#Roman francophone

Falaises

Olivier Adam

Etretat. Sur le balcon d'une chambre d'hôtel, un homme veille. Au bout de son regard: les falaises éclairées d'où s'est jetée sa mère, vingt ans plus tôt. Le temps d'une nuit, le narrateur déroule le film de sa vie, cherche dans sa mémoire rétive les traces de cette mère disparue. Il fouille son enfance, revient sur sa jeunesse perdue, sur son père brutal, son frère en fuite, ses années à Paris. Ce qu'il puise dans ses souvenirs: un flot d'images, de sensations, de lieux, d'apparitions. Et cette question: comment suis-je encore en vie, qui m'a sauvé ? Dans ce roman qui semble faire table rase du passé pour mieux le ranimer, Olivier Adam convoque tous les thèmes et les personnages qui lui sont chers. Ainsi rassemblés, ils donnent à Falaises un souffle et une ampleur romanesques rares.

Par Olivier Adam
Chez Editions de l'Olivier

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Genre

Littérature française

 

 

 

 

 

I

 

DANS LES SABLES

 

 

 

Ici la nuit est profonde et noire comme le monde. De l’autre côté des baies vitrées, séparée du dehors et des falaises, protégée du bruit de la mer et de la compagnie des oiseaux, Claire dort et qui sait où nous allons. Chloé est dans ses bras, paisible et légère contre sa poitrine. J’allume des bougies dans la nuit. Ma main plonge dans le plastique transparent, j’en sors de petits ronds d’aluminium remplis de cire blanche. Je craque une allumette. Il y a vingt ans que ma mère est morte. Vingt ans jour pour jour.

Les falaises se découpent dans le tissu du ciel. J’y contemple des fantômes, des corps chutant dans la lumière. Je me retourne et sur la vitre se reflètent mon visage usé, mes traits tirés, prématurément vieillis. Claire ouvre un instant les yeux, Chloé fourre son pouce dans sa bouche, et se colle à son dos. J’allume une cigarette et le bout incandescent fait un rond rouge, un point lumineux au milieu du noir et du blanc. Sur le balcon où je veille en surplomb de la plage, deux transats se font face. Je m’allonge sur l’un d’eux. Une couverture me protège du froid qui descend et s’amplifie. Mon regard se perd à l’ouest.

 

J’ai trente et un ans et ma vie commence. Je n’ai pas d’enfance et, désormais, n’importe laquelle me conviendra. Ma mère est morte et tous les miens s’en sont allés. La vie m’a fait une table rase où Claire et moi nous nous asseyons, où Chloé s’est invitée, un sourire très doux au coin des lèvres.

J’ai trente et un ans et ma vie commence ainsi, perdue dans la nuit maritime. Derrière moi, à peine plus concrètes que des ombres, moins denses qu’un peu de fumée, Claire et Chloé me regardent, la plus petite au creux des bras de la plus grande, toutes deux figées dans le silence de la chambre d’hôtel. Claire me sourit puis se rendort, et leurs respirations se confondent.

 

Ici la nuit est profonde et noire de monde. Ma mère marche sur la lande, comme une fée somnambule. Antoine et Nicolas, Lorette et les autres dansent autour des flammes, les yeux clos et le visage tendu vers le ciel. Léa se tient tout au bord, sur la pointe des pieds comme sur un fil, à deux doigts du vide, funambule, équilibriste.

J’avais onze ans quand ma mère est morte. Trois jours plus tôt, elle sortait de l’hôpital et la lumière éclaboussait tout. Elle y avait passé les six derniers mois et nous n’avions pas eu le droit de la voir. La pièce d’eau, les bancs alignés, le grand bouleau qui frissonnait près de la bâtisse, le sapin au milieu de la pelouse, les cerisiers en fleur, j’ai tout gardé en mémoire imprécise.

On l’attendait dans la voiture, mon père au volant de sa Ford Granada grise, mon frère et moi blottis silencieux à l’arrière. Le skaï alvéolé nous collait aux cuisses, marquait nos peaux moites. Mon père tapotait du bout des doigts sur le tableau de bord, tripotait le fanion PSG qui pendait du rétroviseur, se retournait de temps en temps et nous ordonnait sèchement, alors que nous ne respirions qu’à peine, de rester sages. Antoine hochait la tête et je l’imitais. Puis je fermais les yeux et le soleil mordait ma joue.

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26/08/2005 206 pages 18,30 €
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