Dans l’atelier de Mérimée
Le pouvoir de l’art
Comme d’autres œuvres de Mérimée – Le Vase étrusque (1830) ou La Vénus d’Ille (1837) – , Les Âmes du purgatoire illustrent la trouble fascination qu’exercent les œuvres d’art sur l’homme dans certaines circonstances. Publié pour la première fois le 15 août 1834 dans la Revue des Deux Mondes, ce récit tire son titre d’un tableau du peintre espagnol Luis de Moralès, censé représenter les tourments endurés par les âmes des justes avant d’accéder au paradis, afin qu’elles puissent se purifier de leurs péchés. Cette toile détermine le destin du héros de la nouvelle, don Juan de Maraña. Après l’avoir impressionné dans l’enfance en lui inspirant une piété sans lendemain, sa force pathétique provoque son repentir à l’âge adulte. De la débauche à l’expiation salvatrice, cette représentation picturale, qui ouvre et clôt de façon emblématique la narration, gouverne le cours de cette vie édifiante.
À la croisée des vocations
Plus qu’à la peinture pourtant, c’est à l’archéologie et à l’architecture que la nouvelle Les Âmes du purgatoire rend hommage, comme pour illustrer la vocation de l’auteur qui, à la date de parution du texte, vient tout juste d’être nommé inspecteur des monuments historiques. Chargé de recenser les édifices remarquables de la nation, de consulter leurs archives et de veiller à leur restauration, l’écrivain se passionne pour les beaux-arts, les antiquités et le folklore régional. Influencée par les voyages qu’il accomplit dans le Midi, le Centre, l’ouest de la France ou encore en Corse et en Espagne, son œuvre porte la marque de cette curiosité esthétique, historique et géographique.
Le livre de pierres
Plus particulièrement, ce sont les pierres des bâtiments de Séville qui, lors de son séjour en Andalousie, ont révélé à l’écrivain l’histoire du chevalier de Mañara (1627-1679). À Grenade, certains monuments ont gardé la mémoire de ce riche seigneur sévillan qui, au terme d’une existence dissolue, s’est converti à l’ordre des Frères de la Charité : aujourd’hui encore, sur les traces de Mérimée, le touriste peut visiter l’hospice et la chapelle baroque que ce personnage dédia à sa confrérie pour expier ses péchés, et peut-être lire sur sa tombe, gravée dans la pierre du XVIIe siècle, l’épitaphe qui lui est consacrée : Aqui yace elpeor hombre qui fué en el mundo.
Aux sources du mythe de Don Juan, une double légende sévillane
Le récit de Mérimée se nourrit du mythe de Don Juan, le grand seigneur libertin qui a fasciné, entre autres, Molière (avec Dom Juan ou le Festin de pierre, 1665) et Mozart (avec Don Giovanni, 1787). Au début des Âmes du purgatoire, Mérimée propose un pacte de lecture régi par une démarche archéologique : il s’agit pour lui de clarifler la généalogie du mythe de Don Juan, en présentant ses deux sources historiques. Ancrées toutes deux dans la Séville du Siècle d’or, celles-ci se distinguent par leur fin. Don Juan Tenorio, qui a inspiré Mozart et Molière, est foudroyé par le courroux divin, tandis que don Miguel de Mañara, dont s’inspire Mérimée, connaît la rédemption. Au seuil de son texte, l’écrivain précise de quelle fable il a fait le choix et expose avec un scrupule d’expert son modus operandi :
Extraits
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