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Qu'est-ce qu'un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution

Patrick Weil

Objet de croyance plus que de connaissance, sujet de nombreux affrontements politiques et juridiques, la nationalité française n'avait jamais vu son histoire reconstituée, analysée, interprétée. Avec cet ouvrage, voici chose faite. Deux siècles de batailles mettant en scène Napoléon, Clemenceau, de Gaulle, mais aussi des figures ignorées, Tronchet, Barthou, Honnorat, René Cassin ou Pierre-Henri Teitgen, nous font découvrir la face cachée d'une autre histoire de France. 1803 : contre l'avis de Napoléon, en rupture avec le droit du sol qui dominait sous l'Ancien Régime et durant la Révolution, le Code civil fait prévaloir le principe du droit du sang. La nationalité se transmet désormais, comme le nom de famille, par la filiation. 1889 : la France, devenue pays d'immigration, attribue sa nationalité aux enfants nés et éduqués en France. C'est le retour du jus soli. En 1927 enfin, démographie oblige, la nationalité s'ouvre massivement aux immigrés qui le désirent, par la naturalisation ou le mariage. Chacune de ces étapes n'a été franchie qu'au prix d'une régression des droits de certains Français : en 1803, la nationalité est un attribut de l'homme, au détriment de la femme (qui devient étrangère en épousant un étranger). En 1889, un statut de plus en plus infériorisé est imposé aux musulmans d'Algérie. En 1927 enfin, l'ouverture de la naturalisation a pour contrepartie la restriction des droits des naturalisés. Mais surtout, à partir de 1940, se produisent de véritables " crises ethniques " de la nationalité : antisémite sous Vichy, racialiste à la Libération, anti-musulmane plus récemment. Aujourd'hui, ces crises difficilement surmontées, le droit de la nationalité française réalise peu ou prou le programme que Napoléon Bonaparte lui avait fixé : embrasser sans discrimination par le sol, la filiation, le mariage ou la résidence - le plus de Français possible.

Par Patrick Weil
Chez Grasset & Fasquelle

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Genre

Histoire de France

Lorsque débute la Révolution, il n’existe pas de définition explicite du Français. Sous l’Ancien Régime, c’est incidemment, dans les conflits juridiques qui naissent de problèmes de succession, que se développe une jurisprudence définissant la frontière entre le Français et l’étranger ou plutôt entre le Français et l’aubain, suivant le terme juridique de l’époque 1. D’un côté, le droit d’aubaine permet au Roi de s’approprier l’héritage de tout étranger qui meurt sans héritier français 2. De l’autre, un enfant de Français ne peut succéder à ses parents s’il est considéré comme aubain, c’est-à-dire s’il est né à l’étranger. Les parlements - les tribunaux de l’époque -, saisis par des plaignants qui contestent leur qualité d’aubain, font, en tranchant ces différends, évoluer la définition du Français 3.
Au début du xvie siècle, trois conditions sont encore nécessaires pour être reconnu français : être né dans le royaume de France ; être né de parents français ; et demeurer d’une manière permanente dans ce royaume 4. Mais par un arrêt du 23 février 1515, le parlement de Paris introduit le jus soli dans le droit français 5 : indépendamment de l’origine des parents, qui tous deux peuvent donc être étrangers, la naissance en France donne la capacité de succéder et donc la nationalité française, à condition cependant de résider sur le territoire du royaume 6.


A la fin du xvie siècle, le lien de filiation permet à son tour de transmettre la qualité de Français, sans considération du lieu de naissance. Le 7 septembre 1576, le parlement de Paris rend un arrêt solennel, l’arrêt Mabile 7. Cet arrêt reconnaît comme française la fille née en Angleterre de deux parents français et lui accorde donc le droit de leur succéder. L’installation de la requérante en France, même après le décès de ses deux parents, montrait, selon la cour, qu’elle avait conservé " l’esprit de retour " ; elle consentait d’ailleurs, au cas où elle quitterait le royaume, à être privée de tous les biens lui venant de ses aïeux 8. Progressivement, cette décision fait jurisprudence et le lien de filiation exigé s’assouplit 9. Mais autant que la naissance sur le territoire du royaume ou le lien de filiation, la résidence dans le royaume - non seulement dans le présent mais également pour l’avenir - est une condition explicitement exigée pour se voir attribuer la qualité de Français, car elle est le signe tangible de l’allégeance au roi.


A ceux enfin que la jurisprudence ne définit pas comme Français, aux étrangers donc, le roi a le pouvoir d’accorder - pouvoir exclusif depuis François Ier - des lettres de naturalité 10. Cette naturalisation transforme l’étranger en Français et le relève de l’ensemble de ses incapacités, notamment celles de succéder ou de léguer ; elle lui permet de jouir, suivant la formule de ces lettres, des mêmes " dignités, franchises, privilèges, libertés, immunités et droits que les vrais et originaires sujets ". Selon l’étude de Peter Sahlins, le roi en accorde en moyenne quarante-cinq par an, soit environ six mille entre 1660 et 1789 11.

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03/04/2002 401 pages 21,90 €
Scannez le code barre 9782246605713
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