Eugène O'Neill ou l'inconvenance de vivre

Il y a urgence à penser la catastrophe comme imminente : c'est cela écrire. Et pour le dramaturge américain, Eugène O'Neill (1888-1953), l'urgence est de fouiller, d'explorer "ce qui m'a fait", d'interroger sans cesse ce qu'il y a "derrière", en arrière, dans ce temps d'avant sa propre histoire. Un temps où s'inscrirait déjà une attente haineuse de soi-même, une haine à partir de laquelle un sujet aurait été "fait", déjà trompé, déjà dépossédé... Haine incompréhensible, haine énigmatique, insensée, que seule l'écriture qui explore, qui dénoue, qui délie et défait, pourrait peut-être parvenir à exorciser. Procuration donnée ici d l'écriture comme capable de remettre en marche le temps, les mémoires arrêtées, les histoires jusque là gelées et intouchables. Ecriture hantée par cette présence à la lisière, elle est là comme pour nous rappeler l'énigmatique texte que, sans répit, nous cherchons à déchiffrer en nous-même, dans les mots d'un autre. Et quant l'écriture s'absente... restent l'alcool, la drogue, la dérive, l'interminable départ... Ce sont les formes de l'errance quand la pensée ne peut plus elle-même errer, divaguer, se perdre. Questions essentielles ouvertes par Eugène O'Neill et que l'écriture contemporaine reprend à travers ses successeurs que sont les Paul Auster, Raymond Carver, ou dans les images d'un Robert Altman ou d'un Wim Wenders.