#Essais

Partigia. Primo Levi, la Résistance et la mémoire

Sergio Luzzatto

Il y a une saison, dans la vie de Primo Levi, à propos de laquelle l'écrivain chimiste a toujours été avare : sa période, courte et malheureuse, de partisan. Les trois mois passés dans la Vallée d'Aoste, au col de Joux, à l'automne 1943. Dans Le Système périodique , la Résistance n'occupe pas plus de quatre pages, sévères : "Nous avions faim et froid, nous étions les partisans les plus désarmés du Piémont et, probablement, les plus démunis. Nous manquions d'hommes capables, et étions au contraire submergés par un déluge de gens disqualifiés, de bonne foi et de mauvaise foi, qui arrivaient de la plaine à la recherche d'une organisation inexistante". La chute de la bande dans "l'aube de neige spectrale" du 13 décembre était donc à la fois logique et "conforme à la justice". Comment expliquer une représentation de la Résistance des origines si désacralisante, si dissonante par rapport à la mythologie antifasciste sur les premiers partisans en montagne ? Sinon par l'existence "entre nous, dans l'esprit de chacun", d'un vilain secret : "Nous nous étions trouvés obligés en conscience d'exécuter une condamnation et nous l'avions fait, mais nous en étions sortis démolis, démoralisés, désireux de voir tout finir et de finir nous-mêmes". Les deux résistants exécutés étaient innocents. Aujourd'hui, leur souvenir est entretenu comme "victimes du fascisme" sur le monument commémoratif à Turin. Le mouchard infiltré sera condamné à la Libération, sur la base notamment du témoignage de Primo Levi. Sa condamnation à mort sera commuée en détention et il sortira libre pour utiliser ses compétences d'infiltré dans les organisations néo-fascistes au profit des services secrets américains. Tout l'enjeu de l'enquête/récit/analyse de Luzzatto devient alors une éblouissante réflexion sur deux martyrologes en tension, celui de la Résistance et celui de la déportation - des tensions qui traversèrent l'existence de Primo Levi, quand il dénonçait tantôt au nom de son expérience ratée de partisan les remontées néo-fascistes ou, au nom des déportés raciaux, les offensives du négationnisme contre les camps de la mort. Une tension qui traversa aussi la République italienne, mais le lecteur français songe tout autant aux affrontements de mémoire qui partagent sa société.

Par Sergio Luzzatto
Chez Editions Gallimard

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Critique littéraire

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trad. Pierre-Emmanuel Dauzat
02/06/2016 457 pages 26,00 €
Scannez le code barre 9782070143887
9782070143887
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