#Essais

Le trésor de Huê. Une face cachée de la colonisation de l'Indochine

François Thierry

Au cours du siècle, la dynastie impériale vietnamienne, les Nguyên, a thésaurisé dans son palais de Huê une quantité inimaginable de lingots et de pièces d'or et d'argent. En proie à des troubles, le Tonkin est mis sous tutelle par la France en 1883 malgré l'opposition de la Chine, suzerain du Vietnam. L'empereur Tu Duc meurt la même année, son successeur , est assassiné, de même que le successeur du successeur ! A chaque fois la France doit renégocier les concessions politiques obtenues du souverain précédent. Un piège diabolique permet aux Français de s'emparer de la Cité interdite et de son trésor caché le 5 juillet 1885 : 6000 lingots et 2000 médailles d'or ! C'est le début d'une lutte acharnée pour ce trésor qui va s'étaler sur plusieurs années. Enjeu de sourdes manoeuvres entre trois ministères français, réclamé par le nouveau souverain vietnamien installé par la France, le trésor va faire l'objet d'une bataille homérique et de nombreux rebondissements. La majeure partie de l'or sera finalement fondue pour être transformée en pièces. La collection résiduelle entrera au Musée des Monnaies et médailles, où elle se trouve toujours... mais pour le moment inaccessible au public ! Cette histoire aux multiples rebondissements, est ici racontée pour la première fois. Elle éclaire d'une lueur inédite l'histoire de la colonisation indochinoise.

Par François Thierry
Chez Nouveau Monde Editions

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Genre

Histoire de France

 

 

 

 

 

Avant-propos

 

 

Trésor. Il est peu de mots qui enflamment à ce point l’imagination. Qu’on le veuille ou non, des images – un peu toujours les mêmes d’ailleurs – viennent immédiatement à l’esprit quand on entend le mot : des pièces d’or s’échappant d’un vase brisé, des coffres cerclés de fer débordant de rubis, de saphirs, de diamants et de bijoux, des lingots d’or brillant dans la pénombre d’une cache souterraine… L’imaginaire collectif et individuel s’est nourri, et continue de se nourrir, de récits d’événements plus ou moins historiques, de biographies de personnages extraordinaires, de descriptions fabuleuses de territoires lointains regorgeant de richesses et, de nos jours, d’une abondante production cinématographique et télévisuelle ; les fantasmes trouvent un terreau fertile dans la crédulité et dans l’espoir de changer d’un coup son sort1. Qui donc n’a jamais prêté une oreille complaisante à l’histoire du trésor des Cathares ou des Templiers, à celle des richesses englouties des gallions espagnols, du trésor de Golconde ou du trésor de Rommel ?

Mais les trésors existent bel et bien. Pas ceux auxquels on pense généralement : d’autres, découverts grâce à l’archéologie ou par hasard, comme le trésor de Priam2 ou le trésor de Mir-Zakha3, ou retrouvés car, comme celui du Vliegend Hert, la trace n’en n’avait jamais été complètement perdue4.

À l’époque moderne, le trésor est l’ensemble des revenus ­financiers d’un État : ce trésor public est destiné à financer les dépenses de l’État. Mais dans de nombreuses formations étatiques, il n’y a pas de distinction entre trésor public et trésor royal, si bien que le trésor de l’État est le trésor royal : l’ensemble des richesses, sous forme monétaire ou non, constituées par l’accumulation des prélèvements fiscaux, mais aussi par d’autres ressources comme les rançons, la vente des offices, les confiscations, les cadeaux et les pillages. Lorsque les revenus excèdent les dépenses, on met de côté le surplus en prévision de possibles besoins imprévus. On dispose alors d’une réserve qui est comme une sorte de trésor dans le trésor. On prend soin, alors, de mettre dans des lieux bien gardés des matières qui peuvent se conserver sur une longue période : on évite d’accumuler des grains ou des tissus et on leur préfère l’or, l’argent, les pierres précieuses ou les objets extraordinaires. Année après année, certains États accumulent ainsi d’énormes richesses. Selon la formation sociale du lieu et de l’époque, des trésors du même type sont également constitués par des princes, par des institutions comme les guildes de marchands ou les monastères, ou même par des rebelles. Cette accumulation de richesses, naturellement, attire les prédateurs.

Lorsqu’un État, une cour ou un prince, voire un riche marchand ou une abbaye, se trouve confronté à une menace à laquelle il estime être incapable de résister, il n’a que deux solutions pour sauver son trésor : fuir avec ses richesses, ou les dissimuler dans l’espoir de venir les récupérer plus tard. Les exemples abondent en Occident comme en Orient. C’est ainsi par exemple qu’au Vietnam, sous la dynastie des Trần, en 1379, devant la menace de son puissant voisin méridional, le royaume des Chams, dont les armées remontaient vers le nord, « le roi fit enfouir le trésor royal dans les caves de Khả Lãng, village de la province de Lạng Sơn, en prévision de l’incendie des palais par les Chams5 ». Parfois, les autorités, ou d’autres, viennent effectivement récupérer le trésor. Dans le cas de trésors d’État, c’est ce qui se passe généralement, car trop de gens sont informés de l’enfouissement : le souverain, l’administration, les ouvriers, les soldats requis, etc. Mais parfois, il arrive que tous les protagonistes disparaissent dans la tourmente et que le trésor dorme à jamais dans sa cachette. Le hasard permet alors à l’archéologue de faire une grande découverte : c’est ce qui est arrivé avec la découverte du trésor de Priam par Schliemann. Ce fut aussi le cas, en 1969, au hameau de Hejiacun, près de Chang’an en Chine, avec la découverte du fabuleux trésor d’un prince de la dynastie Tang ; le prince de Bin, oncle de l’empereur Xuanzong (712-756), avait amassé une immense quantité d’objets précieux qu’à sa mort, en 741, il laissa à ses fils. Mais, en 758, le soulèvement du général An Lushan provoqua la fuite éperdue de la Cour et l’abandon de la capitale. Les descendants du prince placèrent dans deux énormes jarres de terre cuite et un grand vase d’argent toute la vaisselle d’or et d’argent, les bijoux et les objets en jade et de pierres précieuses ou semi-précieuses, les lingots d’argent et les monnaies d’or et d’argent, l’ambre et le corail, les produits rares de la pharmacopée chinoise, et la collection de monnaies anciennes. Puis ils enfouirent le tout. On ne sait ce qu’il advint des aristocrates, mais personne ne revint pour exhumer le trésor, qui ne fut découvert par les archéologues chinois que douze siècles plus tard.

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02/10/2014 316 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782369420415
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