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Des morts qui marchent
Ma vie bascula du tout au tout un mercredi matin ensoleillé du mois d’octobre, quand je découvris que mon voisin était un mort-vivant.
La journée avait pourtant débuté on ne peut plus normalement : ma mère me harcelait pour que j’enfile mes vêtements, et ma sœur Emily, cinq ans, pleurait parce que le câble était en panne et qu’elle ne pouvait donc pas regarder Dora l’exploratrice. Moi, j’étais dans la salle de bains, à essayer de plaquer sur mon crâne cette mèche rebelle qui s’obstinait à s’y dresser.
Mon nom complet est William Karl Ritter, mais tout le monde m’appelle Will. J’ai douze ans, et il serait difficile d’être plus « dans la moyenne » que moi. Je ne suis ni maigre ni gros, pas particulièrement grand, mais pas petit non plus. Et si je ne suis pas moche comme un pou, on ne peut pas dire que je sois très beau. Ce qui me singularise, en fait, c’est que je suis roux. J’ai le teint pâle et les yeux verts de ma mère, et les taches de rousseur et les cheveux poil-de-carotte de mon père, qui qualifiait toujours cette tignasse « d’héritage familial ». Il prétendait en effet que le premier Ritter à avoir mis les pieds sur le sol américain avait déjà les cheveux roux, caractéristique qui s’était ensuite transmise de génération en génération. Si cette histoire est avérée, c’est quand même un étrange héritage ! Qui a déjà entendu parler d’un Allemand aux cheveux roux, hein ?
J’ai toujours détesté être roux, et c’est encore le cas aujourd’hui. Enfin, plus ou moins…
On peut dire qu’il y avait pas mal de choses que je ne supportais pas à cette époque. Le collège, par exemple. Je m’ennuyais en cours. Et je détestais qu’on m’appelle « Rouquin ». Le pire, c’était quand les durs du bahut s’amusaient à me plaquer au sol et à jouer à « Relie les points » avec un stylo. Les points en question, c’étaient mes taches de rousseur…
Mais ce qui me faisait le plus souffrir, c’était que mon père ne soit pas là pour intervenir et régler les problèmes.
– Le bus arrive dans dix minutes, Will ! lança ma mère depuis le rez-de-chaussée.
(…) J’attrapai mon sac à dos suspendu près de la porte et sortis.
– Passe une bonne journée ! s’écria ma mère.
Ma journée fut tout sauf bonne.
Je sautai au bas des marches, laissant la porte claquer dans mon dos. J’étais bien déterminé à atteindre l’arrêt de bus, tout en haut de la colline, en moins de trente secondes chrono. Mais je n’étais même pas arrivé sur le trottoir que le vieux Pratt m’appelait. Au ton de sa voix, je devinai qu’il était en pétard. Comme d’hab’, quoi !
Je poussai un grognement muet :
« Qu’est-ce que j’ai encore fait ? »
Et, à la seconde où je me tournai vers lui, école, foot et arrêt de bus, tout ça fut balayé d’un coup de mon esprit.
– Hé, gamin, t’as encore mis tes ordures avec les miennes !
Ça faisait environ deux ans que le vieux Pratt avait emménagé juste à côté de chez nous. Sa maison était pratiquement identique à la nôtre, c’est-à-dire pratiquement identique à toutes les autres maisons de Grape Street, notre rue, cette dernière étant pratiquement identique à toutes les autres rues de Manayunk, dans la banlieue de Philadelphie, là où on habitait : une enfilade de maisons à un étage, avec un bardage en vinyle, des fenêtres carrées et un toit plat en bitume. « Le standard Manayunk », comme l’appelait ma mère.
Extraits
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