#Essais

Marchand d'armes

Bernard Cheynel

Bernard Cheynel est marchand d'armes depuis quarante ans. Son métier consiste à sillonner la planète pour vendre, aux meilleures conditions, avions de chasse, drones, missiles, chars, hélicoptères et munitions. Il travaille pour Dassault, Thalès et Safran ; la fine fleur de l'industrie française. Ses confidents sont les plus hauts dirigeants politiques du monde entier, avec lesquels, au fil du temps, il a su tisser des relations privilégiées. Indira Gandhi, Benazir Bhutto et le colonel Kadhafi auront été de ceux-là. Peu d'hommes auront brassé autant de millions d'euros en liquide, et auront été conduits, ce faisant, à corrompre les plus hauts placés. Pour autant, Bernard Cheynel s'en sera toujours tenu à ce principe : ne jamais verser de rétrocommissions aux politiques français. Les demandes n'auront pourtant pas manqué... Voici les mémoires de l'homme qui a tutoyé les protagonistes de l'affaire Karachi, de l'affaire Gordji, de l'affaire Agusta-Dassault et de l'affaire des vedettes de Cherbourg.

Par Bernard Cheynel
Chez Seuil

0 Réactions |

Editeur

Seuil

Genre

Sciences politiques

À mon mentor, Alexandre de Marenches.

J’ai eu deux maîtres tout au long de ma vie de marchand d’armes : Alexandre de Marenches et M. de Talleyrand. Le premier, qui régna onze années sur les services secrets français, me dit un jour – je l’entends encore : « Bernard, c’est formidable les initiatives que vous prenez dans tous ces pays clients. Soyez assuré que vous m’aurez toujours auprès de vous si vous vous refusez à toute compromission politique en France. Mais sachez que nos plus hauts fonctionnaires de l’armement sont tous aux ordres des politiques. » Fort de cet avertissement, je fis mienne cette maxime du second, grand connaisseur, s’il en fut, de la chose politique : « Les régimes passent, la France reste. Parfois, en servant un régime avec ardeur, on peut trahir tous les intérêts de son pays, mais en servant celui-ci on est sûr de ne trahir que des intermittences. »

La découverte, je préférais toujours la vivre en solitaire. La mériter, comme le collectionneur son antiquité. Vivre les choses intensément dans leur cheminement. Ne jamais vivre sa vie en demi-teintes, à l’économie. Les relations bien assises n’ont d’ailleurs guère d’intérêt quand le danger, lui, est excitant. Telle fut ma philosophie. Mais il est clair que vivre ainsi a eu un coût. Et j’ai subi bien des échecs dans mon travail, toujours à cause de nos politiques. Ma consolation ? Savoir qu’un intermédiaire habile n’a jamais besoin des politiques, de ces hommes qui, dès que le vent se lève, vous regardent vous noyer.

La mafia des frères Zemmour, de Jo Attia, du clan Guérini, toutes ces bandes qui firent la loi au temps de Gaston Defferre, après la guerre, fut finalement éradiquée quelques décennies plus tard. Mais ce fut pour laisser la place aux vautours en col blanc. Hier, les grands truands volaient et tuaient. Aujourd’hui, l’amoralité est plus policée mais le résultat identique. Un policier voyou qui rackette un patron de bar à Pigalle ou Marseille s’attire tôt ou tard des ennuis. Mais gagner beaucoup d’argent en rackettant telle ou telle entreprise est bien moins risqué. Des intermédiaires, instrumentalisés par les politiques, serviront de fusibles en cas de besoin. Un temps flamboyants, ils sont alors inexorablement jetés en prison, mis hors d’état de nuire par les médias et la justice. Les noms de ces « sacrifiés » défrayèrent la chronique en leur temps : Loïk Le Floch-Prigent, Alfred Sirven, Ziad Takieddine. Mais les politiques, eux, ne seront pas rattrapés, esquiveront toujours la sanction judiciaire, n’écoperont au pire que d’une peine de prison avec sursis. Et, bien entendu, ne rembourseront jamais les sommes reçues. En matière de contrats d’armement, le « secret défense » est un paravent redoutable.

Moi, j’ai toujours été rebelle à la pratique des rétrocommissions, comme on l’aura compris. Corrompre un dirigeant étranger qui envisage de signer un important contrat d’armement avec un industriel français, oui. La loi l’autorisa d’ailleurs sans restrictions jusqu’en 2000. J’en ai usé moi-même. Mais reverser de l’argent aux politiques français ? Jamais. C’est une question de principe.

Commenter ce livre

 

03/04/2014 263 pages 19,50 €
Scannez le code barre 9782021137361
9782021137361
© Notice établie par ORB
plus d'informations