#Roman francophone

Seuls les poissons

Françoise Kerymer

A Paris, Marie ressasse des pensées solitaires. Alex, son mari, a rejoint Corfou pour se consacrer au piano, et ses filles ont leurs propres défis à relever. Sarah, mère célibataire, dirige seule l'entreprise familiale depuis la disparition de son compagnon. Quant à Elsa, son "petit phare de l'autre côté de l'Atlantique", elle a intégré une unité de recherche en médecine. Mais le passé refait brutalement surface. Et de Paris à New York, de Corfou à la Bretagne, ce sont les vies de tous les membres de la famille qui vont soudain basculer.

Par Françoise Kerymer
Chez Pocket

0 Réactions |

Editeur

Pocket

Genre

Littérature française (poches)

NEW YORK
Janvier


Maintenant, quand je monte chez moi, mon cœur bat plus fort qu'il ne devrait.
Je sais qu'il est là, je sais qu'il m'attend.
Enfin... Qu'il m'attend... Disons qu'il s'attend à ce que je rentre.
Je grimpe les marches de bois verni avec une sorte d'appréhension indéfinissable. Ma voisine du dessous, qui ne ferme jamais sa porte, m'interpelle comme chaque soir pour m'inviter à prendre un drink avec elle. « Allez, Elsa, viens donc. Juste un instant… J'ai une voisine française et je ne la vois jamais ! Tu me prives du plaisir de te faire les honneurs de notre bonne ville de New York… »
Comme chaque soir, je lui réponds : « Demain ! », tout en la félicitant pour la bonne odeur de curry, qu'elle répand généreusement dans l'immeuble. Ce petit cérémonial de fin de journée me rassérène un peu. Mais ensuite, les quelques marches qui restent jusqu'à mon studio sont terriblement difficiles à monter.

L'hôpital dans lequel je travaille est une sorte d'usine à douleur. Toutes mes heures y sont occupées à essayer de secourir ces malheureuses créatures qui échouent aux urgences. Une épreuve pour elles. Et pour moi. Au départ, le patron que je connaissais devait m'intégrer dans son équipe. Et puis : « Oh vraiment, sorry, Elsa ! Votre place ne sera pas libre avant février. Un de nos étudiants a pris du retard. On aurait dû vous prévenir, mais il y a sûrement eu un gag… Et voilà, vous êtes là ! »

Vraiment sorry, oui. Parce que moi, pendant ce temps-là, j'avais traversé l'Atlantique. Alors on a passé un deal : je patiente jusqu'à février, mais il se débrouille pour que mon contrat avec le Bronx Hospital Center commence dès maintenant, là où ils ont besoin de monde. Hélas, dans le service des urgences.
Je n'ai pas le choix et pas les moyens de faire la fine bouche : même si mon sujet de recherche mérite tous les sacrifices, il faut bien vivre. Mais pour se faire pardonner, il me prête le studio de sa fille, partie étudier à San Francisco, dans le charmant quartier de Greenwich Village. « Tout va bien ! Vous verrez, c'est cosy chez elle. Et les petits immeubles en brique rouge plaisent beaucoup aux Français, ils les trouvent romantiques, ça leur rappelle l'Europe. Il y a même des arbres dans sa rue, comme chez vous ! Et puis, aux urgences, vous savez, vous apprendrez des choses. Vous ne perdrez pas votre temps. »
Ça non, je ne perds pas mon temps. Chaque seconde de ma journée est on ne peut mieux rentabilisée. Puisque je suis chargée de veiller sur les malades à leur arrivée, jusqu'à ce qu'ils soient pris en main par les spécialistes, c'est constamment le stress. Et moi, le stress, j'ai horreur de ça.

Plusieurs fois, j'ai eu envie de tout laisser tomber et de rentrer à Paris.
Mais. Paris…
Paris est brusquement devenu une ville hostile. En quelques mois, tout a éclaté. Comme s'il était tombé une bombe sur la famille Steinitz, pulvérisant son bien-être tranquille. Maman, seule désormais, qui passe son temps à s'abrutir dans ses bouquins pleins de poussière. Papa affreusement absent, isolé dans son île grecque, avec ses partitions et son piano.
Et puis…
Et puis surtout : Sarah… Sarah et son bébé. Ma sœur et un bébé ! Le fils de Gabriel.
Gabriel, qui a à peine jeté un œil sur moi, la seule fois où nous nous sommes rencontrés. Moi, la sœur de Sarah, « Bonsoir, mademoiselle ».
Gabriel. Qui a fait un enfant à ma sœur. Un enfant sans père. Un enfant aux yeux gris, très beaux, pareils aux siens, je le sais, Sarah m'envoie des photos. Et qui a disparu, sans laisser de trace.
Oui, je suis mieux à des milliers de kilomètres.

Commenter ce livre

 

24/10/2013 475 pages 7,95 €
Scannez le code barre 9782266241090
9782266241090
© Notice établie par ORB
plus d'informations