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Genre
Récits de voyage
Introduction
Cet entretien entre Patrice Franceschi et Gérard Chaliand, que j’ai eu le plaisir de mener, a pour vocation de poursuivre la réflexion commencée il y a dix ans et publiée dans De l’esprit d’aventure, mais également de poser un regard différent sur notre société et sur notre monde, aujourd’hui en pleine mutation.
Cet ouvrage a trouvé son titre, « Le Regard du singe », dans cette petite histoire que nous connaissions tous les trois :
Il y a quelque temps de cela, des savants du monde entier réunis en congrès décidèrent d’enfermer un singe dans une pièce pendant un an afin d’étudier les modifications de son comportement.
À l’issue de cette longue épreuve, les savants envoyèrent l’un d’entre eux observer discrètement ce que pouvait faire le singe. L’homme s’approcha en catimini de la pièce où l’animal se trouvait prisonnier, se pencha vers la porte… Et que vit-il par le trou de la serrure ?
L’œil du singe qui le regardait.
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Sophie Mousset : Avant d’écouter ce que deux personnages comme vous : aventurier, écrivain, philosophe, sociologue, capitaine, enseignant… avez à nous dire sur l’esprit d’aventure et la modernité, et avant de capter votre regard sur le monde d’aujourd’hui, je souhaiterais rétablir le lien entre nos discussions actuelles et l’ouvrage De l’esprit d’aventure – livre que vous avez écrit il y a dix ans, entre l’Irlande et l’Écosse, en compagnie de Jean-Claude Guilbert.
Patrice, tu proposais de distinguer la notion d’aventure de celle d’esprit d’aventure. Et plus récemment, tu synthétisais cette différence dans L’aventure pour quoi faire ? – livre collectif où tu interviens avec Gérard –, en écrivant ceci :
En définitive, nous sommes sommés de choisir entre être un homme d’action – et éventuellement un aventurier du bout du monde – ou être un intellectuel – c’est-à-dire quelqu’un ne bougeant pas de son univers mental. L’homme reste écartelé entre ces deux opposés, ce qui le rend incomplet, c’est-à-dire malheureux. Cette « séparation » de l’action et de la réflexion est peut-être à l’origine de la plupart de nos malheurs. Et ce que j’entends par esprit d’aventure est tout simplement leur réunion.
Je ne suis donc pas en adéquation parfaite avec l’image conventionnelle de l’aventure. J’ai de la considération pour les aventuriers épris d’émotions fortes et d’adrénaline, ou ceux habités par le goût du risque et de l’inconnu, soucieux de voyager de par le vaste monde pour le découvrir en se frottant à lui, mais, pour moi, l’esprit d’aventure est quelque chose de plus vaste qui englobe un nombre d’hommes beaucoup plus important. Pasteur, surmontant mille difficultés et luttant sans trêve ni repos pour démontrer l’efficacité de son vaccin contre la rage, me paraît un aussi grand aventurier dans son domaine que Livingstone explorant l’Afrique inconnue. Et Bernard Palissy brûlant jusqu’aux meubles de sa maison pour parvenir à découvrir les secrets de la céramique n’a rien à envier à Marco Polo ou Bougainville. Tous ces hommes font preuve des mêmes qualités. En ce sens-là, l’aventure se trouve au coin de la rue.
Extraits
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