AVANT-PROPOS
À en juger par les réactions passionnées que ce livre a suscitées – et qui m’ont, je l’avoue, surprise –, la maternité est encore aujourd’hui un thème sacré. L’amour maternel est toujours difficilement questionnable et la mère reste, dans notre inconscient collectif, identifiée à Marie, symbole de l’indéfectible amour oblatif.
Si de nombreux lecteurs m’ont manifesté leur sympathie, si certains spécialistes des disciplines concernées ont bien voulu exprimer leur intérêt, ou leur approbation, je reçus en revanche un certain nombre de critiques, toutes centrées autour de la même question : le philosophe a-t-il le droit de trancher de l’existence ou de l’inexistence d’un instinct, quel qu’il soit ? Ne faut-il pas laisser au biologiste le soin de répondre à la question ? Certains, se souvenant que d’éminents biologistes avaient déjà conclu à la remise en cause globale de la problématique de l’instinct chez l’homme, me firent savoir que mon travail n’avait plus grand intérêt. D’autres, au contraire, pour lesquels le problème n’est toujours pas résolu, jugèrent impossible de le traiter sans s’intéresser aux deux hormones du maternage : la prolactine et l’ocytocine.
D’autres enfin trouvèrent inadmissible d’utiliser l’histoire pour soutenir une thèse qui ne relevait ni de la compétence du philosophe ni de celle de l’historien. Tous ces critiques me reprochaient donc d’outrepasser de façon intolérable les limites de ma discipline.
Mais au fait, quelles sont les limites de la philosophie ? Et à quoi sert ce discours, spécialisé en rien et qui se mêle de tout, sinon justement à questionner à nouveau les vérités acceptées et à analyser tous systèmes de pensées ? Peut-on interdire au philosophe de réfléchir sur les présupposés de la biologie ou de l’histoire, alors que l’on sait bien que là se noue toute la problématique de la nature et de la culture ? Pourquoi se verrait-il déclarer inapte à lire l’histoire ou à interpréter des comportements dès l’instant qu’il est en possession des mêmes matériaux que l’historien ?
Certes le philosophe ne fait pas avancer la science puisqu’il n’apporte pas de documents ou de faits nouveaux à la collectivité scientifique, mais faut-il considérer son travail comme nul et non avenu s’il entreprend, plus modestement, de faire reculer les préjugés ?
Cependant, parmi toutes les critiques qui me furent adressées, certaines m’ont paru nécessaires et constructives. J’ai parfois péché par imprécision ou omission. Fallait-il céder, par exemple, au plaisir de titrer la première partie : « L’Amour absent » ? Tant de lecteurs s’y sont laissé prendre – même parmi les mieux intentionnés – qu’il faut bien battre sa coulpe. Je n’ai jamais écrit que l’amour maternel est une invention du XVIIIe siècle ; j’ai même, à plusieurs reprises dans ce livre, souligné le contraire. Mais le titre pouvait laisser croire, au lecteur pressé, que tel était bien mon propos. Je voulais seulement dire qu’une société
Extraits
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