#Essais

La révolution du féminin

Camille Froidevaux-Metterie

Le mouvement féministe a produit bien plus qu'une dynamique d'égalisation des conditions féminine et masculine. Il a contribué, montre Camille Froidevaux-Metterie, à réorganiser en profondeur notre monde commun, à la faveur d'un processus toujours en cours qui voit les rôles familiaux et les fonctions sociales se désexualiser. Par-delà les obstacles qui empêchent de conclure à une rigoureuse égalité des sexes, il faut ainsi repérer que nous sommes en train de vivre une véritable mutation à l'échelle de l'histoire humaine. Plus d'attributions sexuées ni de partage hiérarchisée des tâches : dans nos sociétés occidentales, la convergence des genres est en marche. La similitude de destin des hommes et des femmes ne renvoie pourtant à aucune homogénéisation. Dans un monde devenu mixte de part en part, les individus se trouvent plus que jamais requis de se définir en tant qu'homme ou en tant que femme. Or ils ne peuvent le faire sans prendre en considération la sexuation des corps. S'évertuer à la nier, comme le fait un certain féminisme, c'est heurter de plein fouet cette donnée nouvelle qui veut que la maîtrise de sa singularité sexuée soit la marque même de la subjectivité. L'auteure entreprend ainsi de réévaluer la corporéité féminine pour en faire le vecteur d'une expérience inédite englobant l'impératif universaliste des droits individuels et l'irréductible incarnation de toute existence. Le sujet féminin contemporain se révèle alors être le modèle d'une nouvelle condition humaine.

Par Camille Froidevaux-Metterie
Chez Editions Gallimard

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Genre

Sciences historiques

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

Le séisme féministe

 

 

À l’échelle de l’histoire humaine, l’émancipation féminine a été fulgurante. Définies pendant des siècles, des millénaires même, selon une essentielle infériorité synonyme de soumission, les femmes ont soudainement accédé à la liberté. Entre les années 1970 et aujourd’hui, leur condition a changé du tout au tout au gré d’une dynamique irrésistible d’affranchissement et de légitimation sociale. S’extirpant du cadre domestique où elles étaient cantonnées, elles ont investi le monde, dans tous les domaines et à tous les échelons. Voilà comment, en quelques décennies, les femmes sont devenues des individus de droits en tous points similaires à leurs homologues masculins. Nous en avons ainsi fini avec leur séculaire minoration. Plus de division sexuée des tâches, plus de hiérarchie implicite des rôles, plus d’exclusivité d’aucune sorte, mais le seul principe de l’égalité des sexes à défendre et à garantir toujours davantage.

Curieusement, ni la rapidité ni l’intangibilité de ce processus ne sont reconnues dans leur portée décisive. On s’attache à souligner la lenteur, la fragilité et la contingence d’une évolution qui se révèle tout à l’inverse soutenue, durable et absolue. À se concentrer de la sorte sur les ratés et les incomplétudes de l’égalisation des conditions féminine et masculine, on ne prend pas assez la mesure du caractère inéluctable de leur homogénéisation. Il est vrai que certains acquis de la lutte pour l’émancipation demeurent soumis à des atteintes récurrentes et qu’il arrive que l’on observe des retours en arrière inquiétants. Il n’est pas question de le nier, mais d’observer que la focalisation sur ces problèmes concourt à entretenir la myopie qui caractérise notre regard sur la place des femmes dans la sphère occidentale — car, on l’aura compris, nous nous limitons à ce cadre.

En chaussant les lunettes de l’histoire, nous voulons corriger cette vision troublée et mettre en lumière l’envergure de l’action et de la pensée féministes. Il y va de bien plus que de la simple application du principe égalitaire aux deux sexes. Superficiellement, on peut l’interpréter comme une dynamique de rattrapage : il s’agissait de faire accéder les femmes au statut d’individu libre et égal qui était celui des hommes depuis l’avènement des démocraties libérales. Plus en profondeur, il faut repérer ce mouvement par lequel, en bouleversant la définition du sujet féminin, les militantes de la cause des femmes ont modifié l’organisation même des sociétés. Ainsi, à rebours des interprétations qui font de la théorisation démocratique du politique l’événement fondateur de notre monde moderne, nous entendons montrer que le moment féministe constitue un tournant au moins aussi déterminant, marqué par l’avènement d’une nouvelle condition humaine dans le cadre d’un réordonnancement complet de l’être-ensemble.

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08/01/2015 384 pages 23,90 €
Scannez le code barre 9782070147526
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