#Roman francophone

Le syndrome de Stendhal

Isabelle Miller

Syndrome de Stendhal : réaction physique, avec palpitations et vertiges, causée par une émotion esthétique intense. Dans un premier roman délicieusement ironique, Isabelle Miller, auteur d'une thèse sur la déclaration d'amour, transpose ledit syndrome de Stendhal au sentiment amoureux. Au fil de courtes séquences qui sont autant de tableaux, elle déroule la vie de ses personnages dans leur cadre professionnel : Paul est scénographe, Mélanie danseuse, Marta conservateur au musée des Offices à Florence, Jallabert directeur au ministère de la Culture... des gens plutôt malheureux dont les vies sonnent creux. Jusqu'à ce que survienne la rencontre : Paul tombe amoureux de Marta, le cours de son existence soudain s'infléchit et sa galaxie s'en trouve bouleversée. L'irruption de la catastrophe, car l'histoire finit mal, laissera la porte grande ouverte aux émotions et aux questions véritables. Sous couvert d'observations légères, Isabelle Miller interroge l'amour et ce qu'il en reste lorsqu'on se contente d'en rêver et de le conserver à l'abri de la poussière - comme dans un musée.

Par Isabelle Miller
Chez Sabine Wespieser Editeur

0 Réactions |

Genre

Littérature française

Paul répondit qu’il ne quitterait pas Mélanie. Angèle trem- blait du menton. Elle portait un soutien-gorge jaune avec une perle cousue entre les seins. Elle a dit que sinon elle partirait et elle est partie.

Il n’y avait pas eu qu’une Angèle dans la vie de Paul et ce n’était pas la première fois que Paul était quitté sur un malen- tendu. C’étaient les femmes qui voyaient en lui un homme dis- ponible, au départ. Elles ne le voulaient pas comme ami. Elles ne voulaient pas croire qu’il était déjà engagé. Elles le voulaient, et Mélanie n’avait pas réussi à le rendre, aux yeux des autres femmes, transparent, comme le sont certains hommes mariés.

Angèle avait dit :

- Tout ça, c’est n’importe quoi, en réalité. S’il n’y avait pas eu la petite, tu n’aurais jamais épousé Mélanie. Et elle avait claqué la porte, comme les autres. 

Après la démission d’Angèle, Paul éprouva une sensation de manque dont il chercha un peu le nom pour se désen- nuyer, entre soulagement et amertume, allongé à regarder le plafond de la chambre, une pièce à peine plus grande que le lit, avec son rideau raide doublé d’occultant et son échan- tillon de gel douche sur le rebord de la baignoire. Angèle rejoignait les autres femmes qui avaient émaillé sa vie de petits éclats d’espoir. Il essaya de faire l’inventaire de leurs noms. Il chercha celui de la fille brune d’autrefois qui lui faisait l’amour en allemand. Les cheveux longs, un nom en a ; une fille au pair embauchée lorsque Toscane était toute petite : Monika, Paprika, quelque chose comme ça, ta-ta/ta. Le premier nom qui lui revint : Pushpa. Mais Pushpa rien à voir, Pushpa il était petit garçon, Pushpa elle venait le cher- cher à la sortie de l’école, en sari violet de princesse. 

- Qu’est-ce que ça veut dire, « Pushpa » ? demande-t-il en attendant que le feu passe au rouge sur l’avenue. 

Elle répond d’un sourire mais garde le silence pendant tout le trajet. 

C’était une princesse muette. Elle ne parlait pas le français. Un jour, elle l’avait salué comme les princesses saluaient les rois dans les contes, avec les yeux, les deux mains jointes en supplique devant elle, puis elle avait disparu. Longtemps après il avait reçu une carte postale de Calcutta qui disait : « Pushpa signifie fleur » et qu’elle ne l’oublierait jamais. Angèle avait dit : Oublie-moi. L’Allemande avait dit Vergissmeinnicht, ne m’oublie pas. Loubka ? Non, trois syllabes, ta-ta/ta. Anou- shka, Nastassia, quelque chose comme ça, qui grattait à la porte de la réserve. Laetitia ? Non, ça c’était celle de son père. Un souvenir cousin traversa la chambre, son père qui disait : 

- Laetitia ? Une sacrée pétroleuse, je peux bien te le dire à présent, tu es un homme. Laetitia elle serait bien partie avec moi. 

Laetitia, perles de culture, chaussures pointues, col de four- rure à poils longs et parfumés, Laetitia elle avait l’air de savoir des trucs que Paul ignorait, qu’un enfant ignorait, que même Paul devenu adulte ne savait pas vraiment. De ces choses que peut-être seules les femmes connaissaient, sur lesquelles elles se reposaient, qu’elles n’avaient pas besoin de vérifier tout le temps, cela devait être reposant, parfois, d’être une femme. La fille au pair, elle en savait aussi des trucs. Elle avait appris à Toscane l’alphabet allemand comme une gamme chroma- tique, a, , , gué, , et « Du bist meine Freudin, Toscane », et Toscane répétait après elle «Du bist meine Freudin, (?... ta-ta/ta) ». Mélanie avait fini par la renvoyer à Tübingen. 

Commenter ce livre

 

04/02/2003 167 pages 18,25 €
Scannez le code barre 9782848050096
9782848050096
© Notice établie par ORB
plus d'informations