#Roman francophone

Mateo

Antoine Bello

Mateo Lemoine est un prodige du football. À dix-huit ans, il surprend son entourage et ses fans en s'inscrivant à la fac de Vernet, la petite ville où il vit avec sa mère, pour conquérir le titre universitaire que son père, entraîneur de talent disparu prématurément, était sur le point de remporter avec sa mort. Malgré son niveau, ou à cause de lui, Mateo peine à trouver sa place au sein de l'équipe. Peut-être parce qu'il ne cherche pas tant la victoire que le surpassement - individuel et collectif. Ce roman, qui ne captivera pas seulement les amateurs de sport, est avant tout une parabole sur la volonté, le mérite et l'utilisation que chacun de nous fait des talents qu'il a reçus. Antoine Bello étonne et séduit par la singularité de son univers romanesque.

Par Antoine Bello
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française

 

 

 

 

 

 

Première partie

 

 

 

1

 

 

C’est Mateo qui avait proposé de s’en faire un petit en attendant l’affichage des résultats. Djamal, toujours partant pour un match au débotté, avait battu les couloirs à la recherche de volontaires. Il en avait trouvé sept, qui ne s’étaient pas fait prier pour quitter la cohue massée devant le bureau du directeur. Un nombre pair eût été préférable mais Mateo ne s’arrêtait pas à ce genre de détails. En laissant Djamal choisir le premier, il s’était infligé un double handicap : non seulement il renonçait aux jumeaux Deléglise – une règle non écrite interdisant de séparer les deux frères – mais son équipe évoluerait de surcroît en infériorité numérique.

On jouait depuis vingt minutes quand le surveillant général, un colosse à la patte folle à moitié aveugle qui s’appelait Hambourg mais que tout le monde surnommait Boubourg, tonitrua depuis le perron que les résultats étaient arrivés. Les joueurs se ruèrent vers le bâtiment des études, abandonnant à son sort Mateo qui s’apprêtait à donner un corner. Pestant contre la désinvolture de ses coéquipiers, il armait déjà, pour se consoler, une frappe brossée synonyme de corner rentrant quand la vue de la cage opposée lui souffla l’idée d’un autre défi.

— Si je touche la barre transversale, je suis reçu, pensa-t-il. Et si je la manque, j’aurai gagné un voyage à Perpète-les-Alouettes.

Il avait usé assez de paires de chaussures sur ce terrain pour en avoir totalement intégré les dimensions. Tout de même, à cette distance – plus de quarante mètres –, la section carrée de huit centimètres de la barre paraissait bien fine. Il eût sans doute opté, en l’absence de vent, pour une large cloche mais la légère brise qui soufflait en cette fin d’après-midi imposait une trajectoire tendue qui ne laissât aucune place à l’erreur. Il prit quelques pas d’élan, inspira et expira longuement pour maîtriser le rythme de sa respiration et essaya de se rappeler ce qu’il avait ressenti quand il avait tiré d’aussi loin. Ses yeux allèrent du ballon au but et du but au ballon plusieurs fois. Il visualisa le vol du cuir, la déformation initiale que lui imprimerait la frappe, l’ovale de son ombre glissant sur le goudron et fendant le terrain en un clin d’œil.

Il s’élança et frappa du pied droit. La balle partit comme un boulet de canon. Une seconde et demie plus tard, elle s’écrasa dans un fracas assourdissant sur la barre transversale et atterrit comme par magie au creux des bras repliés de son maître, qui avait anticipé sa course.

Le sourire aux lèvres, Mateo se dirigea d’un pas tranquille vers les salles de classe. Il apercevait de loin les pages qui couvraient la fenêtre du bureau du directeur. Sur l’un de ces rectangles de papier blanc figuraient son nom et en face de ce nom la mention « reçu » ou « recalé ». Il était confiant, tout en sachant qu’il ne disposait pas d’une marge considérable. De toute façon, les notes importaient peu. Seul comptait le diplôme, passage obligé dans le parcours qu’il s’était tracé.

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31/01/2013 284 pages 19,50 €
Scannez le code barre 9782070140114
9782070140114
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