Dans le ciel sombre, des formations nuageuses encore plus sombres glissent en silence et déversent sur la terre une pluie drue. Les gouttes lourdes et compactes se pulvérisent au contact du sol, formant comme une brume au-dessus des champs.
La ville est frigorifiée. Dans une tentative pour lutter contre ce ciel récalcitrant, ses habitants allument et éteignent des lampes dont les clignotements sont autant de messages en morse lancés par les fenêtres : nous sommes en vie, nous ne renoncerons pas quels que soient les malheurs qui nous frappent.
Tout autour, la campagne sommeille.
Dans les champs de navets, une brise légère souffle sur les meules de chaume fraîchement moissonné. Des chênes isolés sur la plaine grincent et leurs branches fatiguées caressent le sol.
La surface du lac Roxen est un miroir trouble dans lequel se reflète le ciel et des vaguelettes viennent s’échouer avec discrétion sur les plages désertes de Sandvik. Sur la rive opposée, un doux murmure s’élève là où les eaux tumultueuses d’une dizaine de cours d’eau se joignent à celles, sombres, du lac. Dans les eaux stagnantes, les derniers œufs de moustiques de l’année s’apprêtent à éclore et à lâcher sur la plaine de l’Östgöta leurs occupants assoiffés de sang.
Les champs sont silencieux. Ils savourent la pluie qui s’est abattue sur la région ces derniers temps.
Les vaches mugissent en direction des nuages.
Les brebis se sont réfugiées à l’abri des chênes.
Dans les bois, les renards flairent leurs proies.
Les sangliers labourent la terre.
Le vent pousse les nuages vers la ville, la pluie tombe maintenant sur le quartier résidentiel de Hjulsbro et sur ses maisons cossues au bord de la Stångån, la rivière qui traverse Linköping.
Des gouttes s’abattent sur l’un des pavillons de la rue Stenstorpsvägen où, à cet instant précis, tous les cris du monde se sont unis en une plainte muette.
Quelqu’un brandit un pistolet.
Sa main est sûre, elle ne tremble pas.
Le bruit étouffé des coups de feu ne parvient pas jusqu’à la rue.
Dans le jacuzzi, des corps nus s’effondrent sous les balles.
Une fillette hurle dans la nuit.
Seuls les morts peuvent l’entendre.
Mais ils ne peuvent pas lui venir en aide.
Le sang jaillit des plaies et l’eau du bain rougit.
Plus de respiration.
Juste les ultimes battements d’un cœur qui pompe frénétiquement pour tenter d’irriguer les derniers vaisseaux sanguins encore en vie.
Une main froide sur la bouche de la fillette, oui, c’est ça, chut, chut maintenant.
La pièce est plongée dans le noir et les ombres des taillis se dessinent sur la faïence blanche des murs, près de la porte-fenêtre du jardin. Une mosaïque noire scintille au fond de la piscine.
Les corps de l’homme et de la femme gisent l’un contre l’autre.
La main inerte de la femme a glissé de l’épaule de l’homme et flotte au milieu des bouillons rouges.
La fillette sanglote.
Puis disparaît dans la nuit.
À aucun moment elle ne tente de résister, elle s’efforce seulement de ne pas oublier de respirer.
Extraits
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