Essence incarne ce qui n'a pas encore cours tout à fait en France, mais qui ravage les États-Unis depuis au moins le Cosby Show : du contenu si ce n'est culturel, tout du moins un divertissement centré et visant une culture. En l'occurrence, celle afro-américaine.
Ainsi, Essence, mensuel américain à destination des Afros, a décidé d'instaurer un prix littéraire, qui a été remis jeudi dernier à l'hôtel Le Parker Meridien de New York, dont l'enseigne amusera : « Traditionnellement français. Définitivement new-yorkais ». Et même si vous n'y étiez pas, vous pourriez affirmer sans peine que le gagnant était... un Afro-américain.
Par acquit de conscience, nous vous livrons leurs noms, ainsi que les catégories pour lesquelles ils ont été élus :
The Pirate’s Daughter by Margaret Cezair-Thompson (Unbridled Books)
Mémoires : Brother, I’m Dying by Edwidge Danticat (Knopf)
Inspiration : Quiet Strength by Tony Dungy (Tyndale)
Non-fiction : Supreme Discomfort by Michael Fletcher and Kevin Merida (Doubleday)
Monde contemporain : An Unbroken Agony by Randall Robinson (Basic Civitas)
Photographie : Daufuskie Island by Jeanne Moutoussamy-Ashe (Univ. of South Carolina Press)
Jeunesse : Marvelous World by Troy Cle (Simon & Schuster Children’s Publishing)
Poésie : Duende by Tracy K. Smith (Graywolf Press)
Conteur de l'année : L.A. Banks, auteur de
The Darkness (St. Martin’s/Griffin)
Mais d'un autre côté un point d'interrogation demeure. Encore qu'un prix jeunesse, ou adultes, existe, voire une Goncourt des lycées existent, c'est compréhensible. Mais pourquoi l'industrie du livre accepte-t-elle de se brader sous de telles formes ? À quand un Prix des auteurs blonds aux yeux bleus, pour schématiser bien fortement la situation ? Ou encore le Prix des unijambistes aux oreilles en forme de choux ?
La négritude, d'un Senghor ou d'un Césaire pouvait choquer, en ce qu'elle mettait en avant un pan de culture peu connu, et promouvait « l'ensemble des valeurs culturelles de l'Afrique noire ». Elle ne mettait pour autant pas en avant la couleur de la peau, mais bien un esprit, une vision du monde. Césaire disait d'ailleurs que « ce mot désigne en premier lieu le rejet. Le rejet de l'assimilation culturelle ; le rejet d'une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. Le culturel prime sur le politique. »
Que l'on profite des prix pour augmenter ses ventes, passe, c'est de bonne guerre, mais que ces prix ciblent des personnes regroupées sur des critères physiques, cela relève de la discrimination.