#Essais

Verdun, 21 février 1916

Paul Jankowski

Ce fut la bataille la plus longue de la Grande Guerre et l'une des plus meurtrières. A Verdun, à la faveur d'un déluge d'obus et de gaz, l'armée allemande investit le nord et l'est de la ville. Dix mois plus tard, le carnage durait toujours. Verdun sera célébré comme le symbole même de la ténacité de toute une nation. Mais la place emblématique qu'elle occupera dans la mémoire nationale recouvre des interrogations et des incertitudes longtemps occultées. Pourquoi ce lieu d'une importance stratégique douteuse et cette bataille à l'issue moins décisive que d'autres ont-ils acquis un statut mémoriel sans pareil ? Comment Verdun a-t-elle "fait la France" ? Pour répondre à des questions primordiales, Paul Jankowski reconstitue l'événement dans la longue durée jusqu'à nos jours. Il éclaircit le mystère, toujours débattu, des motifs qui avaient poussé les Allemands à attaquer Verdun. Il analyse la logique infernale qui allait conduire les deux belligérants à perpétuer une bataille aussi meurtrière qu'elle restait indécidable. Il sonde, auprès des poilus comme des feldgrauen, les conduites héroïques, les souffrances indicibles, les opinions, les haines, les révoltes... Il explore, enfin, les inscriptions culturelles de Verdun des deux côtés du Rhin.

Par Paul Jankowski
Chez Editions Gallimard

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Genre

Histoire de France

 

 

 

INTRODUCTION

 

Le 21 février 1916, dix-huit mois après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les Allemands attaquèrent les positions françaises au nord et à l’est de Verdun, inaugurant ce que Maurice Genevoix devait nommer la « bataille symbole de toute la guerre de 14-18 ». Car telle était bien, selon lui, la perception de tous les Français. Bataille de positions qui priverait l’assaillant d’une ancienne place forte sur la Meuse, déluge de shrapnels et d’acier, désolation, morts innombrables : tout cela devait conférer sa grandeur à Verdun, où chacun pouvait pressentir, avant même la fin des combats, la gloire posthume qui s’attacherait à la ville en ruine et à ses environs. En temps de guerre, certains lieux transcendent leur seule importance stratégique pour revêtir une dimension légendaire. Saragosse en 1808, Stalingrad en 1942-1943 ont valu à leurs défenseurs l’aura symbolique de bienfaiteurs de la nation ; il en va de même pour Verdun, où Français et Allemands sont morts en si grand nombre (près de trois cent mille hommes) que l’immense ossuaire édifié sur place après la guerre ne put accueillir qu’une infime partie de leurs dépouilles morcelées. Genevoix ne prend pas la peine de justifier sa formule : à quoi bon percer le halo consensuel dont se parait déjà la ville martyre(1) ?

À première vue, le statut de Verdun n’a rien pour surprendre. Plus longue qu’aucune autre durant cette guerre, la bataille fit rage jusqu’en décembre 1916 au moins, les Français ayant alors repris la plupart des positions perdues en février. Mais les combats se poursuivirent au-delà de cette date, et Verdun en vint à incarner l’interminable et monotone saignée qui caractérise la guerre tout entière. Cette bataille défensive, que les Français n’avaient pas déclenchée, reflète leur position dans une guerre qu’ils n’avaient pas déclenchée non plus. Elle se distingue des autres en ce que les Français la menèrent sans aucune aide ; elle traduit par là une autre réalité : les Français perdirent bien plus d’hommes que leurs alliés sur le front occidental, leurs pertes totalisant près du double de celles des Anglais et plus de dix fois celles des Américains. À cette aune, Verdun apparaît donc bien comme une bataille emblématique.

Pourtant, si l’on porte sur elle un regard plus objectif, sa célébrité a de quoi surprendre. Verdun n’est pas Waterloo, ni Sedan, ni Koursk, ni Stalingrad, et ne constitue en rien une bataille décisive, l’un de ces moments qui voient un camp perdre la main de manière irrévocable. La bataille de la Marne connut une fin plus probante et mit plus franchement l’ennemi en échec. Il en va de même pour les contre-offensives alliées de 1918, qui devaient en outre inspirer les doctrines militaires du pays après la guerre, ce qui ne fut pas vraiment le cas de Verdun. Quant à l’importance stratégique du secteur, ceux-là mêmes qui y avaient cru tout d’abord finirent par en douter. Français et Allemands ne se remirent jamais des pertes subies à Verdun, mais il est vrai que tout est affaire de proportions dans une guerre : la bataille avait-elle affaibli un camp plus encore que l’autre ? Dans le courant de l’année, sur le front de la Somme, il s’avéra que la réponse à cette question était incertaine et le mode de calcul, difficile à déterminer. Verdun ne fut pas non plus l’épisode le plus meurtrier de la guerre et ne se distingue pas des autres par l’ampleur du carnage. La guerre de mouvement d’août-septembre 1914 dura moins longtemps mais fit bien plus de morts. Le taux des pertes françaises relevées lors d’offensives antérieures (en Champagne en 1915) et postérieures (dans l’Aisne en 1917) excède parfois celui des pertes subies à Verdun. Jules Romains dit avoir mis Verdun au cœur même des Hommes de bonne volonté, son roman-fleuve historique, « pour des raisons qui ne sont pas très difficiles à trouver » ; en réalité, ces raisons n’ont rien de flagrant, et l’on peine à justifier la prééminence de Verdun dans la guerre et dans le siècle(2).

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03/10/2013 405 pages 25,00 €
Scannez le code barre 9782070770304
9782070770304
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