La France est un pays où l’histoire ne s’écrit pas toujours aisément, bien que les péripéties en aient toujours été et demeurent, en tous les domaines, d’un riche développement.
Ainsi, il est notoire par exemple qu’il existe une histoire encore secrète de la Résistance et de la Libération au cours de la guerre 1939-1945, pour ne pas parler de la guerre d’Algérie. Certains épisodes troublants de la guerre 1914-1918 tels que la décimation exercée contre certains régiments, sont encore ignorés ou plutôt refoulés par l’histoire officielle. Il semble que cette mesure, jadis pratiquée dans l’armée romaine et qui consistait en cas de démérite grave d’une unité militaire à exécuter au hasard un soldat sur dix, ait été ordonnée par le général Nivelle sur le front de la bataille de Verdun. Cependant, aucun livre ni aucun autre document ne touchent à cet objet tabou, même quatre-vingts ans après.
Dans l’histoire des sciences et de la culture, le même genre de carence concerne, toutes proportions gardées mais dans une dimension de refoulement, sur un horizon de dénégation somme toute comparable, la psychologie aussi bien que la psychanalyse.
La France est probablement le pays du monde où la psychanalyse est aujourd’hui la plus vivante, restée la plus fidèle à sa forme originelle en même temps que la plus innovatrice. Cependant, il n’y existe une société d’histoire de la psychanalyse que depuis guère plus d’une dizaine d’années. Une telle situation est en soi paradoxale et de prime abord peu facile à comprendre. On essaiera d’en fournir dans un instant un début d’explication.
Concernant la psychologie, il n’existe aucun organisme conséquent qui s’intéresse à l’histoire de cette science, en dehors d’un petit groupe d’études où se rencontrent quelques spécialistes, dont fait d’ailleurs partie l’auteur (GEPHP : Groupe d’études pluridisciplinaires d’histoire de la psychologie).
Les psychologues répugnent aujourd’hui spontanément à s’intéresser à l’histoire de leur discipline, dans la mesure où la recherche historique leur paraît connoter la même dimension idéologique que celle dont relève somme toute la philosophie, avec laquelle ils sont, depuis 1950 environ, corporativement brouillés. De fait, la tradition philosophique française est représentée notamment, depuis bien plus d’un siècle, par une très riche école d’histoire de la philosophie (Brunschvicg, Guéroult, Gouhier). Et l’on dirait que le rejet de la philosophie, très marqué chez les psychologues français, alors que les liens sont maintenus sans rupture entre ces domaines dans le paysage culturel de l’Allemagne par exemple, s’est associé à la récusation simultanée de tout intérêt pour l’histoire même de leur propre discipline. D’ailleurs, avec la philosophie ce n’est pas que l’histoire que l’on évacue, mais aussi tout souci relatif aux questions d’ordre éthique, et en général culturel. Seul alors ne peut prévaloir, dans le rapport à l’humain, que le strict point de vue technique.
Extraits
Commenter ce livre