#Roman francophone

L'enfant

Raymond Bellour

"Il ne peut pas imaginer l'enfant. Il cherche à le revoir, mais ne peut pas l'imaginer. L'enfant s'enveloppe lui-même pour s'appeler enfant."

Par Raymond Bellour
Chez P.O.L

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Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française

Mémoire est inexplicable

La vieillesse devait avoir d’innombrables avenues, se déroulant toujours plus loin dans les ténèbres, et à un moment donné une porte s’ouvrait, puis une autre.

Virginia Woolf

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pensée d’os, qui se roule, le jeu des osselets n’a pas encore commencé.

 

Vous y voyez des paysages, neiges entassées, désirs confondus, des réponses fuyant à l’énergie de la lumière.

 

Dans le village de l’enfant, il y a des huttes, des rivières, des poteaux immobiles, des signes qui circulent entre les points qui restent fixes.

 

L’enfant s’est déplié. Il aime se sentir voulu, comme on raconte une histoire.

 

Cela fait tellement longtemps qu’il n’a plus vu d’histoire.

 

Il fixe un point dans le temps, le harponne d’un œil penché sur son vide intérieur, et se lance, roulant de borne en borne jusqu’à le toucher du front. Là commence un récit qui se déroule.

 

 

*

 

 

Non, tu n’as pas envisagé la force qui te pousse, négative. Il pleut des coups que tu esquives. La parole cherchée n’arrive pas, l’autre submerge, ronge, fait ses acides, t’exproprie. Tu es le lent, l’inexploré, tu répands des os qui pourraient servir. Voilà qu’on ne sait plus qui de l’autre a vécu

– laisser venir tout ce pourrissement.

 

Il ne peut pas imaginer l’enfant. Il cherche à le revoir, mais ne peut pas l’imaginer.

 

 

*

 

 

La mère se cramponne. Même d’un corps en biais, flottant, prêt à tourner comme une aiguille de cadran, ainsi elle se donne, ou plutôt se reprend en te cassant la tête de son mouvement pendulaire. Elle n’est plus soi-même, que mère, comme une composante grossie à la loupe fait exploser le microscope. Tu te dis : c’est trop beau, tout va chavirer le matin, mais c’est déjà le soir qui cogne et blesse avec une force sournoise indescriptible. L’image n’en finit pas, d’être si contrainte. Les yeux sont blancs, morts à cette vision qui te transporte.

 

 

*

 

 

Pourquoi devait-il traverser une telle étendue de brouillard ?

 

 

*

 

 

L’enfant roi ne veut rien savoir du roi qu’il est, se dévore en douceur, monte sur la tour, ne voit rien venir, se moque éperdument, tant que sa toupie tourne, il s’accable d’injures et rit. D’autres ont fait la scène, lui l’engloutit. Les preuves d’amour l’indiffèrent ; il les garde dans le ventre à l’abri, chaudes, rangées, c’est sa façon de faire, d’éternuer ce qui le tient. Il digère sa tranquillité d’âme, l’exporte à qui veut, se roule dans les phrases et les rend en boule.

 

Il brise son idée. C’est son pari à lui. Sinon il désespère.

 

 

*

 

 

Le père n’a plus que les os et sa main pour pleurer. Le sexe pend, blanc, un œil neutre, la peine est immense. L’homme doux a quitté la terre. Il est dans son lit comme un mort. Il attend qu’on l’enlève. Dans une heure il est froid. Quand les marchands sont entrés dans la chambre, le corps raide du mannequin de cire a tourné de sorte que l’enfant s’est plaqué contre l’armoire pour ne pas être frappé. Depuis il rêve. Du blanc s’est glissé, du blanc soustrait à l’image qui tourne, des lamelles de blanc dans l’accumulation des jours.

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03/10/2013 98 pages 12,00 €
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