#Roman francophone

Crossfire Tome 3 : Enlace-moi

Sylvia Day

Parce qu'il me savait menacée, Gideon avait pris des risques insensés. Pour me protéger, il s'était chargé du pire des fardeaux. Son geste était la plus bouleversante des preuves d'amour, mais il nous séparait autant qu'il nous rapprochait. Prisonniers de nos secrets, nous étions plus que jamais prêts à défier le destin pour être ensemble. Je pressentais toutefois que ce passé qui nous avait déjà tellement meurtris pouvait, à tout instant, nous rattraper.

Par Sylvia Day
Chez J'ai lu

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Editeur

J'ai lu

Genre

Littérature érotique et sentim

1


Les chauffeurs de taxi new-yorkais constituent une race à part. Intrépides à l'excès, ils se faufilent dans les encombrements à une vitesse folle tout en affichant un calme olympien. Pour ne pas perdre complètement la boule, j'avais donc pris l'habitude de me concentrer sur l'écran de mon smartphone plutôt que sur les voitures entre lesquelles ils zigzaguaient. Parce que si je me risquais à lever le nez, j'enfonçais aussitôt une pédale de frein imaginaire en un réflexe pavlovien.
Ce soir-là, cependant, je n'avais pas besoin de distraction. Le cours de krav maga dont je sortais m'avait lessivée, et je ne cessais de penser encore et toujours à ce que l'homme que j'aimais avait fait.
Gideon Cross. À la simple évocation de son nom, une bouffée de désir me submergeait. Depuis que j'avais posé les yeux sur lui pour la première fois – que j'avais perçu, au-delà du physique fascinant, les ténèbres qui l'habitaient –, j'avais ressenti cette irrésistible attraction qui naît de la rencontre avec l'autre moitié de soi-même. J'avais besoin de lui comme j'avais besoin de respirer, or il s'était mis en danger, il avait pris le risque de tout perdre – pour moi.
Un coup de klaxon me ramena brutalement au présent.
De l'autre côté du pare-brise, Cary Taylor, mon colocataire, me gratifia de son sourire étincelant depuis l'affiche qui s'étalait sur l'autobus qui nous bloquait le passage à un carrefour. Le chauffeur actionna l'avertisseur à plusieurs reprises comme si cela suffisait à dégager la route.
Cary ne bougea pas d'un pouce. Allongé sur le flanc, pieds et torse nus, la braguette déboutonnée de son jean laissait apparaître l'élastique de son caleçon et soulignait ses abdominaux d'acier. Ses cheveux châtain clair étaient délicieusement ébouriffés et une lueur malicieuse étincelait dans son regard d'émeraude.
Je réalisai brusquement, et ce fut un choc, que j'allais devoir dissimuler à mon meilleur ami un terrible secret.
Depuis des années, Cary était mon roc, la voix de la raison, l'épaule sur laquelle je pouvais toujours m'appuyer quoi qu'il advienne – un véritable frère. Et l'idée de lui taire ce que Gideon avait accompli pour moi m'était insupportable.
J'avais besoin d'en parler, besoin d'aide pour analyser les émotions que son acte m'inspirait, mais il était impossible que je me confie à qui que ce soit. Tant d'un point de vue éthique que légal, notre thérapeute lui-même ne pourrait nous garantir le secret.
Un agent de la circulation engoncé dans un gilet jaune fluo surgit soudain au carrefour et, d'un geste autoritaire accompagné de coups de sifflet stridents, obligea le bus à regagner sa file. Il nous fit alors signe de franchir le carrefour, juste avant que le feu passe au rouge. Les bras croisés, je tâchai de me calmer en me balançant d'avant en arrière.
Le trajet depuis le penthouse de Gideon sur la Cinquième Avenue jusqu'à mon appartement de l'Upper West Side n'était pas bien long, pourtant j'avais l'impression qu'il n'en finissait pas. Ce que l'inspectrice Shelley Graves m'avait appris quelques heures auparavant avait bouleversé ma vie et m'avait également contrainte à abandonner la seule et unique personne avec laquelle je voulais vivre.
J'avais dû quitter Gideon parce que je ne pouvais pas me fier aux motivations de Graves. L'inspectrice m'avait peut-être confié ses soupçons dans l'espoir que je coure le rejoindre, lui apportant ainsi la preuve que notre rupture n'était qu'une mise en scène.
Mon cœur cognait dans ma poitrine. Gideon avait besoin de moi – autant, si ce n'est plus, que j'avais besoin de lui –, et pourtant j'étais partie.
Le désespoir que j'avais lu dans son regard lorsque les portes de son ascenseur privé s'étaient refermées m'avait anéantie.
Le taxi s'engagea dans ma rue. Quelques secondes plus tard, il s'arrêtait devant mon immeuble. Le portier de nuit m'ouvrit la portière avant que j'aie le temps de demander au chauffeur de me ramener chez Gideon, et une bouffée d'air moite s'engouffra dans l'habitacle.
— Bonsoir, mademoiselle Tramell, me dit-il en effleurant la visière de sa casquette.
Une fois que j'eus réglé la course, je pris la main qu'il me tendait pour sortir de la voiture et sentis son regard s'attarder un bref instant sur mes joues striées de larmes.
Je plaquai sur mes lèvres un sourire faussement serein et me ruai dans le hall. Je me dépêchai de gagner l'ascenseur, saluant au passage le veilleur de nuit.
— Eva !
Je tournai vivement la tête. Assise un peu à l'écart, une jeune femme svelte, en jupe et chemisier élégants, se leva. Son épaisse chevelure brune retombait en boucles souples sur ses épaules et son gloss rose mettait en valeur ses lèvres pulpeuses. Je fronçai les sourcils – je ne croyais pas la connaître.
— Oui ? répondis-je, méfiante.
Son expression avide m'alarma. En dépit de mon abattement, je me redressai et pivotai pour lui faire face.
Elle me rejoignit, me tendit une main parfaitement manucurée.
— Deanna Johnson. Journaliste indépendante.
Je haussai un sourcil interrogateur.
Elle rit.
— Inutile d'être aussi soupçonneuse. J'aimerais seulement bavarder avec vous un instant. Je travaille sur un sujet et je pense que vous pourriez m'aider.
— Ne le prenez pas mal, mais je ne vois pas de quoi j'aurais envie de parler avec une journaliste.
— Pas même de Gideon Cross ?
Les poils se dressèrent sur ma nuque.
— Surtout pas de Gideon Cross.
Gideon figurait au palmarès des vingt-cinq personnes les plus riches du monde, et rien qu'à ce titre il attirait quotidiennement l'attention des médias. Pour l'heure, ce qui les intéressait, c'était qu'il m'avait quittée pour se remettre avec son ex-fiancée.
Deanna croisa les bras, un geste qui fit ressortir sa poitrine.
— Allons, Eva, je peux m'arranger pour ne jamais citer votre nom, proposa-t-elle afin de m'amadouer. Et ne rien dire qui permette de vous identifier. C'est une occasion unique de vous venger que je vous offre.
Un nœud se forma au creux de mon estomac. Elle avait tout pour plaire à Gideon : grande, mince, brune, peau mate. Tout le contraire de moi.
— Vous êtes sûre de vouloir vous engager dans cette voie ? m'enquis-je d'un ton posé, même si j'étais sûre que cette femme avait un jour couché avec l'homme que j'aimais. Personnellement, je n'aimerais pas figurer parmi ses ennemis.
— Vous avez peur de lui ? Pas moi. Son argent ne lui donne pas tous les droits.
Je me souvins d'avoir entendu le Dr Terrence Lucas – qui ne portait pas non plus Gideon dans son cœur – tenir des propos similaires. Alors même que je savais de quoi Gideon était capable, jusqu'où il irait pour me protéger, je répondis sans la moindre hésitation
— Non, je n'ai pas peur de lui. Cependant j'ai appris à ne me battre que lorsque c'est nécessaire. En l'occurrence, tourner la page constitue pour moi la meilleure des vengeances.
Elle releva le menton.
— Tout le monde ne peut pas se vanter d'avoir une rock star qui l'attend en coulisses.
Je réprimai un soupir à l'évocation de mon ex, Brett Kline, chanteur des Six-Ninths, le groupe de rock qui montait. À l'instar de Gideon, le sex-appeal de Brett vous atteignait de plein fouet. Mais contrairement à Gideon, Brett n'était pas l'amour de ma vie, et il était hors de question que je m'aventure de nouveau dans son univers.
Deanna sortit une carte de visite de sa poche.
— Bientôt, vous allez réaliser que Gideon Cross s'est servi de vous pour rendre Corinne Giroux jalouse et la récupérer. Quand cette idée aura fait son chemin dans votre tête, appelez-moi. Je serai là.
Je pris sa carte.
— Pourquoi pensez-vous que je sais des choses qui valent la peine d'être partagées ? demandai-je.
Elle pinça les lèvres.
— Parce que quelles qu'aient été les motivations de Cross, vous êtes parvenue à l'atteindre. L'homme de glace a quelque peu fondu pour vous.
— Possible, mais c'est de l'histoire ancienne.
— Il n'empêche que vous savez des choses, Eva. Je peux vous aider à sélectionner celles qui méritent d'être dévoilées.
— Quel serait votre angle d'approche ?
Pas question que je reste les bras croisés alors qu'un danger menaçait Gideon. Si cette femme avait décidé de lui nuire, j'étais déterminée à l'en empêcher.
— Cross a une part d'ombre.
— Comme tout le monde, non ?
Qu'avait-elle deviné chez Gideon ? Que lui avait-il révélé au cours de leur... relation ? Si tant est qu'ils en aient eu une.
Je n'étais pas certaine d'être jamais capable de penser à Gideon ayant eu une relation intime avec une autre femme sans éprouver une bouffée de jalousie féroce.
— On pourrait aller quelque part pour en discuter, suggéra-t-elle, mielleuse.
Je jetai un coup d'œil aux réceptionnistes qui s'appliquaient poliment à nous ignorer. J'étais encore trop à vif, trop perturbée par les révélations de l'inspectrice Graves pour affronter Deanna.
— Une autre fois, peut-être, répondis-je, soucieuse de ne pas fermer définitivement la porte afin de la garder à l'œil.
Comme s'il avait perçu mon malaise, Chad, l'un des réceptionnistes, s'approcha.
— Mlle Johnson s'apprêtait à partir, annonçai-je, soulagée.
Si l'inspectrice Graves n'avait pas réussi à épingler Gideon, ce n'était pas une petite journaliste indépendante qui risquait d'y parvenir, tentai-je de me rassurer.
Hélas, je savais quel genre d'informations pouvait fuiter de sources policières, et à quel point c'était courant ! Mon père, Victor Reyes, étant flic, j'avais entendu quantité de choses à ce sujet.
— Bonne nuit, Deanna, dis-je en me tournant vers les ascenseurs.
— J'attends de vos nouvelles, lança-t-elle dans mon dos.
Je montai dans la cabine et appuyai sur le bouton de mon étage. Une fois les portes refermées, je me laissai aller contre la paroi. Il fallait absolument que j'avertisse Gideon, mais je ne disposais d'aucun moyen discret et sûr de le contacter.
La douleur qui me comprimait la poitrine s'intensifia. Notre relation prenait l'eau de partout. Nous ne pouvions même plus communiquer normalement.
Un instant plus tard, je pénétrai dans mon appartement, traversai le séjour et déposai mon sac sur l'un des tabourets du comptoir de la cuisine. La vue imprenable sur Manhattan qui s'encadrait dans la baie vitrée me laissa de marbre. J'étais trop bouleversée pour m'intéresser à mon environnement. La seule chose qui m'importait, c'était que je n'étais pas avec Gideon.
Alors que je m'engageais dans le couloir pour gagner ma chambre, j'entendis un bruit de musique étouffé s'échapper de celle de Cary. Avait-il de la compagnie, ce soir ? Et si oui, qui ? Mon meilleur ami avait décidé de jongler avec deux histoires en même temps – l'une avec une femme qui l'acceptait tel qu'il était et l'autre avec un homme qui ne supportait pas qu'il voie quelqu'un d'autre.
J'entrai dans ma chambre et fonçai droit dans la salle de bains. Je laissai tomber mes vêtements sur le carrelage tout en me dirigeant vers la cabine de douche. Tandis que je me savonnais, je ne pus m'empêcher de repenser à toutes les fois où j'avais partagé une douche avec Gideon, à toutes ces fois où le désir que nous avions l'un de l'autre s'était exprimé de la manière la plus érotique qui soit.
Il me manquait tellement.
J'avais besoin de ses caresses, de son désir, de son amour. La faim que j'avais de sa présence me tenaillait, me laissait fébrile et agitée. Je me demandai comment j'allais réussir à m'endormir alors que j'ignorais quand j'aurais l'occasion de lui parler à nouveau. Nous avions tant de choses à nous dire.
Enveloppée dans une grande serviette, je sortis de la salle de bains...
Gideon se tenait devant la porte fermée de ma chambre. Le choc que j'en éprouvai fut proprement physique. Le souffle coupé, je sentis mon cœur s'emballer, tandis qu'une puissante vague de désir me balayait. Je réagissais comme si je ne l'avais pas vu depuis des années, et non à peine une heure.
Je lui avais donné ma clef, même s'il était propriétaire de l'immeuble. Un avantage qui lui permettait de me rejoindre sans laisser de trace... tout comme il avait été en mesure d'atteindre Nathan.
— Tu prends des risques en venant ici, lui rappelai-je.
Ce qui ne m'empêchait pas d'être aux anges. Je le dévorai des yeux, m'abîmai dans la contemplation de son corps.

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trad. Agathe Nabet
28/08/2013 445 pages 14,00 €
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