Languedoc Roussillon livre et lecture (LR2L) a dévoilé lundi 6 février un rapport présentant un état des lieux de la librairie dans la région, issu de rencontres avec 70 % de ces entreprises.
Selon l'étude, 41,9 % des ventes de livres dans la région s'effectuent en grands magasins, spécialisés ou pas, 34 % hors magasins (correspondance, Internet, Soldeurs, Courtage, comités d'entreprises, kiosques, gares, salons) et seulement 24,1 % par les librairies indépendantes. Ce malgré la présence, à Montpellier, de Sauramps, qui occupe avec la librairie du Triangle la 4e place nationale dans le classement des 400 plus grosses librairies de France 2010 et la 46e place du même classement avec la librairie Odyssée.
Alors que la part de Français ayant lu au moins un livre en 1973 et 2008 reste égale, celle des gros lecteurs (20 livres et plus) a baissé de 28 à 16 %. La surprise vient des petits lecteurs (1 à 10 livres par an), dont la part est en hausse de 24 à 38 %. Ainsi, comme le relève l'étude, « le challenge des petites librairies indépendantes, par leur présence au plus près de ces clientèles, est de capter ces lecteurs avec un ‘concept' magasin, des services et une offre adéquate, voulue, bien mise en scène ».
Pour ce faire, 67 % des libraires interrogés organisent des animations, lectures (25,81 %), dédicaces (43,98 %), conférences (12,38 %), ateliers (16,9 %) et participations à des festivals (0,93 %).
La gratuité, fléau ou bénédiction
Lors de la présentation de l'étude aux professionnels lundi 6 février dans la ville de Sète, un certain nombre de libraires ont néanmoins estimé que les animations en librairie posent de « grands problèmes économiques », du fait de leur gratuité quasi-instituée pour le public. Ainsi, alors que « les gens n'envisagent pas de payer pour ces rencontres, les animations faites, pour le plaisir, nécessitent de payer une salle, recevoir des auteurs nourris et logés ». Cette complainte des participants s'expliquait surtout par l'absence d'amortissement direct à l'issue des animations, les gens ne venant plus « que pour se distraire », sans acheter de livre en sortant.
L'un des présents a expliqué être libraire depuis 1974 et avoir réuni, lors d'une rencontre avec un auteur, 120 personnes pour seulement deux livres vendus sur place. Un autre estimait « un livre vendu pour une trentaine de participants dans la salle contre un livre vendu pour 10 présents il y a dix ans ». « Les gens viennent pour quelque chose de gratuit et n'ont pas l'intention d'en sortir. Même s'ils peuvent commander le bouquin sur Amazon après être rentrés chez eux. », a déploré un autre. « Comme si la librairie ne devenait pas une bibliothèque, mais un musée », a conclu un intervenant avant de faire la quasi unaninimité en estimant que « la gratuité est un mur pour la consommation ».
Quelques voix dissidentes se sont cependant élevées pour affirmer que la « la gratuité est importante et [qu'] il faut la conserver. L'animation littéraire a une répercussion importante sur les gens, fut-ce sans acte d'achat immédiat. Après, la question est de mutualiser les moyens au niveau régional ».
Des lacunes en marketing
À la lecture de l'étude, l'engagement des libraires pour le livre apparaît sans faille, mais leurs connaissances du marketing et de la gestion d'un commerce moins évidentes. Comme, par exemple le fait que « Nombreux sont les libraires qui ne connaissent pas le panier moyen de leur client. Le plus étonnant dans les non-réponses ou l'approximation des réponses enregistrées sont la méconnaissance majoritaire de ce chiffre. Peut-être celui-ci ne présente-t-il pas d'importance à leurs yeux ? ». (p29)
Le rapport constate par ailleurs une importante disparité (p39) entre les librairies les plus importantes des catégories* A et B, qui connaissent certains organismes et bénéficient de leurs services, et les librairies de catégories C et D. « Un des faits marquants qui est revenu souvent dans nos conversations avec les libraires est la grande difficulté à remplir tout simplement les différents imprimés pour obtenir une subvention. Certains libraires renoncent tout simplement à faire des demandes devant la complication ‘ésotérique' des dossiers. »
D'une catégorie à l'autre, le contraste de taille entre les librairies (dont peu ont une réserve) est édifiant : une librairie de catégorie D est ainsi en moyenne 12 fois plus petite qu'une librairie de catégorie A. Une librairie de catégorie C est 7 fois plus petite qu'une librairie de catégorie A. Une librairie de catégorie B est 2.5 fois plus petitequ'une librairie de catégorie A. Des différences de superficies non négligeables puisque, les auteurs constatent (p58) « des écarts de rendements au m2 entre les librairies A et les librairies D (52%) du simple au double. Plus la librairie est grande plus le rendement au m2 est important [...] ».
Le virtuel à l'appui du monde physique
À l'encontre des idées reçues, la majorité des libraires ne boude pas Internet, puisqu'en catégorie A et B, tous ont un site, ainsi que la moitié des librairies de catégorie C mais seulement 36 % des catégories D.
Beaucoup de libraires envoient des mailings y compris en catégorie D (41 % des libraires).
Avec un gros bémol pour la présence digitale, jugée « plutôt anecdotique », avec seulement « quelques présences sur Facebook » et, pour certains libraires de catégorie D, un blog. « Il semble que les libraires D manifestent une attention particulière à être présent sur Internet, peut-être pour compenser leur manque de visibilité, ou encore parce qu'elles sont spécialisées. », pointent les auteurs.
Un travail, une passion
Les libraires sont de gros travailleurs dans le Languedoc-Roussillon, avec une durée du travail moyenne de 50h. L'âge moyen des salariés est de 48 ans, ce qui peut sans doute créer un décalage avec les jeunes lecteurs.
Mauvais point dans la région (nous n'avons pas mené de comparaison à l'échelle nationale), même chez les libraires il y a une discrimination de salaires homme / femme : un homme gagne en moyenne, selon l'étude, 150 € de plus qu'une femme.
Enfin, et contrairement à une autre idée reçue, le métier de libraire ne serait pas tant que ça un métier de femme : l'étude a recensé 24 gérants pour 22 gérantes.
La conclusion de l'enquête dirigée par Michel Ollendorff avec le concours d'Adeline Barré est sans appel : « Les problèmes liés à la gestion des magasins, ceux de financement du stock et donc le besoin en fonds de roulement qui en découle, ne sont [...] pas bien maîtrisés. C'est souvent l'empirisme qui règne et ceci malgré une informatisation de la gestion des stocks. Rares sont les libraires qui savent se sortir du quotidien en utilisant leur système de gestion des stocks pour réfléchir à ce qu'ils font et en tirer de nouvelles orientations. Des actions de formations seront nécessaires. Elles permettront de corriger et améliorer ces éléments. » (p79)
En clair : beaucoup de bonne volonté, d'investissement en temps et en argent, mais une nécessaire prise de conscience que la librairie est avant tout un commerce qui doit être géré comme tel.
Lire l'intégralité de l'étude et les préconisations de ses auteurs (p74-77).
* Catégorie A : CA livre > 2 millions d'euros.
Catégorie B : CA livre entre 1 et deux millions d'euros.
Catégorie C : CA livre entre 300 000 euros et 1 million d'euros
Catégorie D : CA livre < 300 000 euros