INTRODUCTION
Le sujet traité dans ce livre est sans doute inhabituel pour les historiens français, et l’approche adoptée, celle de l’histoire intellectuelle, l’est plus encore. Cette étude concerne des controverses sur des sujets qui peuvent nous sembler aujourd’hui obscurs et totalement dépassés, ne méritant au mieux qu’une curiosité d’érudit : l’immortalité de l’âme, la distinction des substances, la vie éternelle. Cependant, la virulence avec laquelle ces questions furent débattues et le fait qu’elles continuèrent à être posées sur une longue durée devraient nous inciter à y regarder de plus près. Comme, en outre, ce sont des sujets généralement perçus comme relevant de la philosophie ou de la théologie plutôt que d’une étude historique, une impression que le titre de ce livre et sa référence aux « Lumières » ne peut que renforcer, il convient, d’entrée de jeu, d’expliciter ce titre, et notamment la période couverte, par rapport à l’étiquette des « Lumières », avant de préciser l’approche adoptée et justifier l’inclusion d’un tel sujet dans le domaine de la recherche historique.
La période couverte par cet ouvrage correspond en partie à celle connue sous l’étiquette de « Frühaufklärung », « prélumières » ou « premières lumières », ou encore celle de la crise de la conscience européenne analysée magistralement par Paul Hazard. Mais elle couvre également une grande partie de ce qu’il est convenu d’appeler le « Siècle des Lumières ». Il est ainsi indispensable d’interroger d’un côté la cohérence de la période choisie pour cette étude, et de l’autre ces étiquettes, et notamment la notion de « Lumières ».
Le choix comme point de départ de la dernière décennie du XVIIe siècle ne doit plus étonner, puisque le rôle clé joué par les développements intellectuels en Angleterre pendant cette période est généralement reconnu. Plus précisément, les controverses théologico-politiques, dans les années turbulentes suivant la « Glorieuse Révolution », sont fondatrices notamment en ce qu’elles regroupent d’une façon nouvelle des préoccupations théologiques, politiques et scientifiques. En même temps, le rôle joué par les huguenots exilés au Royaume-Uni et en Hollande, ainsi qu’en Suisse et en Allemagne, après la Révocation de l’Édit de Nantes donna plus d’éclat et un écho européen à ces controverses. Quant à la date choisie pour clore cette étude, elle peut étonner dans la mesure où elle correspond à la floraison des Lumières et à l’intensification de l’intervention politique des philosophes. Cependant, c’est justement cette évolution, faisant suite à la guerre de Sept Ans et aux changements qu’elle apporta dans la politique en France et ailleurs, puis la Révolution américaine, qui transforma la situation politique et intellectuelle, en France comme au Royaume-Uni. Ce livre étudie une controverse et ses développements tels qu’ils ont été façonnés par la situation du début du XVIIIe siècle, période clé pour la réflexion sur l’être humain. L’évolution intervenue à partir des années 1760 se fondait sur cette réflexion, mais les transformations apportées par la situation politique, économique et sociale nécessiteraient une autre étude pour en rendre compte. Dans ce livre, je me contenterai donc d’inclure dans le dernier chapitre quelques indications concernant les développements ultérieurs.
Extraits
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