UN PROLOGUE QUÉBÉCOIS
Tout a commencé, comme souvent, à Québec. J’étais invité, en tant qu’auteur, à être juré au Festival de la chanson francophone de la ville. Je ne suis pas capable de rester assis plus d’une heure sur une chaise, je suis un mauvais juré. La dernière fois que j’ai accepté de faire partie d’un jury, c’était au Festival musical et chorégraphique de Besançon, il y a bien quarante ans. Ça se passait dans un multiplexe, une des salles était dévolue aux films en compétition, la deuxième à Rambo II, et la dernière à Suédoises en folie, un film classé triple X… Un juré se doit d’assister jusqu’à la fin à toutes les projections. Au milieu d’une sorte de Scopitone d’opéras en play-back est-allemand, j’ai discrètement quitté mon siège pour jeter un coup d’œil à ces fameuses Suédoises avec l’intention de réintégrer ma salle encore plus discrètement que j’en étais sorti. Tout à coup, catastrophe, un type au dernier rang a un coup de sang, se chope une embolie et s’affale sur son siège, plus moyen de m’enfuir : police, pompiers, Samu, pris la main dans le sac je suis viré de Besançon, persona non grata dans le Doubs, gratifié d’un quart de colonne dans les pages « Culture » du Clairon de Franche-Comté.
Manifestement, il y a quarante ans au Québec, on ne lisait pas le Clairon. Me voici donc invité dans la ville de Montcalm, m’efforçant de bien me comporter et de rester tranquille pendant toute la durée de l’événement. J’allais hier encore écouter des Inuits sous leurs tentes, des percussions yupik et des tambours mohawk, les gens du festival, autant qu’ils le peuvent, veulent assimiler à la francophonie les minorités que le Canada a pu jadis coloniser.
Il s’agissait aussi d’écouter toutes sortes de chanteurs, de chanteuses, et alors d’élire celui ou celle qui gagnerait le titre d’interprète de l’année, puis le prix du meilleur groupe et du meilleur auteur, il y avait encore toutes sortes d’accessits moins glorieux, décernés, non par le jury, mais par des commanditaires, celui des engrais « Vitafaux, les engrais qu’il vous faut », la médaille « Maison Célestine, le bon fromage en grains », et sans doute des primes et des paniers garnis, les concurrents venaient de si loin qu’il fallait contenter tout le monde. Au début j’écoutais tout. Je courais de droite à gauche, j’assistais aux concerts que donnaient tous ces gens, des néo-troubadours aux rockers les plus durs, des bardes nostalgiques de Félix Leclerc à ceux, électroniques, du « Bolduc revival », qui jouaient en hommage à cette Janis Joplin d’avant l’électrophone, l’idole de ma grand-mère, Georgina Ruel, du lac Etchemin, l’Édith Piaf du Nord, la première « soul singer », personnage fascinant qui allait disparaître dans un très banal accident de voiture. Mais au bout d’un moment tous ces chanteurs ont fini par vraiment m’ennuyer. Je n’en pouvais plus d’entendre ces couplets plus ou moins bien torchés, ces refrains indigents, ces chansons mal écrites ou bien trop bien foutues, de rester des heures cloîtré dans des salles surpeuplées à attendre qu’un cousin de Luc Plamondon fasse place à un Lou Reed célèbre à Saint-Jérôme. Ces jeunes gens, ces jeunes filles étaient bien sympathiques, alignant sagement des répertoires honnêtes, mais qui allait donc réellement m’étonner, qui allait me surprendre, me dire « Excusez-nous, rendez-nous les clés, l’hôtel California ne fait plus crédit, il nous faut de l’espace, on va se libérer de tous vos carcans, de vos strophes, de vos rimes, du balai s’il vous plaît »…
Extraits
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