Editeur
Genre
Littérature française
Chapitre 1
Comme chaque soir, afin d’accéder à la lucarne, je bloquai deux pieds de mon tabouret, entre le mur et le tuyau de chauffage qui traversait ma cellule. Je distinguai, tel un gyrophare mal réglé, les lumières de la ville. Comment aurais-je pu imaginer être aussi ému par ce qui m’apparaissait quand j’étais de l’autre côté ? J’observai, fasciné, le croisement des feux de véhicules lancés à toute allure. Tout semblait s’organiser avec la dextérité et la précision d’un vol d’étourneaux. Pour rien au monde, je n’aurais raté cet instant. L’émotion passée, je fermai les yeux et me laissai submerger par cette fraîcheur toujours présente à la nuit tombée. La brise naissante me caressait ainsi les tempes, jusqu’à ce que le cliquetis de l’œilleton me ramène à la triste réalité. Je retournai à mon lit et je continuai à laisser défiler les images qui me permettaient temporairement de m’évader. Je pouvais ainsi entrer dans le cœur de cette ville, alors que je n’y avais jamais mis les pieds. Elle était entre ces quatre murs, mon seul moyen de fuir ces lieux. Excepté bien entendu les quelques bouquins, sur une étagère, que j’avais fini par connaître par cœur et qui désormais servaient de ramasse-poussière. Ils étaient là et ça me rassurait. Il y avait aussi un tas de lettres empilées et des coupons de mandats que, malgré sa faible retraite, ma mère m’envoyait. Je pouvais, en attendant de ses nouvelles, passer des heures à les relire et faire ainsi un bras d’honneur au temps. Parfois, j’appuyais sur un bouton mural pour avoir la radio qui était toujours sur la même fréquence. Je ne le faisais que pour rompre, au moment de la sieste, ce silence assourdissant. Chaque fin d’après-midi, un gardien accompagné d’un autre, entrait dans chaque cellule avec une barre métallique pour vérifier si l’un des barreaux ne sonnait pas faux. Ça m’amusait. Je partageais ma cellule avec Bagdad. Il avait pris quatorze ans pour avoir ligoté un vieillard afin de le cambrioler, pensant qu’un de ses proches lui rendrait visite très prochainement. Malheureusement le vieil homme fut découvert dix jours plus tard. Sachant pourtant que personne n’aurait pu remonter jusqu’à lui, Bagdad s’était livré à la police après avoir lu le fait divers dans un journal local. En ce qui me concerne, j’étais tombé en comparution immédiate pour vol et recel. Il n’en était rien, mais je m’étais trouvé au mauvais endroit quand les gendarmes, prévenus par le voisinage de ma présence sur les lieux, m’ont interpellé. C’était sur les bords du Loiret. Je faisais du camping sauvage depuis une semaine. Il y avait sur un tas de briques, à proximité de mon emplacement, un véhicule volé que je n’avais jamais remarqué. Les malfaiteurs avaient dû l’abandonner faute de ne pouvoir le réparer. Après m’avoir réveillé sans ménagement, les forces de l’ordre m’y ont conduit. Il y avait un écriteau sur le coffre, qui mentionnait en lettres capitales, « Servez-vous, c’est gratuit ». Comme celui-ci débordait de marchandises alimentaires dérobées à une supérette de la région, je faisais le suspect idéal. Au poste de police, j’ai été contraint de signer la déclaration des faits reprochés. À la maison d’arrêt d’Orléans, où j’ai été incarcéré, moi qui ne mangeais pas toujours à ma faim, j’avais été très agréablement surpris par les plateaux-repas de l’établissement. J’avais eu pour le premier, comme si je devais être exécuté le jour même, un menu digne d’un roi.
Extraits
Commenter ce livre