Meanwhile, « Black sheep ! Black sheep ! » we cry,
Safe in the inner fold ;
And maybe they hear, and wonder why,
And marvel, out in the cold.1
Richard Burton, « Black Sheep »
1. « Moutons noirs, moutons noirs ! » crions-nous entre-temps,
Bien à l’abri au sein du troupeau ; Et peut-être nous entendent-ils, et se posent-ils des questions,
Et s’émerveillent-ils, là-bas dans le froid.
1
Animal en péril
Le chien, Bob le trouva deux jours après Noël, alors que tout le quartier sommeillait dans le froid sous l’effet combiné de la gueule de bois et d’une bonne crise de foie. Il venait de quitter son service – seize heures, deux heures du matin – au Cousin Marv, dans les Flats, où il tenait le bar depuis près de deux décennies. La soirée avait été calme. Millie, assise comme d’habitude sur son tabouret à l’angle du comptoir, sirotait un Tom Collins en parlant dans sa barbe ou en feignant de regarder la télé – tout pour retarder le moment où elle serait obligée de rentrer à la maison de retraite dans Edison Green. Le cousin Marv lui-même avait fait une apparition et traîné un moment dans la salle. À l’en croire, il devait s’occuper des comptes, mais il avait passé l’essentiel de son temps sur la banquette du fond, à lire les pronostics des courses hippiques et à échanger des textos avec sa sœur Dottie.
Ils auraient probablement fermé de bonne heure si les copains de Richie Whelan n’avaient pas réquisitionné l’autre extrémité du comptoir et porté toast sur toast à la mémoire de leur ami disparu, et présumé mort, depuis des lustres.
Dix ans plus tôt, jour pour jour, Richie Whelan avait quitté le Cousin Marv pour aller se réapprovisionner en shit ou en Quaalude (la question faisait toujours débat parmi ses anciennes connaissances), et n’avait plus jamais donné signe de vie. Il avait laissé derrière lui une petite amie qu’il ne voyait jamais et qui vivait avec sa mère dans le New Hampshire, et une voiture chez le mécano en attente d’un nouveau spoiler. C’était justement à cause d’elle qu’on le supposait mort : jamais il n’aurait abandonné cette foutue bagnole ; il en était raide dingue.
Rares étaient ceux qui l’appelaient par son nom. Tout le monde le surnommait « Jours de Gloire », vu qu’il n’arrêtait pas de la ramener sur l’année où il avait été quarterback dans l’équipe du lycée d’East Buckingham. Il avait conduit les joueurs à la victoire par 7 à 6, ce qui n’avait rien d’exceptionnel en soi, sauf si on consultait leurs scores avant et après.
Et c’est ainsi que les potes de Jours de Gloire, disparu et présumé mort depuis des lustres, se retrouvèrent au Cousin Marv ce soir-là – Sully, Donnie, Paul, Stevie, Sean et Jimmy – pour regarder les Celtics se faire traîner d’un bout à l’autre du terrain par les Heat. Bob leur apportait de son propre chef leur cinquième tournée, offerte par la maison, quand il se passa quelque chose pendant le match qui les amena tous à écarter les bras en signe de désespoir, et à crier ou à grogner.
Extraits
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