Editeur
Genre
Littérature française
Chapitre 1
Effrayé, le lapin filait en zigzaguant, prisonnier des phares de la 2CV. Cramponné au volant avec un sourire goulu, Antoine Girard cherchait à l’écraser. Il fit une embardée plus violente que les autres et la roue avant gauche dérapa sur le bord herbeux du fossé. Antoine réussit à redresser et ralentit. Le lapin s’échappa à travers champs.
– Raté ! constata le garçon avec une pointe d’amertume.
– Tu tiens vraiment à manger du lapin ? s’étonna la jeune fille soulagée assise à son côté.
– Tu n’aimes pas le lapin ?
– Non ! J’en mange assez à la ferme. Je préfère le bifteck.
Coincée contre la portière droite, la jeune fille, qu’engourdissait le froid à travers la vitre, fixait son regard sur la route, sans la voir, une route bordée de champs où perçaient les brins tendres du blé d’hiver ; la terre grasse luisait légèrement dans la nuit humide d’avril. Parfois, un pré planté de quelques arbres découpait une tache sombre dans l’uniformité du paysage. Ici et là, les fermes endormies évoquaient le réconfort d’un bon lit. De rares lumières aux fenêtres.
Monique Pasquinier, contrairement à son ami qui tapotait son volant sur le rythme d’un air intérieur, était lasse et mécontente. Elle avait hâte de se réfugier dans la solitude de sa chambre, pelotonnée sous son édredon de plume. La soirée, passée dans une discothèque de Marigny-sur-Loire, au pied des remparts, aurait pu être agréable, mais Antoine s’était montré de plus en plus entreprenant et Monique n’était pas encore décidée. La 2CV se balançait, roulant à vive allure sur le revêtement creusé d’ornières.
– Tiens, qu’est-ce que c’est ? murmura Antoine qui ralentit instinctivement.
Les deux jeunes gens scrutèrent la nuit, une nuit de plus en plus laiteuse. Bientôt, au loin plusieurs lueurs orangées apparurent, et un peu plus tard se mirent à clignoter. La 2CV s’approchait rapidement ; les lueurs devinrent des gyrophares.
– Un accident, émit Antoine.
– Il y aurait des feux bleus, remarqua Monique, la police…
Le jeune homme rétrograda. Il se trouvait maintenant derrière une fourgonnette supportant un énorme écriteau où clignotaient trois ampoules orange : « Fin du convoi ». Antoine chercha à doubler, mais un motard de la Gendarmerie, caché par la fourgonnette, déboîta, ralentit et se retourna pour lui faire signe de rester où il était.
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
Antoine avait eu le temps d’apercevoir un deuxième motard, et, plus en avant, l’arrière d’un gigantesque semi-remorque supportant ce qui ressemblait une énorme citerne. De nombreuses lampes tournantes, haut perchées, l’éclairaient à peine.
– Il y a au moins six roues côte à côte…
Ils patientèrent quelques instants, roulant au pas.
– Nous voilà bien, gémit Antoine.
– Le chemin des Planchart ne doit plus être très loin. En prenant le long du pré du Père Pillois, on devrait pouvoir les devancer, proposa Monique avec une moue méprisante en direction du convoi.
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