Genre
Psychologie, psychanalyse
Introduction
Marlène Jouan
Que chacun se glisse dans ses propres rêves, les plus bizarres ou les plus répétitifs ; qu’il en choisisse un, celui qui lui ressemble le plus, mais dont, pour quelque obscure raison, il ne peut parler à personne. Qu’il essaie de se couler dans ses mouvements, ses sensations, ses mots pas tout à fait comme les autres. Puis, tout en restant fidèle à la scène du rêve, qu’il remonte à la surface et écoute ceux qui parlent, marchent, entendent, regardent, agissent alentour autrement, bizarrement, follement, à faire peur. Chacun, chacune entendra alors des paroles singulières, des sensibilités neuves, celles-là mêmes qui paraissaient auparavant inaudibles, illogiques, indistinctes ou inquiétantes. Des mondes nouveaux s’ouvriront à son écoute, douloureux ou enchantés, ni normaux ni handicapés, éclosions de surprises, des mondes en train de devenir polyphonie, résonances différentes et cependant compatibles, des mondes enfin rendus à leur pluralité.
Ce sont ces mots de Julia Kristeva, extraits de sa Lettre au président de la République sur les citoyens en situation de handicap, à l’usage de ceux qui le sont et de ceux qui ne le sont pas1, qui ont inspiré le titre de cet ouvrage collectif : Voies et voix du handicap. Nous invitant à chercher « au cœur de nos angoisses et de nos vulnérabilités » une exigence de justice qui ne reste pas sourde, aussi bien intentionnée soit-elle, aux multiples incarnations humaines de l’étrange et de l’étranger, ils font d’une part entendre, jusqu’à remettre en cause toute limite une et indivisible entre le normal et le pathologique, la diversité des situations de handicap, et déploient d’autre part, sur un registre qui n’est pas seulement métaphorique, la partition d’une œuvre démocratique à même de reconnaître un droit de cité/citer à toutes les modulations du langage, y compris infralinguistiques et non-rationnelles.
Nul angélisme dans cette double ambition, comme le montrent les textes ici réunis qui, sans se focaliser sur des catégories répertoriées de handicap, s’adressent à toutes ses formes et déclinent en même temps, chacun à leur manière, des propositions pratiques d’articulation du singulier et de l’universel qui ne cèdent ni à l’apologie de l’idiosyncrasie ni à ce que Henri-Jacques Sticker nomme la « passion normalisatrice »2. Y contribue, sans aucun doute, l’entrecroisement des savoirs disciplinaires, non seulement d’un texte à l’autre, mais aussi au sein même de la plupart des contributions. Alors qu’ils ne sont pas tous des « spécialistes » de la question du handicap même s’ils l’ont rencontrée à un moment ou un autre de leurs recherches, leurs auteurs, qu’ils soient « officiellement » philosophes ou sociologues, convoquent ainsi largement, et réciproquement, les conceptualisations et les théories, les outils d’analyses et les matériaux empiriques proposés tant par la sociologie que la philosophie.
Extraits
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