Prologue
La fin des conquérants
Ce jour-là, comme à l’ordinaire, Amalaric, roi de Tolède, chef suprême de la nation wisigothique, avait rossé sa femme. C’était d’ailleurs la seule jouissance qu’il prenait avec elle et il ne s’en privait pas.
Il avait cogné plus fort que d’habitude. Quand il avait quitté la chambre conjugale, Clotilde sanglotait à s’en étouffer, couchée sur le sol, du sang coulait de son nez et ses lèvres1. Cette fois, il ne pourrait pas dissimuler qu’il l’avait frappée.
Peu importait. La reine était si impopulaire que personne ne s’aviserait de la plaindre. N’incarnait-elle pas tout le malheur du peuple wisigoth et n’était-il pas juste qu’elle payât pour les souffrances que les siens, ces Francs maudits, avaient infligées au plus noble des clans germaniques ?
Pourtant, seize ans plus tôt, quand, en 515, le roi ostrogoth Théodoric de Ravenne avait arrangé le mariage de son petit-fils de Tolède, Amalaric2, et de la fille de Clovis, cette union était porteuse d’espoirs et de promesses des deux côtés des Pyrénées. La rancœur d’Amalaric avait tout gâché.
Cette haine dont l’infortunée Clotilde faisait maintenant les frais s’enracinait dans un passé proche encore, donc douloureux ; elle remontait au printemps 507 qui avait vu la fin de la puissance wisigothique en Gaule, et la disparition du fabuleux royaume d’Aquitaine.
Ce printemps 507, Amalaric de Tolède s’en souvenait comme du pire cauchemar de sa vie. Il lui suffisait d’y repenser pour ressentir la peur, la honte, le désespoir qui l’avaient assailli à l’époque, petit garçon de sept ans.
Euric le Grand, l’aïeul glorieux qui avait porté la puissance de son peuple à son zénith, était mort en 485, sans avoir réussi cette annexion du nord de la Loire qui était son but. La Romania, l’ultime enclave gallo-romaine coincée entre Seine et Loire, existait encore, et cela représentait, à ses yeux, un défi en même temps qu’une anomalie.
Malgré toutes les persécutions déclenchées contre lui, il n’était point non plus parvenu à éradiquer le catholicisme d’Aquitaine, ni à imposer cette foi arienne, négation de la divinité du Christ, qu’il professait en fanatique. Les fidèles de Rome existaient encore.
Euric, dépité, laissa l’achèvement de cette tâche à son fils, Alaric II. Celui-ci n’avait ni l’étoffe d’un conquérant ni celle d’un persécuteur. Au lieu de profiter de la déliquescence de la Romania, privée de son bras armé depuis la mort3 du roi franc Childéric de Tournai, il se contenta de gérer l’héritage paternel, puis, dans un souci d’apaisement, de renouer le dialogue avec l’épiscopat catholique, lui restituant la plupart des sanctuaires confisqués par son père. Ce choix rétablit en Aquitaine et dans les territoires annexés une certaine paix civile mais donna à la Romania le temps de se relever et au jeune Clovis, le fils de Childéric, d’asseoir sa puissance. Vite devenue redoutable.
Extraits
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