Douce nuit

Vous ne savez peut-être pas, mais au fin fond des caves canadiennes, des scientifiques s’aventurent dans des univers sombres. Les résultats d’expériences sont époustouflants. Dans la clandestinité, ce sont des savants fous de la musique qui testent sur la peau de femme les vibrations du son aussi éclectiques qu’harmonieuses.

Ils tutoient le côté obscur de la force en puisant dans l’antre du démon des substances singulières. Il en est qui frappent la nuit. Docteur Jekyll, Mister Hyde sont en fait deux personnes bien distinctes : Betty Bonifassi et Jean-Phi Goncalves avec la sortie de leur premier album Beast en avril.

Beast est le premier album éponyme du groupe déroutant. À cheval entre du Portishead et Rage Against the Machine, les styles s’entrecroisent. Ils ne frappent jamais de la même manière. Sur les douze cas recensés, la signature reste la même et pourtant le procédé toujours différent. Tantôt dans l’urbain rap, soul, ils ont pourtant laissé des traces rock, éléctro. Une carte du pendu est laissée sur place…

Mode opératoire

Ils envoûtent. Un couple qui manipule de manière exemplaire leurs victimes. Même les plus sceptiques sont devenus entre leurs mains poupée de chiffon. Ils soufflent l’innocence avec un piano tout en douceur, à la voix de Betty rencontrée chez Champion et Ben Charest. Lui, Jean-Phi Goncalves a déjà collaboré entre autres avec Lauryn Hill des Fugees.

Aux textes tourmentés (« Devil », « Dark Eyes », « Satan »), à l’enveloppe musicale précieuse, délicate et fiévreuse, Beast frappe fort, un coup suffit.

Les gargouilles frétillent de la langue

Beast est un album originel, primitif, animal sous des airs de chœur d’anges d’une église où l’eau bénite se met à bouillir. Les ailes blanches deviennent noires, et on se sent vivant. Parce que tout ce qui est vibration instinctive n’est plus spirituellement mielleuse intuitive. L’album profondément citadin décide notre monde où le démon s’amuse avec nos sens à chaque recoin de rue. Sous un parfum de bonbon de toutes les couleurs, la pomme rouge au poison sucré s’infiltre dans notre corps. Notre regard change et nous sommes enivrés par l’émotion éléctro-rock de l’album.

Le côté rap peut être rebutant, mais l’album recèle d’airs qui ronronnent aux solos de guitares improbables et pourtant à leur juste place… Ils frappent juste ! Pas étonnant qu’ils étaient été nominés aux derniers Grammy Awards. Déjà disque d’or au Canada.

, illustratrice féerique, vient de sortir son deuxième album, Mieux que dix fées, aux Editions Balivernes avec la collaboration de Lenia Major. Rencontre et interview avec une future grande... Interview du 24/06/07

Cathy Delanssay : Je m'appelle Cathy Delanssay, j'ai 30 ans (aie !) et je suis née à Douai dans le Nord, une belle nuit de canicule en août 1976 (Désolée maman !)
Je suis illustratrice depuis 2 ans après quelques années pendant lesquelles je suis passée de petits boulots en petits boulots.
Le dessin est une passion vive depuis l'enfance. Je suis autodidacte.

L.H.S.F : Tu t'appelles toi-même « illustratrice autodidacte », comment cela a commencé ?

C.D : J'ai fait plusieurs petits boulots dont serveuse, ce genre de choses, tout en continuant à dessiner le soir. Je n'ai jamais suivi de cours d'illustration ou autre, mais je me suis toujours accrochée car l'envie de réussir était très forte et l'est toujours. Un jour, la roue a tourné et la machine était lancée. Je pense que c'est ma détermination et un coup de pouce de « Madame Chance » qui a fait le reste.
{tab=Page 2}L.H.S.F : Dans les différents projets « jeunesse » auxquels tu as participé, la plupart se rapportent aux fées. Ce sont des demandes d'éditeurs ou tu aimes particulièrement ces petites créatures?

C.D : J'aime énormément ces mondes imaginaires qu'on adore petite fille et ça m'est resté. Il est vrai que la plupart de mes travaux, même personnels, tournent autour de ce thème.
Il fut donc logique que les premières commandes aient eu pour sujet les fées.
Mais à force, ça commence à me peser un peu et actuellement je travaille sur d'autres thèmes (les mythes par exemple). Cela dit, ce sont les mondes imaginaires, irréels, qui m'attirent le plus et je pense que la majorité de mes projets seront dans ce style.
L.H.S.F : Il y a-t-il des illustrateurs que tu apprécies plus que d'autre ?

C.D : J'aime beaucoup d'artistes, ça va de la peinture classique avec le rococo par exemple, le pré-raphaélisme à de nombreux illustrateurs contemporains… j'ai un catalogue assez vaste dans mes goûts. Pour en citer quelques uns, ce serait Waterhouse (Pré-raphaélite), Mucha (art nouveau) ou encore plus récemment Anne Bachelier.

L.H.S.F : Parmi tes futurs projets, tu évoques à deux-trois reprises dans ton blog, un livre sur les mythes. Tu peux nous en dire un peu plus ?

C.D : Cet album est un recueil de mythes et légendes du monde à tendance poétique, épique aussi ! Il sortira aux éditions Balivernes avec qui j'ai sorti mon premier album A l‘orée des fées. L'entente avec Pierre Crooks (Responsable des éditions Balivernes) est très amicale et dotée d'une pleine confiance mutuelle, ce qui m'a permis de travailler sur cet album que je réalise avec Roxane Marie Galliez aux textes. Je prends beaucoup de plaisir à l'illustrer. Il sortira à Noël.
{tab=Page 3}L.H.S.F : Tu travailles également pour la presse féminine, qu'est ce que cela change pour toi ?

C.D : C'est un domaine que j'affectionne beaucoup moins. Je m'y sens moins libre et cloîtrée dans des sujets qui ne m'intéressent pas vraiment. La presse féminine ne m'intéresse pas à vrai dire. C'est redondant, plat…enfin, c'est un avis personnel. Le seul avantage, c'est que je peux varier les styles, autant que possible mais ce n'est pas du tout un aboutissement et il faut bien manger… (sourire)

L.H.S.F : Quels sont tes futurs autres projets ?

C.D : J'en ai plusieurs qui m'occupent pas mal l'esprit, dont « Alice au pays des merveilles » (l'intégrale) qui paraîtra en 2008 chez Balivernes. Un album sur le violoncelle avec pour protagonistes Pierrot et Colombine que je réalise entièrement en techniques traditionnelles, ce qui est une première pour moi ! Il est écrit par Roxane Marie Galliez également et sortira à Noël aussi et aux éditions Auzou.
D'autres projets, plus personnels naissent en ce moment (surtout en recherches et pensées) sur la nature et plus particulièrement l'écologie mais je n'en dis pas plus.
Il y aura aussi de nouvelles cartes d'art aux éditions de Mai ainsi qu'une expo que je prépare à un rythme lent, par manque de temps, mais ça viendra.

L.H.S.F : Tu es extrêmement engagée dans l'environnement et la protection des animaux, qu'est ce que cela représente pour toi ?

C.D : C'est comme une souffrance permanente mais que je commence à mieux gérer. C'est surtout une prise de conscience énorme qui est en moi depuis quelques temps. On me dit « n'y pense pas, vis ta vie », mais quand on a ouvert les yeux sur ce qui se passe, on ne peut plus les refermer. Fermer les yeux là-dessus est pure hypocrisie à mon avis. C'est oublier pour mieux vivre. Mais ce n'est pas une réponse. La réponse à donner c‘est : ça existe mais je fais de mon mieux pour que ça change. Comment rester insensible et ignorer les tortures des animaux tués pour leur fourrure, la vivisection, les abattoirs, la pollution, la déforestation, la surpêche, les animaux battus, abandonnés, la chasse et j'en passe, la liste des cruautés humaines est si vaste……
{tab=Page 4}L.H.S.F : Régulièrement, au fur et à mesure, qu'avancent tes dessins dans tes projets, tu demandes l'avis aux lecteurs de ton blog. C'est si important ?

C.D : Oui, car ça permet de savoir si les gens aiment, ou n'aiment pas. Si les opinions sont en masse, ça rassure ou alors on se demande pourquoi ça n'a pas plu. Il est vrai que les opinions sont subjectives mais ça aide tout de même.

L.H.S.F : Tu as le mot de la fin…

C.D : Un gentil merci suffirait peut-être mais j'ajouterai juste une chose : C'est qu'il faut s'accrocher quand on croit en quelque chose et faire de son mieux pour parvenir à son but. Ne pas baisser les bras devant un obstacle et y aller. Ca fait « nian-nian » mais je tenais à le préciser car je pense que c'est la base pour accomplir des choses, qu'elles soient artistiques ou tout simplement des convictions.

Merci

Merci à toi.

Phoenix a tout d’un groupe anglo-saxon et pourtant, ils sont bien français. De Versailles pour être précise. Ils se font connaître avec leur premier album intitulé United en 2000, depuis ils ne chôment pas et les voilà qui débarquent avec un quatrième album courant 2009 Wolfgang Amadeus Phoenix congratulé en outre-atlantique puisque dans la nuit du 31 janvier au 1er février, le groupe a remporté le Grammy Awards. Une première pour un groupe français qui mérite qu’on y jette un coup d’oreille !

Ils ont la « gueule » british, ils chantent anglais et proposent un son rock qui s’éloigne du rock à la française. Ils ont su conquérir le monde très vite avec une pop entraînante. Phoenix s’inscrit totalement dans la nouvelle vague de pop-rock aux guitares saturées, un son diffus, arrangé pour éviter les résonances. Un son très actuel, distillé, dans la veine de la pop des années 2000 avec Kent (et s'il vous plaît ne confondez pas ce groupe suédois avec un autre… je pourrais devenir toute rouge !), Matthew et Keane. Un rock indé qui se chante : « music no stop, please ! »

Wolfgang Amadeus Phoenix la différence

Ils ont fait très fort, un quatrième album qui se vend à plus de 350 000 exemplaires, il n’y avait aucun doute qu’ils allaient se faire remarquer. Et pour cause l’album est pur et sans concession. Wolfgang Amadeus Phoenix est l’album qui semble à première vue assez simple et pourtant souligne un vrai travail complexe. Mais justement, c’est quand on ne perçoit pas les coups de pinceau qu’on y voit toute la grâce ! Dans la mouvance actuelle, tout en apportant une signature particulière, le groupe fascine et méritait largement une récompense. Premier groupe français dans l’histoire à recevoir cette récompense avec des Radiohead entre autres, ils ont tout des grands.

L’album tout en finesse

Un album est tout en finesse avec un style pop suave et à l’énergie des Franz Ferdinand. « Lisztomania » fut le single le plus diffusé mettant en valeur l’album : puissance, sensualité et pudeur. Une force très bien maîtrisée qui nous fait hocher la tête au rythme de la batterie avec « Lasso » ou encore « 1901 ».

Les riffs très actuels à la filiation U2 des années 80 avec « Rome », « Countdown », « Girlfriend » ainsi que la signature du son retravaillé rehaussent la pop qui aurait pu tomber dans la mièvrerie nauséabonde. Un soupçon de romantisme rock pour nous ravir avec « Love Like A Sunset Part I et II » en restant dans le cadre de la douceur et de la fougue.

Wolfgang Amadeus Phoenix est un album très réussi qui méritait largement une reconnaissance du monde de la musique !

Il est dit que les écorchés vifs ont dans leur cœur la poésie de la mélancolie. Lhasa de Sela qu’on n’appelait plus que Lhasa est décédée dans la nuit du 1er janvier 2010 suite à un cancer du sein. Un combat qu’elle a mené pendant plus de vingt ans. La faucheuse est passée un soir à Montréal alors que Lhasa n’avait que 37 ans.

Lhasa est née aux États-Unis d’une mère américaine et d’un père mexicain. Elle s’installe à 19 ans au Canada et propose un premier album Llorand qui intrigue. Elle s'établit à Marseille et réitère avec The Living Road. Ambiance tzigane, mi-anglais, mi-français, mi-espagnol… elle interpelle. Six ans plus tard, en avril 2009 elle sort son troisième album éponyme et cet automne elle annule ses concerts pour raisons de santé.

À cheval, entre le Mexique et les États-Unis, à cheval entre le blues et le folk

Son dernier album est particulièrement intéressant comme une lettre d’amour à tous ceux qu’elle laisse derrière elle.

Prémonitoire ? Cet album met en relief sa force et sa douceur. Un contraste très bien dosé. Prémonitoire parce que cet album est moins vif que les précédents. On sent que la fatigue la gagne, que le combat est difficile. C’est aussi l’album de la maturité. Généreuse elle raconte de petites histoires avec une basse et une harpe omniprésentes. Un album blues qui s’inscrit dans l’univers soigneux Nat King Cole (« Bells » ou « Rinsing »). Un petit air de country n’échappera à personne (« Fool’s Gold »). Un vieux Texas où les machines pompent le pétrole au soleil couchant comme la maladie pompe l’énergie de Lhasa, c’est-à-dire sans relâche.

Je tire ma révérence

À la voix douce, chaleureuse, le son provient de la gorge. Une gorge qui avale les nouvelles et les transforme en lyrisme, en souffle de l’esprit. Comme sur « A Fish On Land » qui rappelle l’ambiance Bagdad Café. « Anyone and Everyone » conclut l’album et sonne l’heure d’une voix qui file sur les bords du Mississippi. Une voix par ailleurs qui s’amuse à monter très haut comme sur « I’m going in » et plus basse, comme si elle nous livrait un secret sur « 1001 Nights ». Lhasa de Sela laisse derrière elle un album d’une grande force, charismatique à l’ambiance chaleureuse, sans broderie mielleuse. Album d’une vraie femme tout simplement…

« Quand vient la nuit, sonne l’heure […] le cadavre de mes jours » y’aurait pas plus éloquent. Mais que se passe-t-il dans la tête de Charlotte Gainsbourg ? Son œuvre artistique de plus en plus mystique et hétéroclite pousse à ce qu’on s’arrête quelques secondes sur son dernier album IRM en collaboration avec Beck dans les bacs depuis le 7 décembre dernier.

Charlotte Gainsbourg est une femme énigmatique au timbre de voix reconnaissable entre tous. Feutrée, douce et pourtant si incisive. Miss Gainsbourg serait la belle plante qui serait en fait carnivore ? Une rose noire qui laisse dubitatif. Vivrait-elle un sentiment de substitution ? Autant de questions que son dernier opus laisse en suspens. Qui ne voudrait pas être dans la tête du fruit Serge Gainsbourg et Jane Birkin ?

Énigmatique et cruellement juste aux messages subliminaux

De prime abord, le dernier opus IRM semblait prometteur après la dernière collaboration avec Air et l’album 5 :55. Le premier single éponyme était sympathique, « Heaven Can Wait » a un refrain accrocheur, une pop acidulée aux sonorités troublantes et entraînantes. Bref, deux titres qui donnaient une envie folle de se procurer l’album dès sa sortie.

Or… IRM était un nom évocateur et on n’a rien vu venir. Il manquerait même « NFS, chimie et iono »… jusqu'à ce que le lecteur CD crie « Dr. Ross ». Trop tard, on l’a perdu, prononcez heure du décès s'il vous plaît.

Exceptés quelques titres notables, sensibles et intimistes avec une voix tout en douceur, l’album est à tenir loin des enfants et autres dépressifs qui se baladeraient avec un tabouret lançant un sourire narquois en faisant signe de suspendre la corde vendue en kit.

À croire que le dialecte artistique de la jeune femme sonne amèrement l’énergie glauque, à la filiation du poète maudit. Après avoir choquée, jugeant que son père aurait été fier d’elle dans son rôle dans « Antichrist » de Lars Von Trier, elle ne frêne pas des quatre fers en entrelaçant mélancolie, poésie et images lugubres : « quand on est mort on est mort », « ce ne serait pas la première fois qu’on aurait mangé un artiste » décrivant dans cette chanson le chat du café des artistes qui peut remplacer les assiettes vides ! Images et surtout des mots qui choquent en contraste avec la voix de Charlotte ont une portée symbolique d’une société qui marginalise les passionnées, les intuitifs, les gens aux plusieurs rêves, aux plusieurs vies ?

Noirceurs dans l'âme

Un texte sinistre aux intentions d’une Mylène Farmer d’une époque où on discernait encore les textes ; néanmoins cruellement juste, cruellement lucide, aux saveurs d’utopie insipide des gens rongés par l’effroi d’un monde qui se meut ou qui se fige. L’album porte bien son nom, la fille Gainsbourg propose une image en 3D d’une atmosphère palpable et grinçante de ces quelques années.

Vanities en serait le porte-parole aux allures des albums faits maison par Kenzo, où l’on reconnaîtrait presque les coquelicots. Morceau d’une belle puissance qui s’adapterait à merveille à un Paris qui s’éteint. Un Paris pris en otage par Morphée aux grandes artères enveloppées de collier de Noël, où les feux passeraient du rouge au vert pour un chat noir qui vagabonderait près de la place de l’étoile. Douceur et volupté. Un regard sensible aux frissons qui glissent sur la peau. Une caresse qui finirait par nous faire croire qu’en creusant un peu, les autres pistes ont une énergie similaire. Mais l’illusion d’une poésie douce s’estompe au fur et à mesure que l’on parcourt l’album. Au moins, la descente est progressive. Les titres les plus sinistres sont relégués à la fin !

Hétéroclite l’album sera

Mélange de sonorité tout le long de l’album, nous devons le reconnaître. D’une pop folk (Dandelion et Heaven Can Wait), aux rythmes orientaux (Voyage) en passant par une rythmique tribale (Trick Poney), quatorze titres qui en effet nous invitent à son « Voyage ». De petites berceuses s’inscrivent péniblement au cours de cette pièce théâtrale chaotique. IRM est un album très conceptuel (où Beck aurait eu une scission avec lui-même), qui se rapproche de cet art contemporain très subjectif qui nous fait pousser des « oula » ou des « mais bravo » alors que la toile en elle-même complexe en dit trop peu ou pas assez. C’est un patch de couleur d’un monde ou de son monde qui ferait mal au cœur.