#Roman francophone

Bellevue

Claire Berest

Alma se réveille à quatre heures du matin. Dans un hôpital psychiatrique. Deux jours plus tôt, elle fêtait ses trente ans. Ecrivain prometteur, Alma est une jeune Parisienne ambitieuse qui vit avec Paul depuis plusieurs années ; tout lui sourit. Et, d’un coup, tout bascule. Son angoisse va l’emporter dans une errance aussi violente qu’incontrôlable et la soumettre à d’imprévisibles pulsions destructrices. Que s’est-il passé pendant ces quarante-huit heures ?

Par Claire Berest
Chez Stock

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Editeur

Stock

Genre

Littérature française

« La traditionnelle lucidité des dépressifs, souvent décrite comme un désinvestissement radical à l’égard des préoccupations humaines, se manifeste en tout premier lieu par un manque d’intérêt pour les questions effectivement peu intéressantes. Ainsi peut-on, à la rigueur, imaginer un dépressif amoureux, tandis qu’un dépressif patriote paraît franchement inconcevable. »

 

Les particules élémentaires

Michel Houellebecq

 

 

Se faire sauter, pour une femme, concrétise l’idée du sexe d’une manière curieusement passive. Se faire sauter, pour une femme, induit une prise en charge du plaisir de l’autre, cette incontournable envie chez l’homme de jouir. Encore et encore. Un train dans un tunnel qui se dirige sans alternative possible vers la sortie. Un besoin de se soulager, de jeter quelque chose hors de soi. Sont-elles si douloureuses ces réserves de sperme entassées pour qu’accompagne systématiquement leur expulsion et leur perte un cri superstitieux de ravissement ? Je sens précisément que je n’assiste pas qu’à une satisfaction, mais bien plus quej’assiste à un soulagement. Les femmes, assistantes de ces chutes répétitives, aides-soignantes rodées, sans vergogne.

L’orgasme de la femme vient plus tard, ce n’est pas de suite une affaire d’État. Non, l’affaire c’est qu’il bande, et qu’il éjacule enfin, à un moment donné. Et cela tranquillise. Je suis de ce genre de femmes que tranquillise la petite mort de l’autre. La petite mort de l’homme, qu’il soit de passage ou qu’il soit envisageable de l’aimer.

Avant toute chose logique, c’est à ça que je pense en me réveillant, avant même de me demander où je suis, d’entreprendre l’effort de me souvenir de l’endroit où je me trouve je pense simplement à cette ambiguïté de la jouissance. Je songe aux hommes que j’ai aidés à jouir, et comme ils m’ont attendrie dans leur fugitif et intense désarroi post-coïtal.

Je suis allongée sur un lit banal. Je cherche la lumière, et je m’aperçois qu’elle fait partiellement défaut, la chambre est éteinte, c’est la pénombre, je tourne la tête vers la droite, une fenêtre tranchée de barreaux est fermée et dehors, oui, c’est la nuit, pourquoi y vois-je si clair ? Je tourne la tête vers la gauche, il y a un placard avec un verrou, une chaise, un radiateur, une porte qui s’ouvre sur ce que je devine être une douche et des toilettes, à quelques pas de mon lit, je vois la porte de la chambre, elle est vitrée, de l’autre côté… Je ne sais plus, je regarde au sol, une lumière forte, qui rase le lino, mais qui peut bien décider d’installer une lumière au sol, une lumière crue de phares de voiture en rase campagne ? Je ne vois pas d’interrupteur. Mais qui contrôle la lumière ? Qui est en charge de la lumière ? Je pense à ma tête qui part à la recherche des contours de cette chambre, je pense à elle, parce que le reste de mon corps s’est absenté pour le moment, il repose loin de mes pensées et je n’ai pas envie de le chercher, je n’ai pas envie de suivre des yeux la route de cette chair qui me mènerait vers mon torse, mes seins, plus bas mon sexe, et enfin mes jambes et enfin les pieds qui m’ont menée ici, dans cette chambre au lit banal, et qui m’apparaissent absurdement étrangers, quand j’y songe. Un gardien s’arrête à la hauteur de ma porte et jette un œil, je sursaute sans bouger, un sursaut intérieur, je le devine penché à la vitre de ma porte, contrôlant, et je fais semblant de dormir, c’est ce qu’il cherche à voir, un corps inactif et appesanti, il n’aura pas besoin d’intervenir. Je lui en donne pour sa tranquillité, je pèse si lourd au lit, je suis calmée, je ne créerai aucun grabuge. J’attends qu’il reprenne sa ronde, qu’il s’éloigne, afin de considérer à nouveau les alentours. Je ne peux pas penser s’il me regarde, me dis-je, et je prends conscience du même coup que c’est la première fois de ma vie que j’analyse ma faculté à penser. Je suis scindée. Je sais où je suis, maintenant je m’en souviens, mais je ne fais pas l’effort de l’assimiler, d’en tirer une idée, voire un sentiment, il est trop tôt pour cela, j’ai envie de fumer, un cri se fait entendre dans la chambre d’à côté, je ne suis pas surprise, un cri d’homme je dirais mais je n’en suis pas sûre, je suis traversée par un souvenir, j’ai vu Thomas B. avant de me retrouver ici. L’ai-je vraiment vu ? Est-ce lui qui m’a amenée ici ? Qui est au courant de ma situation ? Auguste doit forcément savoir, je revois son visage près du mien, mais dans quel contexte a-t-il collé son visage près du mien, ça m’échappe, ça me fait mal cet effort de souvenir, ça me fait mal aux cheveux, aux poils, à la colonne vertébrale, au sang. J’émerge d’un flou effrayant et une fatigue abyssale m’étreint. Je sais où je suis, mais je ne sais plus comment je suis arrivée là. Mon cerveau appréhende cette situation, mais si je suis honnête, je m’en fous, ça ne me révolte pas.

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27/01/2016 193 pages 19,00 €
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