Benoît Montès dévale la pente. Les graviers giclent autour de lui avec un bruit de grenaille. Il dérape, roule dans un roncier. Un coup de feu claque. Les collines se renvoient la détonation. Dérangé, un épervier s’élève en sifflant au-dessus du bosquet. Une horde de sangliers fuit dans le sous-bois. En contrebas, deux policiers s’arrêtent au bord d’un chemin creux qui s’enfonce dans les buissons.
— Pourquoi tu as tiré ? Tu es fou ?
— J’ai dérapé !
Il avait dégainé son arme par réflexe, parce que les courses-poursuites se terminent souvent par des échanges de tirs. Un homme et une femme d’une cinquantaine d’années sortent du bois, affolés.
— On a entendu un coup de feu…
— Ce n’est rien, dit l’agent qui a tiré.
— Tant mieux, fait le promeneur en s’éloignant sans demander son reste.
— C’est foutu, reprend le policier. On ne pourra plus le rattraper. Mais de toute façon il n’ira pas loin.
Le soleil bas sur l’horizon illumine une pente ocre d’où s’élèvent des tourbillons de poussière. C’est la fin de l’automne ; ici, les beaux jours ne durent pas. Chaque nuit, le gel fige l’eau des mares. Un vent glacé hurle en se brisant sur les rochers.
Les hommes retournent à leur voiture arrêtée sur la route départementale, près du véhicule de Benoît Montès, immobilisé dans le fossé à la sortie d’un virage. Ils en font le tour, en ouvrent la portière arrière et y découvrent des armes de gros calibre dans leurs étuis. Un portable sonne.
— Allô, Julien, dit une voix au policier aux cheveux gris. J’ai le nom de ton délit de fuite. Tiens-toi bien, tu vas être surpris.
— On l’a perdu de vue dans la montagne de Lure, répond Julien. Et tiens-toi bien, toi aussi : on vient de découvrir des armes sur la banquette arrière de sa voiture.
— Le propriétaire du véhicule est Benoît Montès, le fils de notre commissaire divisionnaire !
— Merde ! s’exclame Julien avant de demander d’une voix retenue : qu’est-ce qu’il faut faire ?
— Rentrer. Bernard Montès va être averti, mais tu connais l’homme… Il vaut mieux prendre quelques précautions !
Benoît Montès s’est assommé contre un rocher. Lorsqu’il reprend connaissance, un filet de sang coule sur son front. Il a entendu le sifflement de la balle et n’ose pas bouger, même s’il sait qu’il s’agissait d’un tir d’intimidation. Le silence revenu sur les collines l’écrase. Il regarde autour de lui, d’abord la forêt puis, plus haut, des rochers découpés en silhouettes bizarres, les collines au-dessous et, tout au loin, dans le bleu de la vallée, la route tourmentée qui conduit de Saint-Étienne-les-Orgues au pas de la Graille.
À moins de cent mètres, un bosquet de mélèzes lui offre un abri inespéré. Rampant derrière une petite crête rocheuse, il se glisse entre les ronciers en marchant à quatre pattes. « Voilà, pense-t-il, je suis devenu un animal traqué, un vrai gibier ! Mais qu’est-ce qui m’a pris de foutre le camp comme ça, je n’ai rien à me reprocher sinon un excès de vitesse ! » Il arrive aux premiers sapins. Ses mains de citadin lui font mal. Son pantalon déchiré pend autour de ses mollets égratignés. « Mais qu’est-ce qui m’a pris ? se sermonne-t-il à nouveau. Un excès de vitesse, ce n’est pas grave. Mais les armes… Oui, j’ai eu peur de me faire ramasser à cause des armes ! »
Extraits
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