#Essais

Journal hédoniste. Tome 5, Le magnétisme des solstices

Michel Onfray

Ce journal, tenu au fil de ces dernières années, est une plongée dans l'univers de Michel Onfray. On y croise des philosophes qu'il admire, de Diogène à Proudhon en passant par Montaigne. Mais on y parle aussi de politique, de laïcité et d'anarchisme, de littérature, d'art ou de musique. Lectures personnelles, réflexions sur l'actualité, rencontres amicales ou souvenirs d'enfance, tout y est matière à s'étonner et à penser. Et à se demander sans relâche : "Comment mener une vie philosophique ?"

Par Michel Onfray
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Philosophie

1

L’ANTÉCHRIST S’APPELLE PROSPER

 

 

 

À l’amphithéâtre Tocqueville, que la présidente de l’université de Caen mettait alors à ma disposition chaque semaine pour les cours de l’Université populaire – contre l’avis, évidemment, de la poignée de professeurs qui peinent à écrire, publier, vivre, être et jouir –, j’avais commencé la deuxième année avec trois séances consacrées à la naissance du christianisme. Impossible d’éviter ce passage puisque l’année tout entière s’intitulait La Résistance au christianisme. Dès lors, il fallait bien savoir à quoi résistaient les héros et hérauts de mes vingt-deux rendez-vous avec le public.

Premier temps de chaque séance, un exposé ; second temps, son commentaire critique avec l’assemblée. J’ai proposé un cours sur l’inexistence historique de Jésus et son rôle de personnage conceptuel, de fiction littéraire ; un autre sur l’hystérie de Paul de Tarse et son désir de névroser le monde afin de pouvoir (mieux) vivre avec sa tare psychique ; enfin un dernier à propos de Constantin, empereur fin stratège comprenant bien vite quel parti politique il pouvait tirer de cette secte en se convertissant, puis en engageant l’Empire tout entier dans sa nouvelle croyance. Une fiction, une névrose, un coup d’État et leurs relations maudites.

Près de mille personnes dans la salle. Des frémissements, des étonnements, des murmures, de la réprobation, des sourires, de l’ébahissement. Quoi, Jésus, une histoire pour les enfants, un conte à dormir debout, un copain mythique du Père Noël ou de la Vouivre ? Impossible… Comment autant d’hommes depuis si longtemps, disséminés sur tant de pays, succomberaient-ils à pareille hallucination ? À quoi l’on pourrait répondre, en évitant l’argument pourtant fondé de l’hallucination collective, par le fait que des milliards d’hommes sur la planète n’ont jamais sacrifié à ces fariboles et n’y sacrifieront jamais – souvent d’ailleurs parce qu’ils croient à des sornettes et balivernes guère plus fondées.

Et puis, surgissant comme Zébulon de ce chaudron surexcité, un vieil homme pourtant sans âge, immense, dégingandé, osseux, visage parcheminé, creusé au burin mystique, déploie sa grande carcasse d’oiseau maigre. La tête grosse et dodelinante sur un corps diaphane, il lève les yeux au ciel, clignote compulsivement, puis ferme franchement les paupières et se lâche dans un délire verbal avec une voix sans sexe habitée par la colère froide et tremblotante d’un croyant ayant croisé le regard de Satan. Mon exposé est ridicule, mes propos insensés, mes arguments complètement faux, ma méthode malhonnête, mes lectures malveillantes, ma culture insuffisante, ma démarche tricheuse, mes propos démagogiques, ma façon médiatique, ma bibliographie dépassée. Suivent deux ou trois autres occasions de démonstration d’amour du prochain ! Rires dans la salle, sourires. Le vieux monsieur hausse le ton, augmente le débit, ajoute du volume et souhaite un droit de réponse – probablement au nom de Dieu qui l’aura mandaté. Une dame à ses côtés vomit l’eau bénite en petits jets hystériques.

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09/10/2013 400 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782081290754
9782081290754
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