#Roman francophone

Costa Brava

Eric Neuhoff

"Je repense à toutes ces vacances d'été. Je me souviens que nous les attendions toute l'année. Elles avaient l'air de ne jamais vouloir finir. A partir de 1960, nous sommes allés sur la Costa Brava. Cela a duré des années. Nous ne verrons plus jamais ça revenir."

Par Eric Neuhoff
Chez Albin Michel

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Genre

Littérature française

À Michel Déon

 

 

« Se cambia de año, se cambia de sueños, se cambia de aspecto, se cambia de objectivos, se cambia de trabajo. Pero jamás, jamás se cambia de amigos… »

 

 

Je suis retourné à Canyelles Petites. J’avais voulu oublier toutes ces choses qui avaient fait partie de moi. Après tout ce temps, j’avais rêvé de l’Espagne. J’ai fini par admettre qu’il y avait les lieux dont on rêvait et ceux dont on se souvenait. Aujourd’hui, je sais que ce sont parfois les mêmes.

Quand je raconte tout cela à mon fils et à ma fille, ils ne comprennent pas. « Bah quoi ? C’étaient des vacances. »

Nous avions atterri à Perpignan. Il faisait chaud dehors. La voiture avait l’air conditionné. J’avais loué un monospace. J’avais emprunté cet itinéraire si souvent. J’étais descendu avec mes parents. J’avais conduit moi-même. J’étais venu à moto. Une fois, une seule, j’étais venu à Canyelles en stop. De Toulouse. Je m’étais arrêté là-bas chez une étudiante aux Beaux-Arts qui avait une sœur. J’avais dormi avec les deux. Enfin, dormi… Dans leur cuisine, une étagère était remplie de ces mignonnettes d’alcool qu’on distribuait dans les avions. Il y avait une brune et une blonde. Ève et Laurence, tels étaient leurs prénoms. J’aurais pu aller à Canyelles les yeux fermés. Pourtant, des choses me surprenaient encore. J’avais oublié la publicité Sandeman en forme de taureau sur le flanc de la colline, le faux temple aztèque (inca ? jamais su) qui s’élevait à la frontière. Puis ce fut l’autoroute. Quelle sortie fallait- il prendre pour Rosas ? Figueras Nord. « Summer Sunshine » résonnait dans les baffles. Quand le morceau se terminait, ils me demandaient de le remettre. Ils firent ça dix fois de suite. Je n’en pouvais plus. Bouger, quitter Paris leur procurait une excitation palpable. Après l’enregistrement, nous avions traîné dans les boutiques. Clément voulut des magazines spécialisés dans la guitare. L’heure approchait. Dans le hall, une grosse voix nous appela, nous demandant de rejoindre la porte 22. C’était la première fois qu’ils entendaient leurs noms dans le haut-parleur d’un aéroport. Ils étaient tout fiers. Il fallut courir.

L’auto filait entre les platanes. Sur la route de Terelada, des prostituées guettaient le client au bord du fossé. Il y avait beaucoup de Noires. Des filles de l’Est aussi, paraît-il. Certaines étaient assises sur des chaises en plastique, abritées par un parasol. Elles avaient le sens pratique. À un rond-point, l’une d’elles s’était installée dans un canapé de velours défoncé. Dans l’ensemble, elles n’étaient pas terribles. Elles tapinaient en débardeur et en short au ras des fesses, parmi les oliviers. Nous traversions des vignes. J’ai longé le port de Rosas. Ils avaient planté des palmiers sur la promenade. Une ancre gigantesque gisait sur la digue, mangée par la rouille. Sur le quai, le parking était payant. Berganti, Almadraba, Casa Caliente, les noms n’avaient pas changé, ils étaient toujours là, comme s’ils m’attendaient, comme s’ils savaient que je reviendrais.

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01/03/2017 296 pages 19,50 €
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