#Polar

La mort n'a pas d'amis

Gilles Schlesser

Au coeur de l'hiver, des crimes étranges s'enchaînent et leur mise en scène fait furieusement penser aux énigmes qu'affectionnent les surréalistes. Lesquels, assurant que " le véritable surréalisme consiste à descendre dans la rue armé d'un revolver pour tirer sur les passants ", ne se soucient guère de plaider l'innocence. Tandis que la police piétine, Camille Baulay, reporter au Petit Journal, mène ses propres investigations qui la conduisent à fréquenter de près Breton, Eluard, Aragon, Desnos, Prévert, et le très énigmatique Dédé Sunbeam. Mais cette incursion dans l'univers des cadavres exquis va entraîner la jeune journaliste beaucoup plus loin qu'elle ne l'imagine...

Par Gilles Schlesser
Chez Parigramme

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Editeur

Parigramme

Genre

Policiers

1

 

 

Mardi 2 décembre 1924.

 

Le drap grossier de son uniforme bleu délavé est constellé de boue et de sang séchés. L’homme range son fusil parmi les parapluies puis s’avance dans la pièce ; il prend sa tête à deux mains, la dépose délicatement sur la commode. Il se retourne, s’approche du lit et s’allonge tout habillé à son côté. Il sent la fraise et la mort. Surtout la mort. Une sirène hurle dans le lointain.

Camille se réveille en sursaut, hoquette en reprenant ses esprits. La forme emmitouflée à sa droite respire paisiblement, ne laissant apparaître hors des draps qu’une vague de cheveux blonds répandue sur l’oreiller. Elle se lève précautionneusement, s’enveloppe d’une couverture et titube dans la pénombre en direction du combiné qui poursuit sa plainte à l’autre bout du studio. Un coup d’œil à la pendulette : six heures et demie. Il n’y en a qu’un qui puisse l’appeler à une telle heure.

– Bonjour, Mademoiselle, ne quittez pas, je vous passe Archives.

Archives, Archives, s’étonne Camille, qu’est-ce qui se passe, Gardel, ce n’est plus Combat ?

– Salut, Oxy…

La voix du commissaire Gardel résonne comme dans un igloo.

– Si tu veux un beau crime, poursuit la voix venue du froid, rapplique vite fait, sinon, j’appelle un autre journaliste, ce serait dom…

– J’arrive, coupe-t-elle, c’est où ?

Camille note l’adresse sur un petit calepin à spirales, raccroche. Elle retourne vers le lit, remonte délicatement la couverture et, du bout des lèvres, dépose un léger baiser sur le front de Blanche. S’attarde. Caresse du doigt l’amorce d’une épaule. Quelle que soit l’heure, maquillée ou non, elle est toujours ravissante.

Le studio est glacé, Camille recharge le Flammogène et entreprend de s’habiller chaudement. Le café, ce sera pour plus tard. Elle glisse un œil à la fenêtre. Pas de neige, heureusement.

– Tu t’en vas ?

Blanche se réveille. S’adosse à la tête de lit, seins à l’air, sans sembler prêter la moindre attention au froid polaire qui règne dans la pièce.

– Je reviens dans une heure, répond Camille, une heure, une heure et demie. Tu m’attends ?

– Mais oui, mon adorée, reviens vite…

Blanche se renfonce sous les couvertures sans rien perdre des préparatifs de son amie : sous-vêtements, bas, jupe longue, hautes bottes. Un vrai cosaque. Elle l’imagine un fouet à la main, les images se bousculent, elle en rosit de désir.

Revêtue de son paletot et de sa toque en castor, Camille enfile ses gants, envoie un dernier baiser vers le lit et claque la porte du studio.

– Si la voiture démarre, décide-t-elle en descendant l’escalier, la journée sera bonne.

Elle aime ces petits jeux, ses « si-ceci-cela », comme elle les appelle. La Trèfle stationne sur le quai, au coin de la rue des Frères-Périer, à quelques mètres de la place de l’Alma. Une Trèfle jaune à trois places, une bonne occasion achetée chez un petit mécanicien de Levallois. Camille n’aime pas trop la laisser dehors, mais elle n’a pas eu le courage de la rentrer à deux heures du matin.

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07/03/2013 236 pages 9,00 €
Scannez le code barre 9782840968122
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