#Roman francophone

Au nord du capitaine

Catherine Safonoff

Une femme est tombée sous le charme d'une île qui, longtemps, lui prodigue ses dons simples. Promenades par les sentiers solitaires, musique d'une autre langue, la mer, les bateaux. Un jour, dans un café du port, la visiteuse rencontre le Capitaine Rouge. C'est un homme de sac et de corde, mais sa voix et sa prestance ravissent l'étrangère. S'ensuivent les péripéties coutumières des amants - promesses, mensonges, chassés-croisés mélodramatiques, bagarres contre les moulins à vent. A l'école du Capitaine Rouge, ce maître de l'envers des choses, la narratrice perd quelques illusions. Ce qui sauve la passion humaine, c'est sans doute la mémoire. Demeurent à la fin les objets, témoins humbles et fidèles. Demeurent les lieux, parfaits, d'une aventure triviale - une maison et un jardin dans le pays gris et, là-bas, l'île aux sortilèges, plus vraie maintenant qu'elle a des ombres. Au nord du Capitaine est le quatrième roman de Catherine Safonoff.

Par Catherine Safonoff
Chez Editions Zoé

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Genre

Littérature française

 

Ce n’est pas un jeu de trois mailles
Où va corps et peut-être l’âme.
François Villon

 

Je dormais. L’orage a d’habitude un effet apaisant sur moi, mais cette fois il pleuvait à l’intérieur du logis. Le Capitaine Rouge bondit hors du lit, proféra plusieurs choses qui me parurent toutes lâchées à la fois et décampa. Vers le matin, mon sommeil est très profond. Il faut alors beaucoup pour m’émouvoir. Je fus pourtant sensible au départ précipité du Capitaine, plus à cela qu’à l’orage lui-même. Il avait allumé la lumière et fait une véhémente remarque à propos d’électricité. Je vis que de l’eau ruisselait par l’interrupteur. Je me levai à contrecœur, trouvai une boîte d’allumettes sèches, allumai une bougie et dévissai le fusible. Il me sembla que le long du mur, sous la partie haute du toit, l’eau pénétrait moins. Somnambuliquement je poussai des affaires de ce côté et retournai me coucher, redoublant sur moi la couverture bleue, heureusement très douce et épaisse. Là-dessous j’écoutai la batterie de l’averse, percussions claires sur les objets durs, table, évier, casseroles, tambourinements sourds sur les choses molles, vêtements, tapis. Les bardeaux du toit gonflent, me disais-je, les fentes diminuent. Ici on n’a pas l’habitude de ce genre de chose, avait dit le Capitaine Rouge avant de déserter. Mais je ne me sentais pas abandonnée. J’ai écouté vaguement, de plus en plus vaguement le tonnerre s’éloigner de l’île, une grosse goutte a mouché la chandelle et je me suis rendormie.

Fait remarquable, signe d’un ange, noté confusément sous la couverture bleue et constaté quand je me levai : il n’avait pas plu où j’avais dormi. Juste à côté le lit du Capitaine était trempé, ainsi que pratiquement tout dans le bungalow, mais la surface du toit correspondant aux deux mètres carrés occupés par mon sommeil avait résisté. Les exemples abondent, depuis que j’ai rencontré le Capitaine Rouge, de l’intervention d’un ange soucieux de moi. Je revissai le fusible et fis chauffer de l’eau. Je bus une tasse de nescafé et entrepris de réparer un peu la situation. Le ciel était gris, la cour une mare boueuse. Les bougainvillées s’égouttaient froidement le long de ma nuque. Heureusement, la propriétaire était absente, elle n’aurait fait qu’ajouter au désordre. Mais ses chiens étaient là, ses chiens qui s’étaient pris pour moi d’une affection tenace. Les deux chiennes et les deux chiots tout crottés jappaient et frétillaient gaiement, fixant sur moi des yeux brillants pleins de confiance. Je mis un pull-over par-dessus mon pyjama et j’allai remplir les écuelles.

Le Capitaine Rouge refît surface vers 10 heures. Il m’informa que sa barque n’avait pas coulé et s’enquit de ce qu’il pouvait faire pour moi. Ne pas être dans mes pattes, répondisse assez sèchement. Un peu de sécheresse n’était pas de trop. Bas de pyjama retroussé, chaussée de tongs, je maniai le balai, regrettant la poussière. Je répartis des épaisseurs de journaux sur le sol, je chassai répétitivement les chiens, je roulai le tapis dans un coin. Respectant la consigne de la ménagère, le Capitaine se coucha sur le matelas le long du mur et, la tête sur mon sac de voyage, s’endormit aussitôt. J’étendis ou plutôt jetai sur lui non pas la bonne couverture bleue mais le plaid jaune et noir humide. Le Capitaine Rouge a toujours chaud, il ne s’apercevrait ni de cette humidité ni de ma mauvaise humeur. Où suspendre les choses ? Il recommençait à pleuvoir. J’avais encore cinq jours dans l’île, assez pour m’enrhumer. Ah, mais l’ange qui cette nuit avait étendu son aile au-dessus de mon lit veillerait sur mes cinq derniers jours.

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31/08/2002 226 pages 18,80 €
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