Editeur
Genre
Romans de terroir
3
Partages
Professeur de lettres classiques, psychologue scolaire, Simon dirigeait depuis près de huit ans, aux portes de Paris, un collège médical destiné à des enfants inadaptés au système scolaire classique. L’âme à gauche, il en avait obtenu la reconnaissance par la Sécurité sociale afin que, située dans les ailes et dépendances d’un manoir du XIXe siècle appelé château, cette école privée ne demeure pas l’apanage des classes aisées.
Collaborateurs efficaces et passionnés, parents émerveillés, submergés par leurs occupations multiples, Julia et Simon formaient un couple dynamisant entraîné par sa fougue à lui, fondé sur sa solidité à elle. Elle croyait de la nature de la femme de combiner sans relâche et sans mot dire mari, métier et enfants, sans cesser d’enseigner le français, le dessin et les mathématiques, tout en accueillant dans de grandes pièces lumineuses au plafond haut professionnels et journalistes attirés par l’expérience, une première en la matière en France.
Gustave Monod, directeur de l’enseignement du second degré, avait écrit à Simon, le 6 juin 1946, au retour d’une visite des lieux : « L’enseignement public ne dispose encore d’aucun établissement destiné à recevoir des élèves irréguliers ou difficiles. Votre entreprise pourrait compléter cette lacune. »
Manotte aux cheveux de vagues argentées, toute de patience, remplaçait auprès de nous les grand-mères que nous n’avions pas connues. L’une pas du tout, l’autre à peine. Le château employait la cohorte nécessaire et harmonieuse d’un personnel affecté aux divers besoins d’un tel établissement. Issue d’un milieu pauvre, à peine sortie des années noires de l’Occupation, Julia s’estimait hautement privilégiée. Venir au secours d’élèves en difficulté exaltait sa vocation, vivre dans un tel cadre flattait son sens de l’esthétique. Pour nous, les enfants, l’élégance du château de pierres blanches, au milieu d’un parc traversé par une rivière, son confort rarissime à l’époque allaient de soi.
Monsieur de Villeneuve, le propriétaire des lieux, avait soutenu la création de l’école en louant l’une de ses propriétés de famille, pour une somme symbolique. Un noble geste de reconnaissance. Simon avait sauvé son fils unique de la délinquance à la suite d’échecs scolaires chroniques. Veuf, homme fin, élégant, l’une de ces personnes indéniablement racées, il cachait peu, sous le voile d’une courtoisie cultivée, son intérêt pour la grâce de Julia, mince et souple en dépit de ses maternités rapprochées. Sa femme épousée dans le cadre d’une union arrangée n’avait pas survécu à ses couches, ni peut-être à ce mariage négligent. Le comte solitaire admirait la force de vie de la jeune enseignante convaincue, épouse ravie, mère épanouie. Julia offrait un mélange harmonieux, tout de contraste, entre détermination, sérieux, tendresse, réserve et coquetterie. Frustrée du temps de la séduction, elle aimait plaire, mutine elle s’y employait, prude elle s’en défendait.
Extraits
Commenter ce livre