Lorsque débute la Révolution, il nexiste pas de définition explicite du Français. Sous lAncien Régime, cest incidemment, dans les conflits juridiques qui naissent de problèmes de succession, que se développe une jurisprudence définissant la frontière entre le Français et létranger ou plutôt entre le Français et laubain, suivant le terme juridique de lépoque 1. Dun côté, le droit daubaine permet au Roi de sapproprier lhéritage de tout étranger qui meurt sans héritier français 2. De lautre, un enfant de Français ne peut succéder à ses parents sil est considéré comme aubain, cest-à-dire sil est né à létranger. Les parlements - les tribunaux de lépoque -, saisis par des plaignants qui contestent leur qualité daubain, font, en tranchant ces différends, évoluer la définition du Français 3.
Au début du xvie siècle, trois conditions sont encore nécessaires pour être reconnu français : être né dans le royaume de France ; être né de parents français ; et demeurer dune manière permanente dans ce royaume 4. Mais par un arrêt du 23 février 1515, le parlement de Paris introduit le jus soli dans le droit français 5 : indépendamment de lorigine des parents, qui tous deux peuvent donc être étrangers, la naissance en France donne la capacité de succéder et donc la nationalité française, à condition cependant de résider sur le territoire du royaume 6.
A la fin du xvie siècle, le lien de filiation permet à son tour de transmettre la qualité de Français, sans considération du lieu de naissance. Le 7 septembre 1576, le parlement de Paris rend un arrêt solennel, larrêt Mabile 7. Cet arrêt reconnaît comme française la fille née en Angleterre de deux parents français et lui accorde donc le droit de leur succéder. Linstallation de la requérante en France, même après le décès de ses deux parents, montrait, selon la cour, quelle avait conservé " lesprit de retour " ; elle consentait dailleurs, au cas où elle quitterait le royaume, à être privée de tous les biens lui venant de ses aïeux 8. Progressivement, cette décision fait jurisprudence et le lien de filiation exigé sassouplit 9. Mais autant que la naissance sur le territoire du royaume ou le lien de filiation, la résidence dans le royaume - non seulement dans le présent mais également pour lavenir - est une condition explicitement exigée pour se voir attribuer la qualité de Français, car elle est le signe tangible de lallégeance au roi.
A ceux enfin que la jurisprudence ne définit pas comme Français, aux étrangers donc, le roi a le pouvoir daccorder - pouvoir exclusif depuis François Ier - des lettres de naturalité 10. Cette naturalisation transforme létranger en Français et le relève de lensemble de ses incapacités, notamment celles de succéder ou de léguer ; elle lui permet de jouir, suivant la formule de ces lettres, des mêmes " dignités, franchises, privilèges, libertés, immunités et droits que les vrais et originaires sujets ". Selon létude de Peter Sahlins, le roi en accorde en moyenne quarante-cinq par an, soit environ six mille entre 1660 et 1789 11.
Extraits
Commenter ce livre