#Roman francophone

L'Amour comme par hasard

Eva Rice

1954, Pénélope et Charlotte, de jeunes anglaises issues de familles aristocratiques mais désargentées, sont folles du chanteur Johnnie Ray, qui fait fureur des deux côtés de L'Atlantique. Harry, le cousin de Charlotte, essaie de conquérir une extravagante actrice américaine qui s'est fiancée avec un autre. Pénélope, elle, est subjuguée par l'irrésistible Rocky Dakota, un imprésario hollywoodien de vingt-cinq ans son aîné. Mais Rocky s'intéresse-t-il à elle ou à sa mère, une veuve éblouissante qui ne s'est jamais remise de la mort de son mari bien-aimé au champ d'honneur ? Un marivaudage, dans lequel Eva Rice réinvente avec esprit les jeux de l'amour et du hasard, dans une Angleterre attachée à ses traditions, sur fond de rock'n roll.

Par Eva Rice
Chez LGF/Le Livre de Poche

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Auteur

Eva Rice

Genre

Poches Littérature internation

I
La fille au manteau vert



J'avais fait la connaissance de Charlotte à Londres, un après-midi où j'attendais l'autobus. Notez bien cette phrase : elle contient une information déjà extra­ordinaire en soi, puisque je ne prenais l'autobus qu'une ou deux fois par an à peine, et encore n'était-ce qu'his­toire de changer un peu et d'emprunter un autre moyen de transport que le train ou la voiture. On était en 1954, à la mi-novembre, et il faisait un froid comme jamais je n'en avais connu dans la capitale. Trop froid pour neiger, disait mon frère en pareil cas, une remarque qui m'avait toujours laissée perplexe. J'avais ma pelisse de chez Whiteleys, un peu fatiguée mais toujours superbe, et des gants de laine en jacquard qu'une amie d'Inigo avait oubliés à Magna le week-end précédent, aussi me trouvais-je dans les meilleures dispositions pour affronter ces conditions polaires. J'étais donc là, en train de penser à Johnnie Ray et d'attendre patiemment en compagnie de deux vieilles dames, d'un adolescent d'environ quatorze ans et d'une jeune mère avec son bébé, quand ma rêverie fut interrompue par l'apparition d'une fille maigre comme un clou, revêtue d'un long manteau vert éme-raude. Elle était presque aussi grande que moi, ce qui retint aussitôt mon attention, vu que je mesure un mètre quatre-vingts tout rond, avec mes chaussures. Elle se planta devant nous et toussa pour s'eclaircir la voix.
« Y a-t-il quelqu'un qui voudrait partager un taxi avec moi ? demanda-t-elle. Je ne peux pas rester toute la journée ici à attendre. » Elle parlait fort et vite, sans une ombre de timidité, et je compris instantanément que même si sa proposition s'adressait à tous, c'était moi qu'elle souhaitait convaincre d'accepter.
Le garçon ouvrit la bouche, la referma, puis rougit en enfonçant les mains dans ses poches. L'une des vieilles dames marmonna : « Non, merci », et l'autre devait être sourde, car elle n'eut aucune réaction. La jeune mère secoua la tête avec un soupir de profond regret qui est resté imprimé dans mon esprit longtemps après la fin de cette journée. Moi, je haussai les épaules et, sans trop savoir pourquoi, je lui demandai :
« Où allez-vous ?
- Oh, vous êtes un amour ! Venez. »
Elle se précipita sur la chaussée et agita la main pour faire signe à un taxi. Quelques secondes plus tard, une voiture s'arrêta à sa hauteur.
« Venez ! cria-t-elle.
- Attendez une minute ! Où allez-vous ? » deman­dai^ e pour la seconde fois, tout émotionnée et regret­tant en premier lieu d'avoir ouvert la bouche.
« Oh, par pitié, montez vite ! » m'ordonna-t-elle, en ouvrant la portière. L'espace de quelques instants, le monde entier parut s'immobiliser dans l'attente d'un signal. Quelque part dans un univers parallèle, je m'entendis hurler que j'avais changé d'avis, que je ne pouvais pas l'accompagner. Mais, dans la réalité, je m'élançai vers le taxi et m'assis à côté d'elle, à la seconde même où le feu passait au vert, et fouette cocher.
« Mince alors ! s'exclama-t-elle. J'ai cru que vous ne vous décideriez jamais ! »
Elle parlait sans me regarder, les yeux fixés droit devant elle, dans la direction vers laquelle nous rou­lions. Je restai un moment sans rien dire, à m'impré-gner de la beauté de son profil - le teint pâle, lisse et laiteux, les longs cils recourbés et les cheveux blond foncé, lourds, raides et épais, étonnamment épais, qui lui arrivaient bien en dessous des épaules. Elle parais­sait un peu plus âgée que moi, mais à sa façon de parler, je lui donnai peut-être un an de moins. Elle restait immobile, sa grande bouche figée dans un petit sourire.
« Où allons-nous ? demandai-je pour la troisième fois.
- C'est tout ce que vous savez dire ?
- Je ne vous le demanderai plus si vous me donnez une réponse.
- Je vais à Kensington. Pour prendre le thé chez tante Clare et Harry, une chose dont les mots ne peu­vent pas donner idée, aussi j'aimerais bien que vous veniez avec moi, ce qui nous permettra de passer un après-midi agréable. Ah ! au fait, je m'appelle Char­lotte. »
Elle avait dit ça comme ça. Alice au Pays des mer­veilles, tout craché. Évidemment, étant ce que j'étais, je me sentis flattée par ces suppositions sans fonde­ment, primo, que j'avais envie de lui tenir compa­gnie et, secondo, que nous passerions un après-midi agréable si j'acceptais sa proposition.
«Il faut que j'aie lu tout l'acte IV d'Antoine et Cléopâtre avant 17 heures, dis-je, espérant montrer une certaine indifférence.
- Oh ! c'est simple comme bonjour. Il meurt, elle se tue avec un aspic. "Donne-moi mon manteau. Je sens une soif immortelle", récita-t-elle à mi-voix. On doit éprouver de l'admiration pour une femme qui choisit de se supprimer en se faisant mordre par un serpent, vous ne trouvez pas ? C'est pour se rendre intéressante, dirait tante Clare. Moi, je trouve que c'est une façon de tirer sa révérence qui ne manque pas de panache.
- Pas facile à mettre à exécution en Angleterre, rétorquai-je, réaliste. On voit peu de serpents traîner dans les quartiers ouest de Londres.
- Au contraire, ils y pullulent ! répliqua-t-elle. J'ai dîné avec l'un d'eux hier soir. »
Je ris. « Qui était-ce ?
- Le dernier en date des chevaliers servants de ma mère. Il voulait à tout prix la faire manger à la cuiller, comme si elle avait trois ans. Elle riait comme une petite folle, à croire qu'il ne lui était jamais rien arrivé d'aussi drôle. Il faut que je note de ne plus dîner avec elle cette année, remarqua-t-elle, pensive, en sortant un carnet et un crayon. Sans compter que son nouvel admirateur s'est révélé bien différent de ce qu'il est dans la fosse.
- La fosse ?
- C'est un chef d'orchestre qui se nomme Michael Hollowman. Je parie que vous allez faire celle qui est au courant et me dire que vous savez parfaitement qui il est et que son exécution de Rigoletto était remar­quable, c'est bien ça ?
- Sauf qu'elle était un peu trop rapide et dépourvue d'émotion. »
Elle parut atterrée et je souris. « Je plaisante, avouai-je.
- Heureusement. Sinon, je crois que j'aurais été contrainte de retirer mon invitation sur-le-champ. »
Il avait commencé à pleuvoir et la circulation était de plus en plus difficile.
« Qui sont tante Clare et Harry ? » demandai-je, ma curiosité l'emportant largement sur certaines considé­rations pratiques, tel le fait que nous allions dans une direction totalement opposée à la gare de Paddington, d'où partait mon train. Charlotte soupira.
« En réalité, tante Clare est ma mère. C'est-à-dire, non, elle n'est pas ma mère, c'est la sœur de ma mère, mais ma mère ne s'intéresse plus à rien, sauf aux hommes qui manient une baguette, dont elle espère qu'ils l'aideront à faire une carrière. Elle s'est mis dans la tête qu'elle était une grande cantatrice dont la voix est restée en friche, ajouta-t-elle d'un air sombre.
- Et c'est vrai ?
- Pour la voix en friche, elle a certainement raison. Elle se fait un sang d'encre pour presque tout, sauf pour ce qui me concerne, ce qui tombe bien puisque nous n'avons absolument aucun point commun - à part la folie des grandeurs -, par conséquent je suis presque tout le temps chez tante Clare et le moins pos­sible à la maison.
- Et où se trouve cette maison ? m'enquis-je, avec l'impression de parler comme ma grand-mère.
- À Clapham.
- Ah!»
Elle aurait aussi bien pu dire sur Vénus. Je savais que Clapham existait, mais je n'avais pas la moindre idée de sa situation géographique.
« Quoi qu'il en soit, tante Clare est en train d'écrire ses mémoires, reprit-elle. Je l'aide. Je veux dire par là que je me contente de l'écouter parler et de taper ce qu'elle raconte. Elle me paie une misère parce qu'elle estime que je devrais me sentir honorée de faire ce travail. D'après elle, beaucoup de gens donneraient leurs deux yeux pour entendre des histoires comme les siennes prises directement à la source, pour ainsi dire.
- Je n'en doute pas. Et Harry ? »
Elle se tourna enfin vers moi. « Il y a encore trois ans de ça, tante Clare était mariée à un monsieur élé­gant, qui s'appelait Samuel Delancy. Un de ces types terriblement séduisants qui sont en fait des minables. D'ailleurs, il a été tué par la chute d'une bibliothèque.
- Non!
- Si, c'est vrai, elle lui est tombée sur la tête pen­dant qu'il était en train de lire Les Origines de l'espèce - quelle ironie ! disait tout le temps ma mère - et résultat, ma tante a hérité d'une masse de dettes et de pas grand-chose d'autre. C'était un individu plu­tôt effrayant, avec un pied-bot pour faire plus beau... ha ha, pardon pour le calembour. Harry est leur seul enfant ; il a vingt-cinq ans et il est persuadé que la terre entière conspire contre lui. C'est vraiment pénible.
- Je suis contente de partager ce taxi avec vous, mais je n'ai pas pour habitude de prendre le thé avec des inconnus, dis-je, tout en me rendant compte que je n'étais pas très convaincante.
- Oh, pour l'amour du Ciel, je ne vous demande pas d'en faire une habitude ! Mais venez. S'il vous plaît ! Pour moi ! » implora-t-elle.
Bien que ce fût là un argument absurde, étant donné que nous ne nous connaissions que depuis quelques minutes, il emporta mon adhésion. Il y avait quelque chose dans la façon dont parlait cette créature, quelque chose dans sa manière d'être, qui me donnait la certi­tude que personne ne pouvait jamais rien lui refuser, qu'on la connût depuis cinq minutes ou depuis cin­quante ans. En ce sens, elle me faisait penser, et très fortement, à mon frère. J'avais l'impression de regar­der le taxi depuis l'extérieur et je me voyais comme quelqu'un de charmant, de passionnant - parce que j'étais avec Charlotte et jamais une fille comme Char­lotte ne m'aurait choisie pour prendre le thé si elle ne m'avait pas trouvé quelque chose d'intéressant, non ? Elle produisait sur moi l'effet inverse des Alicia, des Susan et des Jennifer qui appartenaient au circuit des débutantes. Auprès d'elles, j'avais l'impression de rapetisser, je sentais mon ombre se ratatiner, ma vision se rétrécir jusqu'à ce que je sois prise de panique à l'idée que, si je n'y prenais garde, toutes les idées ori­ginales que j'avais eues jusque-là allaient me fuir. Avec Charlotte, en revanche, tout semblait possible. Elle était de ces personnes qu'on rencontre dans les romans et rarement dans la vie, et si c'était le début d'un roman... alors pas question pour moi de des­cendre du taxi avant qu'il se soit arrêté en bas de chez tante Clare qui nous attendait pour le thé. J'avais tou­jours cru au destin mais, jusqu'à présent, lui n'avait jamais cru en moi. Cependant, il ne fallait pas que Charlotte s'imagine m'avoir séduite aussi facilement... « Vous êtes très tenace. Je ne sais pas si je dois vous faire confiance, pontifiai-je.
- Oh ! vous n'avez pas besoin de me faire confiance. J'ai toujours pensé que les gens dignes de confiance étaient d'affreux raseurs, et Dieu sait que j'en connais beaucoup. Je vous demande seulement de m'aider. Ce n'est pas la même chose.
- Vous n'avez pas d'autres amis qui pourraient vous accompagner ?
- Ce ne serait pas aussi drôle.
- Comment ça ? »
Elle eut un petit claquement de langue agacé. « Écoutez. Je ne peux pas vous forcer à venir avec moi. Si cette idée vous est à ce point insupportable, n'en parlons plus. L'ennui, c'est que vous ne cesse­rez de vous poser des questions par la suite, je me trompe ? Vous passerez une nuit blanche à vous dire : "Voyons, voyons, je me demande comment tante Clare était habillée. Je me demande si c'est vraiment un monstre. Je me demande si Harry est bien le plus beau garçon de Londres." Mais vous ne le saurez jamais, parce qu'il sera trop tard et que je ne viendrai pas vous chercher une deuxième fois.
- Il l'est ? demandai-je, méfiante.
- Quoi?
- Le plus beau garçon de Londres ?
- Oh non ! Pas du tout ! » Elle eut au moins le bon goût de rire d'elle-même, ce qui produisit un bruit étrangement sonore et strident, semblable à celui d'une moto qui démarre. « Il n'est pas beau du tout, mais c'est le garçon le plus intéressant de la terre. Vous allez l'adorer, conclut-elle. Tout le monde l'adore, au bout d'un certain temps. Et alors, on ne peut plus se passer de lui. C'est agaçant.
- Vous dites n'importe quoi. » Je m'en voulais de l'avoir interrogée sur ce cousin.
« Les thés de tante Clare sont un régal, poursuivit Charlotte. Des montagnes de beurre, de confiture de framboise, du cake et des scones au gingembre à s'en étouffer. Ma mère refuse d'admettre qu'il est capital de servir des thés copieux. »
Le taxi venait de s'engager dans Bayswater Road.
« En tout cas, je ne pourrai pas rester longtemps, dis-je mollement.
- Bien entendu. »
Il y eut un silence et je crus qu'elle allait me deman­der comment je m'appelais, mais elle n'en fit rien et je me rendis compte par la suite qu'elle n'y avait même pas songé. C'était la première fois que j'assis­tais à une manifestation de ce talent incomparable qu'elle avait de ne pas se comporter ainsi qu'on s'y attendait.
« J'étais sûre que vous monteriez dans ce taxi avec moi, disait-elle. Je vous ai vue à l'arrêt du bus, depuis le trottoir d'en face, et je me suis dit : Voilà une fille qui sera parfaite pour venir prendre le thé chez tante Clare et Harry. »

Ne sachant trop que penser de cette déclaration, je fronçai les sourcils.
« Absolument parfaite ! répéta-t-elle. Et puis j'adore votre manteau ; il est superbe ! » Elle tâta mon col de fourrure. « C'est du beau travail. Moi, je fais mes vêtements moi-même. C'est devenu une drogue. Pour ma pauvre mère, c'est une chose incompréhensible. Elle prétend que tout homme sensé quel qu'il soit prendra obligatoirement la fuite en apprenant que je passe des heures entières derrière ma machine à coudre, comme une vieille fille tout droit sortie de D.H. Lawrence. Je lui ai dit que ça m'était bien égal, vu que les hommes sensés ne m'intéressent pas du tout.
- Vous avez raison. Mais dites-moi, comment faites-vous ?
- J'ai taillé ce manteau dans une vieille couverture de voyage. Tante Clare dit toujours que je suis terrible­ment débrouillarde, sur un ton qui signifie qu'elle me trouve terriblement vulgaire.
- Une couverture de voyage ? m'étonnai-je. Mais il est magnifique, ce manteau ! »
J'éprouvai pour elle un sentiment de respect accru. Sous des dehors légers, elle possédait à l'évidence une éthique de travail rigoureuse, et une éthique de travail rigoureuse (car elle me fait totalement défaut) est quelque chose que j'admire infiniment chez autrui.
« Ça m'a pris un temps fou et les poches sont un peu bâclées, pourtant c'est assez réussi. Mais quand je vois un manteau comme le vôtre ! Ça, c'est carrément la catégorie au-dessus.
- Vous n'aurez qu'à le mettre pour le thé, si vous voulez, dis-je, à ma propre stupéfaction.
- Je peux, vraiment ? hésita-t-elle. Ça ne vous ennuie pas ? Ça me ferait tellement plaisir. » Avant que j'aie pu changer d'avis, elle entreprit de débouton­ner son manteau vert, qu'elle me tendit en disant : « Tenez ! Essayez le mien. »
Le manteau de Charlotte était merveilleusement chaud et confortable. On aurait dit qu'une parcelle de sa personne était restée blottie dans la doublure et j'en retirai une impression curieuse, un peu comme si j'avais mis un masque. Elle enfila ma pelisse en se tortillant et ramena son épaisse chevelure par-dessus le col. L'effet produit me causa un choc, dû en grande partie à ce talent d'actrice qu'elle possédait de trans­former son environnement rien qu'en changeant de tenue. Comme si on venait de lui remettre son costume pour une représentation et qu'elle se coulait aussitôt dans son personnage.
« Merci, chuchota-t-elle. N'est-ce pas que je fais un peu plus riche ? ajouta-t-elle avec un petit rire.
- Oui, répondis-je, et j'étais sincère.
- Oh ! nous sommes arrivées, s'exclama-t-elle joyeusement. C'est extraordinaire. Non, non, c'est moi qui paie. C'est le moins que je puisse faire. Je me sens soudain animée d'une grande générosité. »
Le taxi s'était arrêté devant une de ces grandes bâtisses assez laides qui bordent Kensington High Street. Au moment où je descendais, le vent cingla le manteau vert et j'eus l'impression qu'il me transper­çait. Charlotte paya donc la course, déversant de ses longs doigts une cascade de pièces dans la main du chauffeur, avec l'air d'une princesse qui remercierait son valet de pied. Je jure que je vis cet homme incliner la tête avant de redémarrer. Elle me prit par le bras pour me faire monter les marches du perron et pressa la sonnette.
« Tante Clare occupe les deux étages supérieurs de cette monstruosité. Une fois payées toutes les dettes d'oncle Samuel, elle n'a pu s'offrir rien de mieux. Elle se plaît beaucoup ici. Comme tous les gens intelli­gents, elle fonctionne parfaitement dans un désordre extrême. »
La porte nous fut ouverte par une fille assez dodue qui devait avoir dans les dix-huit ans. Elle posa sur nous un regard excédé, puis remonta devant nous les deux étages d'aspect peu engageant menant à l'appar­tement de tante Clare, avant de disparaître sans un mot.
« Phoebe, dit Charlotte. Une petite sotte. Elle est follement amoureuse d'Harry.
- La pauvre, dis-je d'un ton compatissant.
- Pas du tout. Tante Clare l'avait prise pendant quelques mois, pour lui donner un coup de main après la mort de mon oncle, et elle est toujours là à gagner plus qu'elle ne vaut. Elle ne m'adresse jamais la parole, mais j'ai cru comprendre qu'elle récitait de longs passages du Paradis perdu à Harry, toutes les fois qu'elle arrive à lui mettre la main dessus. » Elle me sourit. « Surtout, ne vous sauvez pas, je vous en supplie. J'en ai pour une minute. »
Sur ces mots, elle me laissa. Et c'est ainsi que commença le premier des après-midi que j'allais pas­ser dans le bureau de tante Clare.

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trad. Martine Leroy-Battistelli
18/02/2009 537 pages 7,30 €
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