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Mikkel Borch-Jacobsen

Extraits

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Pléiades

Romans, nouvelles et récits. Volume 1

Au sommaire de cette édition figurent toutes les nouvelles connues à ce jour, dans l'ordre de leur rédaction ou de leur première publication. Ce corpus est complété par l'unique roman de Zweig publié de son vivant, Impatience du cour - célèbre en France sous le titre La Pitié dangereuse - et par ses deux romans inachevés, Ivresse de la métamorphose et Clarissa, qui révèlent un Zweig s'essayant à une écriture nouvelle, plus soucieux des facteurs sociaux et des conséquences morales de la Grande Guerre. À ces fictions s'ajoutent deux ouvrages de nature également narrative, sinon fictionnelle : d'une part les miniatures historiques réunies (en plusieurs étapes) sous le titre Sternstunden der Menschheit, Grandes heures de l'humanité ; de l'autre, Le Monde d'hier, témoignage personnel sur la première moitié du XXe siècle, somme autobiographique qui se présente comme la nécrologie d'une Europe disparue ou en train de disparaître, celle qui fut le cadre de l'existence de Zweig et d'une bonne part de ses fictions. La popularité planétaire de l'ouvre de Zweig doit sans doute beaucoup au regard d'anthropologue étonné et curieux que porte l'écrivain sur ce «monde d'hier». Les événements de sa vie personnelle coïncident avec les dates charnières d'un siècle tristement mémorable ; il a vingt ans ou presque en 1900, il assiste en témoin à la Première Guerre mondiale, ses livres sont jetés sur les bûchers dès 1933, on lui interdit de publier en Allemagne puis en Autriche, et il partage, sans la déportation ni l'extermination, mais dans l'exil, l'existence persécutée des juifs d'Europe. Son ouvre projette sur ce monde stupéfiant de nouveauté l'effarement de l'enfant d'un univers disparu. Il reste jusqu'à la fin le citoyen nostalgique de l'Empire austro-hongrois : bien élevé, affable, attentif aux formes, écrivant tout d'une plume appliquée, gardant vivante dans la plupart de ses nouvelles la mémoire d'un monde magnifié par la catastrophe de celui qui l'a brutalement aboli et supplanté. Ses lecteurs le devinent sensible, attentif, mélancolique et passionné, capable de fantaisie et d'aventures, mystérieusement intelligent, secret, parfois même inquiétant. Il apparaît comme par essence rétif aux révolutions, il résiste aux ruptures, aux dépassements, à la négativité - mais il les perçoit et donne à percevoir dans ses livres. Il eut trop de succès pour n'être pas critiqué. Son excès de notoriété s'accompagne parfois d'un déni de grandeur. Il n'est pas facile d'être le contemporain de Rilke, Kafka, Musil, Schnitzler, Joseph Roth, Hermann Broch. Mais, quelque jugement que l'on porte sur elle, son ouvre de fiction ne fut jamais un simple divertissement. Plus qu'ailleurs s'y révèle son être libéré du regard d'autrui, ambigu, contradictoire, authentique. Qui ne verrait en Zweig qu'un auteur à succès passerait à côté d'un phénomène unique, auquel cette édition voudrait.

04/2013

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Humour

Thérapie de groupe Tome 2 : Ce qui se conçoit bien

Le premier tome de "Thérapie de Groupe", "L'Etoile qui danse" (1), mettait en scène un auteur de bande dessinée en plein désarroi à la recherche de l'inspiration. Dans le second tome de cette trilogie, "Ce qui se conçoit bien" (2), l'auteur, toujours en panne, poursuit sa quête de l'idée du siècle afin de redevenir l'auteur à succès qu'il était. Après ses échecs répétés il est désormais hébergé par la Clinique des Petits Oiseaux Joyeux (" Clinique Psychiatrique pour fous, gros et demi-gros. "). Il y expérimente la vie en communauté et va donc participer, ou non, aux animations proposées : sport (" De vous à moi, c'est pas pour critiquer, mais on ne fait pas une équipe de foot potable avec des sociopathes. "), atelier de dessin, rencontre avec le psychiatre (" J'aime bien les psychiatres, ce sont les seuls à écouter sérieusement les fous... ", distribution de médicaments ("la drogue y est gratuite et en plus - et je n'ai jamais vu ça ailleurs - il y a toujours quelqu'un pour s'assurer qu'on prenne bien toute notre drogue. C'est bien simple, je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas plus de monde".). En décrivant un Manu Larcenet en manque d'idées, l'auteur ouvre des dizaines de pistes qu'il explore avant de les refermer et démontre paradoxalement une imagination débordante. Il continue d'explorer l'histoire de l'Art, fréquente Jérôme Bosch et Brueghel l'Ancien, convoque Boileau et Nietzche à un débat télévisé, dialogue avec Baudelaire et réinvente le western. Le séjour à la clinique porte ses fruits et l'auteur, pas forcément guéri mais apaisé, retrouve sa famille. Une happy end provisoire en quelque sorte : " Aux Petits Oiseaux Joyeux, si on met de côté quelques suicidaires, en général tout se finit bien . " Un album dense d'une originalité absolues. C'est riche, débridé, foisonnant, intelligent, drôle, décalé et désespéré. Mais l'auteur est aussi un artiste et, en revisitant les grands maîtres, il démontre une incroyable virtuosité graphique. Manu Larcenet, le dessinateur, peut tout dessiner, jongler avec les couleurs, le noir ou le sépia, adopter tous les styles ; c'est un créateur torturé et complet. Les lecteurs familiers de l'auteur ont évidemment déjà lu le premier tome de cette série hors-norme. Pour ceux qui sont en première année de Larcenet, il est recommandé de le découvrir en commençant par lire le sensationnel "Combat Ordinaire", son premier très grand succès. (1) " Il faut du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse ". (Frédéric Nietzche) "Le problème avec le chaos en soi, c'est que c'est pas marrant tous les jours. " (Thérapie de Groupe tome 1) (2) " Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. " (Nicolas Boileau) "Je découvre que, si je veux trouver les mots pour dire mon chaos, il faudrait que je le conçoive bien. Or par définition si je le concevais bien ce ne serait plus du chaos... " (Thérapie de Groupe, tome 2)

01/2021

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Littérature française

Mélancolie vandale. Roman rose

Dans Berlin réunifiée, Kornelia Sumpf, cinquante-trois ans, (“fruit débile des amours d’une charogne et d’un fossoyeur”) condamnée à rester à jamais “une empotée de l’Est”, travaille comme interprète à la prison de Moabit où le détenu est souvent basané et insuffisamment germanophone. Elle est désormais la compagne, prétendument comblée, d’un homme plus jeune qu’elle, Ali, son ultime conquête, qui a été élevé, dans ce qui fut Berlin-Ouest, par une mère turque, richissime et foutraque, prénommée Utkügul, dont la fortune permet à son aboulique de fils de passer son temps en tête-à-tête avec l’écran de son ordinateur (et les vidéos pornos afférentes). Bien avant de rencontrer Ali, l’homme aux “lèvres-saucisses”, Kornelia a adopté la petite Viorica, d’origine roumaine (on dira “Rom”, sous peu), devenue une pré-adolescente paumée, d’humeur aussi maussade que le temps qui sévit à Berlin, en cet hiver 2010, et dont la fascination pour la société de consommation triomphante entraîne des échanges aussi fréquents qu’embarrassants avec la puissante caste que forment les vigiles de supermarchés. Afin d’échapper à la suffocante emprise de la dévoratrice Utkügul, restée “à l’Ouest”, le couple turco-germanique, fier de sa mixité, vit dans le modeste (et peu amène) pavillon familial de l’ancien Berlin-Est dans le quartier de Lichtenberg, où, cloué sur un fauteuil roulant, le père de Kornelia, dit “petit-papa”, achève son existence dans la hargne et ce mutisme aussi “réflexe” que tactique auquel l’a rompu sa longue expérience de communiste impénitent et de délateur professionnel aux temps “heureux” de la stasi. A son corps défendant, et comme à son insu, sa fille Kornelia, quand elle a terminé sa journée de “traductrice du malheur” à la prison de Moabit, semble passer son temps à traverser dans les deux sens un Mur qui n’existe plus, comme si ce dernier faisait défaut à l’ordre bénéfique naguère providentiellement assigné à l’univers. En proie à des nostalgies bancales et à des haines confuses, cette femme de devoir, au sourire (socialiste) inoxydable mais dont la jeunesse s’enfuit inexorablement, l’est en effet aussi à des désirs, désordonnés et violents, sur lesquels elle n’est pas en mesure de mettre un nom, sinon celui de sexe (par provocation, impuissance et manque d’imagination réunis) ou de consommation (activité enfin autorisée, sinon prescrite). Mais, dressée par la rda, une Kornelia Sumpf ne peut rêver de posséder une Audi que juchée sur la selle de son vélo, prolétaire symbole d’une liberté de circulation qui s’étend désormais jusqu’à la célèbre Alexanderplatz (oncques immortalisée par Döblin et à présent livrée aux promoteurs). Sur son vélo, Kornelia roule, dérape dans la neige, tombe, se blesse, rencontre le parcours d’un marathon en folie où des vieillards cacochymes repoussent leurs limites au risque de leur vie, fait des rencontres, assiste à des accidents, se trompe de chemin, se met en retard, nouvelle Alice déjantée au pays sans merveilles, se cherche un avenir, une histoire qui serait enfin à elle et comblerait le manque, souffrant, sans le comprendre, du temps qui passe, de l’inassouvissement, de la solitude harassante qui règne dans une ville qui, pour avoir fait de la notion de communauté retrouvée son nouvel étendard, fièrement brandi à la face du monde, n’a, à l’instar de l’Europe dite unie, réussi à se fonder en transmission d’aucune sorte. Aussi mal à l’aise vis-à-vis d’un passé familial caviardé que frustrée par le morne présent qui lui est dévolu, cette “femme gauchère” porte sur ce qui l’entoure un regard tour à tour exalté et agressif, qui, tout en “scannant” avec trop d’ironie une vie sans espoir et des destinées sans grandeur (vieillards en déshérence ou “actifs” aliénés s’entassant dans l’enfer du métro), lamine les mythologies de la défunte rda comme les illusions de l’Allemagne nouvelle. Dans le décor chaotique d’une modernité violente placée sous le signe du marché libéral qui a pris ses quartiers en des lieux où, hier encore, sévissaient de tout autres mœurs et pratiques, sous les cieux plombés d’une ville immense dont la division fut l’un des symboles majeurs du xxe siècle, se déploie, tel un plan crypté (et cruellement poétique), l’impitoyable cartographie d’un monde aussi interdit d’authentique mémoire qu’il est assujetti au “devoir” de célébrer sans trêve cette dernière, quitte à la soumettre à une marchandisation aussi décomplexée que florissante. Ecrit à “l’impersonnel” (au “on”), Mélancolie vandale (non sans dérision sous-titré : roman rose) propose avec cet hommage paradoxal et désabusé rendu à une ville emblématique, une vision de nos temps contemporains aussi désespérée que lucide. Tant il est vrai que, avec ce roman puissamment baroque, aussi tragique que farcesque, Jean-Yves Cendrey, en avatar de Jérôme Bosch (ou en passager sidéré embarqué sur quelque nef des fous), semble ici sonner l’alerte sur la renaissance possible de la “bête immonde”, ce monstre familier aux multiples visages si prompt à prospérer, en temps de paix, sur tous les territoires abandonnés à sa férocité vorace.

01/2012