Je dédramatiserai le trépas jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Faut-il que les vivants aient honte de leur comportement pour qu’ils ferment systématiquement les yeux de leurs morts ?
Quand on est en bonne santé, on peut écrire n’importe quoi sur la mort puisque les défunts qui connaissent vraiment le sujet ont perdu, en même temps que la vie, le goût de la contradiction.
Prologue
MIEUX VAUT TROP TARD
QUE JAMAIS…
Durant soixante-dix-huit ans, j’ai tenté d’exorciser le sujet en n’en parlant jamais. Au point que j’avais rayé le mot mort de mon vocabulaire. Et même celui de décès, qui tient à la fois le rôle de synonyme et d’euphémisme dans notre langage courant. Toute ma jeunesse, ma seule approche du sujet a consisté à raconter, sous forme de dialogue, une blague débile :
— Bonjour monsieur Funèbre, je voudrais une pompe.
— Je ne vends que des bières.
— Alors, donnez-moi un demi !
Par superstition, je n’achetais pas de DVD parce que ce sigle se rapprochait trop de décédé. Et, alors que j’ai tant écrit, je n’ai jamais rédigé de testament.
Pour que la Grande Faucheuse m’oublie, je me faisais encore plus petit que je ne suis. Je m’abstenais d’aller aux enterrements sous prétexte que je ne rencontrerais par définition que des seconds rôles et que le jour venu, la vedette ne serait plus en état de me rendre la politesse. Aujourd’hui, je vous livre ce que certains considéreront sans doute comme mes dernières volontés, mais j’ai préféré déposer l’enveloppe – sans la fermer – chez les libraires plutôt que chez un notaire.
En fait, tout a basculé le jour où, m’étant avisé de l’inéluctabilité du grand saut, j’ai décidé de commercialiser l’élastique. Le premier livre s’intitulait très explicitement Je suis mort. Et alors ? au grand dam de l’éditeur qui pensait que si on l’imprimait sur la couverture, la mort était un gros mot en même temps qu’un vocable dissuasif. Ce fut plutôt un succès. Une fois passé la surprise de voir un amuseur publier ses mémoires d’outre-tombe, les critiques voulurent bien louer la description d’une situation qu’ils ne connaissaient pas plus que moi.
Comme à partir de cinquante mille exemplaires vendus la récidive est obligatoire, j’accouchai un an plus tard de Ma vie d’avant, ma vie d’après. Pour être plus crédible, je mélangeai cette fois la relation d’un passé dont j’étais sûr et l’imagination d’un avenir plein d’incertitudes.
La trilogie se termine donc ici sous un titre presque aussi long que ma vie. Peut-être moins une trilogie qu’une trithérapie contre la principale angoisse existentielle. Cela dit, je préfère vous dire la vérité : la dédramatisation du trépas à laquelle j’aspirais demeure un vœu pieux. J’ai simplement trouvé dans une terre où rien ne pousse à part des concessions à perpétuité, mon ultime filon. Avec l’espoir que votre générosité, cher lecteur, permettra à ma famille qui en bénéficiera forcément, de m’apporter, une fois l’an, les plus beaux chrysanthèmes de la division.
Extraits
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