2012
LE COTTAGE ÉTAIT PLANTÉ AU BORD DU LAC. Elle entendait le vent battre la pluie tout au long de la surface, frapper les arbres et muscler l’herbe.
Elle choisit de se réveiller très tôt, avant les enfants. Cette maison-là valait la peine d’être écoutée. Ces drôles de bruits là-haut. Elle avait d’abord pensé à des rats, leurs petites pattes sur l’ardoise, pour découvrir bientôt que c’était les mouettes. Les mouettes qui lâchaient des huîtres sur le toit, afin de briser leurs coquilles. C’était surtout le matin, parfois avant le lever du jour.
Un ping ! caractéristique, suivi d’un bref silence, ensuite les huîtres cahotaient sur les tuiles et elles glissaient dans l’herbe, tachetées de chaux.
Elles ne s’ouvraient franchement que si elles tombaient droit, restaient entières quand elles atterrissaient de travers, pour dormir dans l’allée comme des grenades désamorcées.
Jamais à court d’acrobaties, les mouettes fondaient sur les mollusques et, à peine rassasiées, bleues et grises escadrilles, s’en revenaient au lough.
Alors la maison s’éveillait, les fenêtres grinçaient, les portes et les placards, l’air du large emplissait les pièces.
PREMIÈRE PARTIE
1919
Ombres et nuages
C’ÉTAIT UN BOMBARDIER. Un Vickers Vimy, bricolé. Du bois, de la toile, des câbles en acier. Un avion lourd et large, qu’Alcock appelait encore un petit zinc nerveux. Chaque fois, il tapotait sur le fuselage, puis d’un mouvement souple et délié s’installait dans le cockpit à côté de Brown. Une main sur les gaz, les pieds sur le palonnier, il était déjà dans les hauteurs. Par-dessus tout, il aimait franchir les nuées, voler en plein soleil. En se penchant un peu, il voyait l’ombre du Vickers glisser sur une mer blanche, grossir et rétrécir sur le relief nuageux.
Brown, le navigateur, était un homme plus réservé. Se donner en spectacle le gênait. Le buste en avant, il restait à l’écoute de l’appareil. Son intuition lui apprenait la direction du vent, mais il se basait plutôt sur ce qu’il pouvait toucher : boussoles, compas, cartes, le niveau à alcool à ses pieds.
En cette période du siècle, le terme de gentleman avait presque déjà valeur de mythe. La Grande Guerre avait ébranlé le monde. Tournant à plein, les rotatives avaient lâché le chiffre insupportable de seize millions. L’Europe : un ossuaire.
Alcock avait été pilote de chasse pour l’Air Service. Les bombinettes se détachaient des râteliers. L’avion soudain plus léger. Grimper haut dans la nuit. En se courbant légèrement, il voyait les champignons de fumée s’élever en bas. Palier, altitude et demi-tour à la base. À ces moments-là, Alcock ne recherchait surtout pas la célébrité. Il volait dans le noir, le cockpit ouvert aux étoiles. Puis l’aérodrome apparaissait à terre – les barbelés illuminés sur l’autel d’une étrange église.
Brown avait fait des missions de reconnaissance. La bosse des maths, des mesures aériennes. Il savait convertir tous les ciels en séries de chiffres. Même au sol, il poursuivait ses calculs, cherchait de nouvelles routes vers le plancher des vaches.
Extraits
Commenter ce livre