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Genre
Sciences politiques
Prologue / L’enseignant et les apprentis cosmopolites
« Personne ne peut écrire un livre.
Pour qu’un livre existe véritablement,
Il faut l’aurore et le couchant, des siècles,
Des exploits, la mer qui sépare et qui unit. »
Jorge Luis Borges, « L’Arioste et les Arabes »,
L’Auteur et autres textes, Paris, Gallimard, 1982.
Un livre n’est pas seulement l’aboutissement d’un parcours intellectuel de recherche, il est également le fruit de rencontres et d’expériences vécues. C’est pour cette raison qu’il est impossible de trouver une seule justification à son écriture. Pour autant que je puisse m’en souvenir, cet ouvrage s’est tout d’abord alimenté des observations qui ont accompagné les responsabilités pédagogiques d’accueil et de suivi des étudiants participant aux échanges interuniversitaires Erasmus que j’ai assumées, avec d’autres collègues, au sein de la Faculté des sciences humaines et sociales-Sorbonne de l’université Paris Descartes. Ce n’est qu’au fil du temps que cette population est devenue un observatoire privilégié pour mettre en chantier une sociologie de la socialisation cosmopolite.
En 2000, on me confia la responsabilité d’un accord Erasmus avec une université de l’Italie du Sud. D’autres échanges ont suivi depuis, j’ai réalisé des missions d’enseignement dans plusieurs pays européens et rencontré de nombreux étudiants. J’ai accueilli ceux venant des universités partenaires et invité nos étudiants parisiens à entreprendre un séjour de formation à l’étranger. Dès les premiers entretiens pédagogiques pour préparer leur séjour, je me suis rendu compte que les ambitions scolaires et professionnelles ne pouvaient à elles seules résumer les multiples expériences vécues par les jeunes au cours d’un séjour à l’étranger. Puis vint le film L’Auberge espagnole dont on parlera longuement plus loin. L’idéal d’un séjour épanouissant, fait de rencontres chaleureuses et d’expériences amoureuses dans un milieu européen cosmopolite, avait trouvé sa caisse de résonance, son storytelling. Je vis le film dès sa sortie et me dis que mes étudiants pouvaient se reconnaître dans certains de ses traits. Mais quels éléments susceptibles d’une explication sociologique avaient été mis en narration par ce film ? Je commençai alors à discuter, avec les étudiants candidats, d’autres éléments que de crédits ECTS (European Credits Transfer System), de maquettes, de cours, du contrat pédagogique. Et peu à peu, je commençai à orienter mon regard vers les éléments de cette expérience susceptibles de me faire comprendre dans quelle mesure les étudiants se servaient de ce séjour pour mettre à l’épreuve et déployer leur capacité à vivre une expérience cosmopolite. Voici donc, pour familiariser le lecteur, quatre témoignages exemplaires, tirés des notes que j’avais pris l’habitude de prendre.
À la rentrée 2003, une étudiante vint me voir pour préparer son séjour d’un an à Rome. Je la questionnai sur les raisons de son départ. Après avoir en vain essayé de me convaincre de l’importance capitale de ce séjour pour sa réussite professionnelle, elle prit la peine de m’envoyer ensuite un mail dans lequel elle justifiait son désir de partir en ces termes : « Voyager, voir d’autres horizons, découvrir d’autres moyens de vivre, de se comporter. Apprendre, comprendre, s’enrichir, s’ouvrir, s’adapter, autant de qualités que le voyage tout à la fois nécessite et suscite. » Les motivations avancées par cette étudiante puisaient dans un imaginaire du voyage, bien plus ancien que l’imaginaire de l’expérience Erasmus, dont des disciplines comme l’histoire ou la littérature ont retracé la genèse.
Extraits
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