L’Autre avait fait de grandes études,
toi aussi.
L’Autre était ambitieux,
toi un peu moins.
L’Autre se disait brillant,
toi tu l’admirais.
Tu as failli y rester.
Pauvre conne…
New York, Ground Zero, 11 septembre 2011
Dix ans après, debout sous le soleil de septembre.
Tu t’attendais à quoi ?
À des sourires ?
À une éclatante vérité ?
Au pardon ?
Fais-moi rire !
Ils pleurent encore et toi tu n’as jamais pu.
New York encore une fois.
Jour de cendres.
Anniversaire des martyrs.
Dix ans déjà que tout s’est écroulé.
Tu tiens à peine debout.
En ce jour de souvenir, tout est incroyablement lisse, exempt d’aspérité.
La foule est calme, pas d’imprécation.
Dans cette rangée clairsemée qui attend une poignée de main, un geste de réconfort, la chaleur d’un corps serré contre le sien ou le droit de respirer enfin, dans cette ligne d’hommes et de femmes aux visages sombres, tu es le passager clandestin découvert qui remonte lourdement vers la lumière éblouissante du pont supérieur.
Tu es la plainte du prisonnier qui hante les murs humides de l’ergastule, tu oscilles entre habit de lumière et peau de chagrin.
Dix ans déjà et tremblante tu attends le troisième impact, celui de ta punition.
Tu te sais capable du pire puisque tu l’as fait.
Es-tu seule parmi eux ?
C’est ce que tu croyais…
L’eau qui coule lentement des deux bassins du mémorial et reflète les rayons du soleil en accompagnant le silence d’un bruit de rivière le long des dalles de marbre noir, n’est déjà plus qu’un filet, comme un long suintement…
Derrière toi, tu sens leurs respirations, leurs poumons compressés, tu entends leurs sanglots étouffés, leurs toux aspirées, veuves, veufs, orphelins, familles de victimes bancales, ils se tiennent étonnamment droits, en rang, en noir, comme ce président et sa femme, comme cet instant, comme ce jour lointain où tu as cru regagner le droit de vivre parce qu’on ne t’a jamais dénoncée.
Dix ans que dans ton mensonge tu es en sursis.
Tu te croyais unique, mais vivre pour toi était maintenant de te rappeler. Comme eux, droits derrière ton corps voûté.
Coupable. Tu es coupable et tu le sais.
On n’a jamais qu’une vie.
Là est la tragédie, là est l’urgence du premier regard, celui qui aveugle ou éblouit.
La lettre est arrivée un soir de juin 2011 dans ton appartement parisien.
La porte refermée, tu laissas tomber ton sac dans l’entrée et pris Plume, le chartreux, dans tes bras. Tout en grattant le ventre du chat, tu avanças vers le salon, un ronronnement puissant accompagnant tes pas. La lumière des réverbères qui venaient de s’allumer allongea la silhouette des arbres aux branches feuillues, ombres chinoises dessinées sur le parquet. Il faisait déjà nuit. Tu t’approchas du bureau et cherchas l’interrupteur de la lampe Mouille, petit soldat de fer noir au casque baissé, seul rescapé de ton ancienne vie.
Quand tu trouvas la lettre dans la pile posée par la gardienne sur le meuble en noyer, celui que tu rayes de tes ongles courts en ramassant ton courrier d’un geste brusque cent fois répété, Plume partit se réfugier sous la bibliothèque en griffant ton avant-bras.
Extraits
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