Prologue
Dorset House, Domaine du comte de Wellbourne,
juin 1788
Au sommet de la colline, une petite brise animait de frissons joyeux les hautes herbes et le feuillage des arbres. Un vieux chêne dressait là son tronc centenaire, sentinelle austère qui semblait réprouver cette humeur badine. Sous ses branches, l’herbe était vert émeraude et l’ombre paraissait délicieusement accueillante. Le soleil, embusqué derrière un nuage cotonneux, jetait sur ce décor un halo de lumière laiteuse.
Une grande demeure s’apercevait en contrebas, à mi-chemin entre le haut de la colline et le fond de la vallée. La frénésie de ses occupants ne pouvait pas se deviner, d’aussi loin. On courait, on s’agitait, des invités arrivaient… mais le vacarme provoqué par toute cette fièvre était absorbé par la distance, si bien qu’une étrange sérénité régnait sous les frondaisons du chêne.
Le temps semblait s’y être alangui. Pourtant, le Destin était en marche, et il ne tarderait pas à convoquer sur la scène tous les acteurs de la pièce qui allait se jouer.
L’un d’eux était une jeune fille de seize ans. Assise sur une couverture étalée au pied du chêne, elle faisait la lecture à son petit frère.
— Harry, n’as-tu donc pas envie de savoir ce qui est arrivé à sir Bethune ?
— J’ai faim !
— Tu as toujours faim. Comment expliques-tu cela, Harry ? Pourtant, personne ne te prive, à table.
La jeune fille referma le livre en prenant soin de marquer sa page avec son doigt, tandis que, de son autre main, elle nettoyait le genou du garçonnet.
— Et comment fais-tu pour toujours te salir aussi rapidement ?
— Je me moque d’être sale. J’ai faim.
— Nous prendrons le thé avec des petits gâteaux dès que le duc sera arrivé.
— Pourquoi faut-il l’attendre ?
— Parce que nous devons lui être présentés, voilà tout.
— Je n’ai pas envie de lui être présenté, Tessa.
— Il va falloir t’y résigner, Harry, j’en ai peur. En attendant, rien ne nous empêche de découvrir comment sir Bethune se débarrasse du dragon. À ton avis, comment va-t-il s’y prendre ?
— Il va lui trancher les boyaux ! s’exclama Harry.
Et, joignant le geste à la parole, il agita une épée imaginaire.
Tessa fit mine d’être effrayée.
— Pour l’instant, sir Bethune commence simplement à descendre dans la vallée où le dragon a sa tanière. Ne crois-tu pas qu’il a peur ?
— Les chevaliers n’ont peur de rien, Tessa.
— Moi, j’aurais peur, si je devais affronter un dragon, affirma Tessa, avant de reprendre sa lecture. « Les ombres s’allongeaient rapidement, comme si la terre et le ciel s’obscurcissaient en même temps. L’atmosphère devenait menaçante. Une odeur de vieux dragon se mêlait à une pestilence de chair en décomposition. Sir Bethune se redressa sur sa selle. »
La jeune fille referma de nouveau son livre.
— Tu sais, Harry, sir Bethune s’apprête à livrer le combat le plus important de sa vie. Et il n’est armé que de son épée et de son honneur.
Extraits
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