#Roman étranger

Désaccords imparfaits

Jonathan Coe

Trois courtes nouvelles de Coe datant des années 1990 - les seules qu'il ait jamais écrites - sont publiées dans ce petit recueil, ainsi qu'un article sur Billy Wilder, " Journal d'une obsession ", écrit pour un numéro des Cahiers du cinéma. " Ivy et ses bêtises " voit un narrateur adulte revenir sur un épisode de son enfance, lors d'une soirée de Noël, où il fut convaincu d'avoir vu le fantôme d'un homme tué par sa femme, au procès de laquelle la grand-mère du narrateur avait participé. La fin de la nouvelle laisse planer un doute sur l'existence réelle de ce fantôme. " 9e/13e " est une sorte d'exercice de style : un pianiste de bar new-yorkais, à laquelle une séduisante jeune femme demande où elle peut loger ce soir-là, imagine ce qui ce serait passé s'il l'avait invitée à dormir chez lui... ce qu'il n'a bien sûr pas fait. " Version originale " est la nouvelle la plus longue et la plus aboutie ; elle manifeste le goût de Coe pour les intrigues complexes : lors d'un festival du film d'horreur dans une ville de la Côte d'Azur, un compositeur de musique de films, qui fait partie du jury, découvre qu'un des films en compétition a été écrit par une ancienne amie, qui était tombée amoureuse de lui mais que le narrateur avait un peu brutalement éconduite. Le souvenir de cette histoire lui revient à la vision du film, qui en offre une réécriture, et entre en écho avec le flirt qu'il ne peut s'empêcher d'entretenir avec une journaliste présente sur le festival. En peu de pages, Coe évoque les tentations, les opportunités ratées, les souvenirs qui hantent et une certaine mélancolie. " Journal d'une obsession ", dans un tout autre genre, évoque l'obsession, au sens littérale, de Coe pour un film mal-aimé de Billy Wilder, La vie de Sherlock Holmes, et plus précisément pour sa musique composée par Miklós Rózsa. Coe raconte, sous forme de journal intime, comment, à différentes étapes de sa vie, il a rencontré ce film, souvent par hasard. Il raconte aussi ses recherches pour mettre la main sur un enregistrement de cette musique, devenue introuvable. Dans l'introduction du recueil, Coe affirme que la nouvelle est loin d'être sa forme de prédilection, lui préférant la longueur et la complexité qu'offre le roman. Il n'empêche que ce recueil est une réussite, et offre un concentré de son écriture et de ses thèmes favoris : le mélange d'ordinaire et d'étrange dans la première nouvelle, les anti-héros un peu ratés, passant à côté de leur vie, dans les deux autres, et, toujours, un humour pince-sans-rire, mêlé à une tonalité mélancolique. Dans l'article sur Billy Wilder, particulièrement touchant, Coe adopte un mode plus autobiographique : derrière le prétexte de son obsession pour ce film, il évoque de façon assez émouvante un certain rapport à l'enfance, au passé, au temps qui passe. Ses différentes " rencontres " avec ce film et sa musique, scandées par l'évolution des technologies (du livre à la cassette vidéo et au DVD, du 33 tours au CD...) dessinent une sorte de portrait de l'artiste des années 1970 à nos jours. Les quatre textes, sous des dehors assez différents, sont ainsi unis par des thèmes ou des motifs récurrents, en particulier le rapport à la musique, véhicule de souvenirs et d'émotions. Ce recueil démontre s'il le fallait l'évidence du talent de Jonathan Coe, qui atteint en très peu de pages une densité et une émotion exceptionnelles.

Par Jonathan Coe
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature étrangère

In memoriam
James Eastwood Kay
1902-1985


Introduction

Ce recueil représente toute ma production de nouvelles au cours de ces quinze dernières années, ce qui relève un peu de la plaisanterie. J’avais pensé l’intituler Toute la prose courte, mais c’eût été pousser la plaisanterie un peu loin. Car il ne m’est pas facile de faire court, justement. Ce qui m’attire, dans la fiction, c’est plutôt la complexité, le panorama, et chez moi, il est plus fréquent que des idées nées sous forme de nouvelles, comme La maison du sommeil, prennent l’épaisseur d’un roman. Trois fois, cependant, pour répondre à l’amicale pression de directeurs littéraires et d’éditeurs, j’ai réussi à me fixer des limites, et en voici le résultat. « Ivy and Her Nonsense » est paru dans The Penguin Collection (1995), « 9th & 13th » dans The Time Out Book of New York Short Stories (1997) et une version plus longue et moins maîtrisée de « V.O. » dans New Writing (1998). « 9th & 13th » existe déjà sous forme orale, avec accompagnement au piano composé et exécuté par Danny Manners, sur le CD du même nom, publié en France sous le label Tricatel (Tricatel, album 18). On peut parfois trouver ce texte en ligne à l’adresse www.tricatel.com.
Au début de ma carrière, pendant sept ou huit ans, j’ai écrit des critiques assez régulièrement pour les magazines, et lorsqu’on m’a demandé cette petite compilation, je me suis tout d’abord dit que c’était l’occasion rêvée de tirer de l’oubli quelques joyaux journalistiques qui y étaient indûment tombés. Toutefois, après avoir dragué les fonds de mon disque dur, je suis parvenu à la conclusion qu’ils ne méritent guère mieux, dans l’ensemble. J’ai fait une exception pour le « Journal d’une obsession », qui n’a jamais été publié en anglais, l’article m’ayant été commandé par les Cahiers du Cinéma. J’ai un faible pour ce texte, parce qu’il exprime mon admiration à l’égard de Billy Wilder et d’un de ses plus grands films, qui est aussi l’un de ses plus méconnus ; et aussi parce qu’il concerne, en partie du moins, mon grand-père, James Kay, personnage qui apparaît aussi sous le couvert de la fiction dans « Ivy et ses bêtises ». Mon grand-père est mort il y a plus de vingt ans, mais je rêve encore souvent de lui, et je parle de lui à mes filles. Son dynamisme, son humour pince-sans-rire et son amour des livres ont exercé une influence primordiale sur mon enfance. Le dernier conseil ou presque qu’il m’ait donné avant de mourir était d’entrer dans l’enseignement et d’oublier l’écriture pendant très très longtemps. Comme tous ses conseils, il me le dispensait avec amour, et dans les meilleures intentions. J’aurais bien aimé qu’il voie mes œuvres publiées, quitte à ce que son verdict soit sévère. Il me semble donc juste, en somme, que ce petit recueil soit dédié à sa mémoire.

 


Ivy et ses bêtises

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trad. Josée Kamoun
08/03/2012 99 pages 8,90 €
Scannez le code barre 9782070133628
9782070133628
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