#Roman étranger

La fille avec une robe à pois

Beryl Bainbridge

Durant l'été pluvieux de 1968, Rose quitte Kentish Town, dans la banlieue de Londres, pour se rendre aux Etats-Unis. Dans sa valise, elle a pris une robe à pois mais aucun billet de retour. Elle doit rejoindre là-bas un homme qu'elle connaît sous le nom de Washington Harold. Il est prévu que ces deux-là unissent leurs forces pour retrouver le docteur Wheeler, un homme à la personnalité aussi charismatique qu'insaisissable - oracle, gourou, sauveur d'âmes et sans doute charlatan ; Rose considère qu'il l'a bel et bien sauvée d'une enfance abominable tandis que Harold nourrit contre lui une rancune silencieuse et tenace. Alors qu'ils traquent leur proie à travers l'Amérique à bord d'un camping-car, ce couple étrange et mal assorti - Rose, enfant abîmée de cette Angleterre grise de l'après-guerre, et Harold, individu nerveux, obsessionnel, habité - croise toute une armée d'acolytes de Wheeler, soldats dépenaillés de la contre-culture, tournant et virant au gré de courants dangereux, ballottés par la colère et la dissidence obscure. L'assassinat de Martin Luther King est tout récent (avril) et une folie banale s'épanouit dans les réunions spiritualistes. La candidature démocrate de Robert Kennedy, dont la campagne présidentielle doit atteindre son apogée à l'Ambassador Hotel de Los Angeles au début du mois de juin, paraît représenter l'unique espoir de la nation. Le pèlerinage de Rose et Harold est comme un miroir de cette campagne. Sauf que Robert Kennedy trouvera la mort à ce moment-là et que, quelque part dans les ténèbres infinies de l'Amérique, le docteur Wheeler est aux aguets.

Par Beryl Bainbridge
Chez Christian Bourgois Editeur

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Genre

Littérature étrangère

Ce 18 mai, en début de matinée, Washington Harold avait fui devant une meute qui balançait des canettes, des bouts de bois et des pierres contre les fenêtres donnant sur le boulevard. Il n’y avait là rien de personnel, simplement il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment ; il n’aurait pas dû courir derrière le chat d’Artie Brune.

Il était maintenant trois heures et demie de l’après-midi et, installé dans la cabine du camping-car d’occasion qu’il venait d’acheter, il attendait l’arrivée de l’Anglaise de Wheeler. Pas un grain de poussière sur le tableau de bord, la moindre trace essuyée au chiffon, tout était impeccable même derrière la pendule miniature avec la tête d’Abraham Lincoln imprimée en fond, derrière les chiffres. Dommage que la pluie laissât des giclées de boue sur la peinture ; mais, protégée par la couche de polish qu’il avait étalée avant que le temps se gâte, ça se nettoierait facilement. La copine de Wheeler allait en avoir plein la vue – la glacière, le lavabo avec eau courante, les petits rideaux coquets. Ils finiraient par se connaître à fond et au coucher du soleil, vêtue de sa robe à pois, elle tournerait la salade pendant qu’il préparerait les apéritifs et allumerait le feu ; plus tard, la nuit venue, il nommerait les étoiles, le doigt pointé vers le ciel.

Si ça marchait vraiment bien entre eux, il pourrait même la mettre dans la confidence à propos de Wheeler. Il ne raconterait pas tout, évidemment. D’après les souvenirs qu’il avait d’elle, il doutait fort qu’elle pût comprendre grand-chose à ses projets. Elle n’était pas bête, mais elle manquait d’instruction. Certaines choses parfaitement banales, comme le fonctionnement de Wall Street et les objectifs des groupes politiques, lui étaient étrangères, ce qui rendait encore plus étonnant l’attachement que Wheeler avait pour elle. Mais bon, Wheeler était un coureur de jupons alors que lui, Harold Grasse, était considéré comme timide. Un gamin timide et un adulte inabordable. Enfin pas exactement, il était plutôt circonspect, sélectif.

Il recula pour distinguer son visage en entier dans le miroir, mais ne vit que son front, dégarni et encore bronzé des vacances passées en Floride. Un front un peu à la William Shakespeare, bombé, intellectuel, même s’il devait bien reconnaître qu’il n’avait jamais fait de merveilles à la fac.

Il scruta le rideau de pluie qui masquait les bâtiments de l’aéroport et le rectangle bétonné du parking. Qu’ils s’enfoncent dans le Maryland et le temps allait s’améliorer. Il mettrait son short et peut-être qu’elle poserait la main sur sa cuisse pour lui caresser la peau. À en juger par le ton de leur correspondance, elle était sacrément amicale, à la frange de l’hystérie. La fois où il l’avait raccompagnée chez elle, en Angleterre, elle se cramponnait à sa main sous prétexte que la rue était dangereuse. Dans la lumière des réverbères, la mort pouvait frapper à n’importe quel moment, avait-elle laissé entendre.

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trad. Laurence Kiefé
12/04/2012 217 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9782267023336
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