Avant-propos
Mes idées de roman se développent comme un polaroïd quelque part dans mon rhombencéphale. À l’origine de Zoo City, l’image d’une femme dans un appartement délabré, un paresseux accroché aux épaules comme un sac à dos. J’ai su aussitôt que l’animal était à la fois un fardeau et une chance de rédemption – l’accablant poids de l’espoir.
Je savais aussi qu’elle allait devoir accepter un travail dont elle ne voulait pas et que ce job la conduirait dans des endroits abominables. Que d’autres personnes seraient affublées d’animaux magiques, bénédiction et malédiction à la fois. Que le tout baignerait dans une ambiance de film noir, mais un film noir avec de l’arnaque à la nigériane, des réfugiés et des ados à problèmes à la place des poulettes à problèmes et autres archétypes habituels. À l’exception d’un meurtre, évidemment. Le meurtre était inévitable.
Et puis, je savais que l’action se déroulerait à Johannesburg. J’ai grandi dans cette ville et, même si je n’y vis plus, elle me colle à la peau. Comme n’importe quelle cité, c’est un lieu de contrastes, mais son fouillis de problèmes sociaux y paraît plus tangible, d’une évidence aveuglante, plus que dans les autres métropoles que j’ai pu visiter.
Tout est dû à son incroyable carambolage de cultures et d’économies, des taudis sans électricité aux paradis pour consommateurs rivalisant avec ceux de Dubai. Ici, les immigrés s’abritent des violences xénophobes dans des refuges ignobles, qui sont néanmoins toujours préférables à la vie dans la rue, pendant que la nouvelle élite noire partage un déjeuner d’affaires avec la vieille élite blanche dans les restaurants branchés des banlieues verdoyantes. Corruption et népotisme glissent leurs doigts poisseux à tous les niveaux du pouvoir, comme à la sale époque de l’apartheid ; c’est même encore pire, parce que nous ne nous sommes pas battus pour en arriver à ça.
Johannesburg est hanté par son passé, par le spectre du crime et de la violence, par la manière dont technologie et magie coexistent là où on ne s’y attendrait pas. Malgré ses fantômes, c’est aussi un endroit incroyablement vivant, vibrant d’opportunités, d’espoirs. Les gens y sont, pour l’essentiel, ouverts et amicaux. C’est une ville d’immigrants : les premières vagues de Juifs, de Chinois, de Grecs et de Libanais ont été rejointes par un flux d’Ivoiriens, de Camerounais, de Nigérians et de Zimbabwéens. Ce brassage se reflète dans la cuisine, dans les rues et particulièrement dans le langage, la manière dont l’argot, et notamment le tsotsitaal – le jargon des gangsters –, s’empare des meilleurs mots de chaque langue pour les remixer sans vergogne.
Dans Room 207, le roman qu’il a consacré à Hillbrow, Kgebetli Moele qualifie Joburg de « cité des rêves ». Et c’est vrai ; on y vient pour les réaliser, qu’il s’agisse d’ambitions colossales ou du simple besoin de vivoter un jour de plus. La flamme de l’espérance y brûle avec ferveur, et parfois aussi avec noirceur.
Extraits
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