tout d'abord. Mais aussi de par son attachement à des valeurs transnationales. En cela Ai Weiwei est une figure de dérangement à valeur exploratoire. Sa démarche bouscule les représentations et la mémoire. Cette dernière est mue par l'expérience. Elle ne peut pas faire l'unanimité quant à son interprétation, ne cesse de nous dire l'artiste dont on abordera ici les différentes réalisations dans des domaines aussi divers que sont l'architecture, la photographie ou l'édition. English abstracts Muriel Peytavin , The Courtesan in Painting : Idealized Portraits, Portraits of Reality This article proposes to examine a number of portraits of courtesans from the Ming ? (1368-1644) and Qing ? (1644- 1911) dynasties, within a tradition of Chinese painting where the portrait is not painted from nature or following a model but imagined according to literary texts that prescribe the principal guidelines in the matter of portraying people, specifically women. In general, a woman is treated as a general type and not as an individual person ; the image depicted is consequently an ideological construction before being a psychological construction. This article seeks to assess the ways in which artists made use of the individuality of certain courtesans and their stories, considered as a subject in their own right, by means of a pictorial treatment distinct from the painting of beauties (meiren hua ???) in order to express new ideals and unique qualities, but which failed, however, to construct a permanent image of Chinese feminine identity. Chan Tsai-yun, Memory of an Empire : The "Long March" of the Collections of the Palace Museum in the Context of War The Palace Museum, from its creation up to the present day, has maintained a close correlation with the political evolution of the Chinese world. It reflects the Chinese imperial period, the transformation of the political system of the young Republic of China and the divisions of the Chinese world. It equally bears witness to an extremely tumultuous past marked by the Sino-Japanese War and the Nationalist-Communist Civil War. This imperial heritage, divided between China and Taiwan, serves to evoke of all manner of memories among the populations for whom "Chineseness" is deeply rooted. Sandrine Marchand , Poetic Longing : Resistance to the Image in Memorial Poetry The multiple memories of Taiwan-memories of the islanders, of the aborigines and the mainlanders-were expressed in poetry, which avoids the descriptive obligations of narrative language. Poetry thus appears as the genre most capable of underlining the shifting parts of memory, its uncertain grasp as well as its unpredictable evolution. In asking ourselves what poetic language reveals about the question of memory, we consider poems from the years 1960 to 1980, from authors who are committed to bringing up a sad past, in China or Taiwan. We reflect upon the images, their tone, their role and their value in the attempt to retain the past and to bring memory to life while mistrusting the imaginative domain. Anne Kerlan , Filming for the Nation : The Newsreel and the Construction of Visual Memory in China, 1911-1941 This article re-examines the first developments of newsreel footage up until 1941 through the work of Li Minwei, a director originally from Hong Kong. Li filmed at various times the political events around Sun Yat-sen and then Chiang Kai-shek. He took part in 1930 in the founding of a film company, Lianhua, which placed a very special emphasis on the production of newsreel films. The article examines the goals of the producers, whether they worked in conjunction with the Guomindang or on other types of projects. These newsreel films, in the diversity of their contents, undoubtedly constitute an archive of the history of China, but they also reveal differing conceptions of the national memory then in the process of construction. Samia Ferhat , Collective Memory and Images of the Past in China and Taiwan : Debates Surrounding the Cinematic Representation of the Japanese Enemy or Coloniser Since the surrender of Japan in August 1945, a particular image of that county and its role in the war in East Asia that pitted Japan against China and its allies has formed in the Chinese collective memory, all the while its destiny has been linked to that of Taiwan since the end of the 19th century. Through the analysis of Chinese and Taiwanese films, put in perspective with a detour by way of American films, this article discusses the manner in which film explores these moments of the past and proposes a new reading by means of a close reading focused on their protagonists, most frequently restored to their individuality above and beyond of any stereotypical view. Corrado Neri , History is Only a Recollection : Memory and the Creative Process of Hou Hsiao-hsien and Wu Nien-jen Hou Hsiao-hsien and Wu Nien-jen are counted among the most influential contemporary intellectuals in Taiwan ; they have both ventured into evocations of the Japanese colonial period, its legacy, its influence and memory. This article first locates the authors in the political and social contexts of Taiwan by means of an analysis of their works, their texts and the writings that have built up around them. Then, two films that deal with the period of Japanese domination and its consequences for the culture and the psyche of Taiwan are examined-The Puppetmaster and A Borrowed Life . Danielle Elisseeff , A Short Excursion into the Troubling World of Photographic Images Historiography changes in relation to the evolution of the techniques of production and conservation of documents that are constantly more numerous and diversified. This research note explores several related avenues of research on images at the beginning of the 20th century in China. It raises in passing the technical and social impact of photography on the representation of the ruler at the end of the empire. Emmanuel Lincot , Ai Weiwei : Between Engagement and Memory By his intellectual stance, the artist Ai Weiwei situates himself with in a memorial tradition-that, first of all, of protest in scholarly circles, but also by means of his commitment to transnational values. In this, Ai Weiwei is a figure of at the forefront of disruption. His approach disturbs representations and memory. This last is driven by experience ; it cannot bring about any consensus in its interpretation, and speaks to us time and again of the artist we will approach here through his different achievements in fields that are as diverse as architecture, photography and publication.

02/2013