#Imaginaire

Macha ou l'évasion

Jérôme Leroy

Le monde de la Douceur vient d'entrer dans sa quatrième génération. Dans la Douceur, il n'y a plus de téléphones portables, plus de pollution, la course au profit a disparu. Macha-des-Oyats, qui a cent sept ans, est née au tout début du 21e siècle. Elle est l'une des dernières personnes à avoir connu le monde de la Fin. Alors, pour les jeunes qui le lui demandent, Macha accepte de raconter : sa jeunesse, cette époque ultraviolente, sa fuite vers un idéal…

Par Jérôme Leroy

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Genre

12 ans et +

À M.B., frangine.

 

« Il faudrait habiter dans zun arbre. Si nous voulions zavoir vraiment la paix, ze veux dire. »

Jean Vautrin, Billy-ze-Kick

 

ZAD


1°) Acronyme pour « zone d’aménagement différé ».

 

2°) Par détournement du précédent, « zone à défendre ». Dès les années 2010, des projets dangereux pour l’environnement, comme des aéroports, des barrages ou des implantations d’hypermarchés, ont vu de nombreuses personnes s’opposer à leur réalisation. Pour cela, ces groupes ont occupé pacifiquement les endroits où devaient commencer les travaux et ont construit parfois de véritables villages improvisés : cabanes dans les arbres, tentes, yourtes, installations dans des fermes abandonnées.

Néanmoins, cela a provoqué, à l’occasion, des affrontements violents avec la police. Notamment autour du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, ou encore du projet de barrage de Sivens, au Testet, dans le Tarn. Rémi Fraisse, un jeune écologiste de vingt et un ans, y a été tué le 26 octobre 2014 par un tir de grenade venu des rangs de la gendarmerie.

Beaucoup de zadistes, c’est ainsi que se nomment les occupants des ZAD, voudraient que ces zones à défendre soient aussi l’occasion d’expérimenter de nouvelles façons de vivre ensemble, plus libres et plus fraternelles.

 

 

PREMIÈRE PARTIE


Des journées entières dans les arbres

 

 

1

 

Vers 2100 et des poussières, ZAD d’Équemauville

 


Ils sont arrivés dans notre ZAD un mardi.

Il y avait deux filles et un garçon. Je ne les connaissais pas.

Ou je ne me souvenais pas d’eux.

Après tout, j’ai cent sept ans depuis le printemps.

Je les avais peut-être croisés lors de ces fêtes où nous nous retrouvons à plusieurs milliers pour le plaisir d’être ensemble, d’échanger nos produits, de rencontrer celui ou celle avec qui on partagera un arbre pour quelques jours ou pour la vie… Qui sait, je les avais peut-être même eus comme élèves, à l’époque où j’enseignais dans les Arbres-Écoles de la région ?

La première chose qui m’ait frappée, c’était que tous les trois, les deux filles et le garçon, étaient très beaux. Ils rayonnaient d’intelligence et dégageaient une impression de calme tout en ayant l’air très décidés. Ils avaient à peine vingt ans.

Cela voulait dire qu’ils appartenaient à la quatrième génération de la Douceur.

Je les ai comparés avec ceux de leur âge qui vivaient dans le monde de la Fin. Cette manie de la comparaison me prend de plus en plus fréquemment quand je rencontre de très jeunes gens. C’est un effet de l’âge, je crois. Le passé remonte sur le présent comme la marée sur la plage.

Dans le monde de la Fin, les jeunes avaient tous ou presque une physionomie fermée. Ils éprouvaient une angoisse permanente qui les rendait souvent solitaires. « Je peux savoir pourquoi vous faites toujours cette tête d’enterrement ? » me demandait par exemple mon père qui n’était pas mon père et qui me vouvoyait, en plus. Il aurait dû trouver la réponse lui-même, s’il avait été un peu plus lucide. Mais plus grand monde n’était lucide en ce temps-là, et mon beau-père Étienne Le Vigan encore moins que les autres.

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