Editeur
Genre
Histoire de France
PRÉFACE
Il faut réhabiliter la curiosité, qui n’est pas, selon l’expression d’un vieux dicton, qu’un vilain défaut. Comme l’a écrit Marc Bloch, elle est également la pulsion première qui meut les historiens, car elle prélude à l’envie de faire récit. Elle est un appel à la recherche personnelle en même temps, déjà, qu’un désir de partage.
J’ai toujours été amateur d’une étrange revue, qui m’a été un constant stimulant, L’Intermédiaire des chercheurs et curieux. Là, depuis 1864, tous les mois, une centaine de questions sont posées par les lecteurs, et autant de réponses, ou d’ensembles parfois contradictoires de réponses, sont apportés par d’autres lecteurs. Ces communications, souvent érudites et passionnées, concernent tous les sujets, qui se métamorphosent lors de cette alchimie en curiosités. En fondant l’Intermédiaire, Charles André Read, haut fonctionnaire, fin lettré, invente pour la France une encyclopédie bénéficiant d’une réactualisation permanente en même temps qu’une communauté de savoir sans cesse stimulée, ce que la bulle internet nommera « forum » et que nous connaissons aujourd’hui sous l’appellation de « Wikipédia ». Mais Read avait trouvé un nom bien plus poétique et tellement mieux inspiré : ces quelques milliers d’amateurs curieux regroupés en une communauté de partageurs du savoir, il les nomma « ophélètes ».
Les historiens « professionnels » méprisent généralement ou ignorent cette revue. Certains la lisent, quelques-uns y collaborent même, mais souvent sous pseudonyme, afin de préserver leur réputation. Préserver de quoi ? La recherche curieuse serait-elle le tabou de l’histoire sérieuse ? Il est sûr que les Annales et l’Intermédiaire vivent dans deux mondes différents. Pourtant, je plaide pour une synthèse possible entre les deux approches de l’histoire. La première revue m’apporte des analyses, des méthodes, des terrains de recherche, une épistémologie du savoir historique ; la seconde, injustement méconnue, déconsidérée, nourrit régulièrement ma pratique historienne d’une pulsion fouineuse et d’objets singuliers. D’ailleurs, j’ai écrit, et je continue d’écrire, dans les deux.
Si je me définis comme un historien curieux, c’est parce que j’aime plonger dans les textes et les archives avec un désir d’élucidation, en quête de sujets originaux, mystérieux, intéressants, ce que Taine nommait des « petits faits significatifs », Michelet des « éclats d’histoire » et Antoine Bouch, journaliste, poète, écrivain de romans policiers, qui dirigea l’Intermédiaire plus de vingt ans après la Seconde Guerre mondiale, des « singularités curieuses ». Les tables des matières de l’Intermédiaire, près de 70 000 sujets depuis 148 ans, sont pour moi des bréviaires précieux, comme les listes d’une énumération à la Prévert, une source d’inspiration privilégiée. Combien de mes sujets d’histoire sont nés dans ces listes consultées avec jubilation à la Bibliothèque nationale ? Mes travaux sur l’imaginaire politique de 1789, sur les combats du rire et du tragique pendant la Révolution, sur les cérémonies et les idées révolutionnaires, se sont nourris de ces éclats de curiosité. Ainsi, dans ce livre même, trouvera-t-on quelques textes directement nés de questions ou de réponses lues dans un numéro de L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, « baignoire de Marat », « chasse aux bustes », « Guillotin », « hilarité parlementaire », « Iscariotte », « lanterne », « noyades », « Père Gérard », « petit tambour », « pieds de cochon à la Sainte-Ménehould », « poissardes », « queue de Robespierre », « raison », « roi cochon », « tutoiement », « zéro », ou encore la magnifique et terrible « culotte de peau humaine » que la rumeur attribua un temps à Robespierre.
Extraits
Commenter ce livre