Prologue
Un peu avant neuf heures du matin, ce lundi 15 novembre 1976, le monde du cinéma a perdu sa plus prestigieuse étoile : Jean Gabin est mort. Derrière le mythe fascinant, un homme simple mais mystérieux, un acteur secret mais populaire, un monstre sacré, voire un sacré monstre.
Ce jour-là, le peuple de France pleure Jean Gabin, symbole de toute une époque : le music-hall des Années folles, 36 et le Front populaire, le réalisme poétique, les drames sociaux, l'âge d'or du septième art. Après la Seconde Guerre mondiale où il devint un héros à son corps défendant, il choisira de jouer les prolongations, il remontera en haut de l'affiche pour ne jamais échapper à l'oubli. Un demi-siècle de présence à l'écran, du mauvais garçon au dandy, du prolétaire au militaire, du baroudeur au paysan, du flic au truand, un fabuleux parcours.
Ce jour-là, son souvenir – l'ombre d'un géant – efface tous les autres grands drames qui se trament à travers le monde, la guerre présente en Afrique, au Burundi et en Rhodésie, les massacres civils aux portes de l'Orient avec le Liban et le conflit israélo-arabe, enfin en Extrême-Orient où des tensions particulièrement vives mettent gravement en danger la planète.
Deux jours plus tard, le mercredi 17 novembre, le peuple de France lui rend un hommage solennel. Comme dans un drôle de drame, le chagrin est partout présent, palpable dans ce cimetière du Père-Lachaise où une foule considérable s'est déplacée, des dizaines de milliers d'anonymes, tous venus saluer sa dépouille bientôt livrée aux flammes du crématorium puis, selon ses dernières volontés, ses cendres aussitôt dispersées au large de la Bretagne.
Ce jour-là, tandis que les siens pleurent la perte d'un mari, d'un père ou d'un grand-père, la grande famille du cinéma sanglote : Jean Renoir parle de la disparition de « son frère », Lino Ventura de celle de « son père », Michèle Morgan pense à « un tendre ami », Madeleine Renaud à « son meilleur camarade », Marlène Dietrich affirme se sentir « veuve », enfin Alain Delon dépose une gerbe sur laquelle est inscrit : « À Jean, le Môme ». À leur tour, venus se recueillir, Jean-Paul Belmondo, Louis de Funès, Michel Audiard ou Henri Verneuil se sentent orphelins !
Toutefois, un mystère subsiste autour de lui, même aux yeux embués de larmes de tous ces proches, sitôt le mot fin inscrit à son histoire, chacun s'accordera à reconnaître qu'ils ne le connaissaient pas si bien ! Sans aucun doute la raison pour laquelle j'ai choisi de raconter qui se cachait derrière Jean Gabin…
Jean-Jacques JELOT-BLANC
1904
« Je suis un vrai Parigot, né entre la Villette et Montmartre. » Septième enfant de la famille Moncorgé, Jean Gabin Alexis voit le jour le 17 mai 1904 dans le XVIIIe arrondissement de Paris au 23 boulevard Rochechouart. Sa mère, Madeleine Petit, plumassière du quartier du Sentier reconvertie dans le registre « chanteuse fantaisiste » sous le pseudonyme d'Hélène Petit, s'est éprise un jour de son partenaire Georges Ferdinand Joseph Moncorgé dit Gabin, un pseudonyme trouvé dans l'indicateur ferroviaire de son père conducteur de locomotives, une passion transmise à son fils Jean. Dès la fin du XIXe siècle, Gabin père se produit sous ce nom précédé de ses prénoms, Ferdinand ou Eugène.
Extraits
Commenter ce livre